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mêmes actes que sur le premier'. Par exemple, il n'y pourrait pas, au préjudice des propriétaires inférieurs, supprimer l'écoulement des eaux, ou permettre à d'autres de le supprimer, encore bien qu'il leur eût vendu ou donné l'usage des eaux de la source. La réalisation d'une convention de cette sorte n'est légale et possible, par conséquent, que sur celui des deux fonds où naît la source, car là seulement le droit du propriétaire est absolu.

154. Le droit que possède le propriétaire d'une source de modifier, de diminuer, de changer même le cours ancien des eaux, n'est limité que par le droit d'autrui. - Il « peut en user à sa volonté, dit l'article 641 précité, sauf le droit que le propriétaire du fonds inférieur pourrait avoir acquis par titre on par prescription. »

En cette matière, la destination du père de famille équivaut au titre 3.

Quant à la prescription, l'article 642 continue ainsi : « La prescription ne peut s'acquérir que par une jouissance non interrompue pendant l'espace de trente années, à compter du moment où le propriétaire du fonds inférieur a fait et terminé des ouvrages apparents destinés à faciliter la chute et le cours de l'eau dans sa propriété. »

Par interprétation de cette disposition, la doctrine et la jurisprudence enseignent que, pour le cas spécial qui nous occupe, l'interversion de titres qui doit servir de base à la prescription n'existe qu'autant que les circonstances suivantes se trouvent réunies dans le même fait.

1° Il faut qu'il y ait eu des ouvrages faits, soit construction, soit simples rigoles ou fossés.

Conseil d'Etat, 9 février 1854 (Poirier).

2 Cass., 28 mars 1849 (Belleval); id., 22 mai 1854 (Lemarié).

Cass., 20 décembre 1825 (de Verdonnet); id., 30 juin 1841 (Levesque). Pau, 28 mai 1851 (Lecassin); Demolombe, n. 83.

Daviel, n. 777.

2o Il doit être prouvé que ces ouvrages ont été exécutés ou ordonnés par le propriétaire inférieur.

Un acte de ce propriétaire est, en effet, indispensable pour manifester sa volonté d'acquérir. De plus, cet acte doit être prouvé. Parmi les conditions de la prescription, il en est une dont nous parlerons dans un instant, et qui veut que les travaux aient été exécutés sur le fonds supérieur, c'est-à-dire sur le fonds d'autrui. Or, en principe, tous travaux effectués sur un héritage sont présumés l'œuvre du maître de cet héritage, jusqu'à preuve du contraire. Il faut donc que l'acte acquisitif du propriétaire inférieur soit établi de la manière la plus positive, puisqu'il a contre lui la présomption de la loi.

Cependant la preuve dont s'agit cesserait d'être nécessaire, si ce propriétaire établissait qu'il a joui des ouvrages depuis le temps requis pour la prescription 2.

3o Ces ouvrages doivent être apparents, sinon dans leur entier, du moins en partie.

La jouissance de conduits complétement cachés sous terre, et desquels rien ne révélerait l'existence à l'extérieur, serait clandestine et impropre, par conséquent, à servir de base à la prescription.

4o Il faut que les ouvrages aient le caractère d'un établissement permanent cela résulte des termes de la loi, qui exige des ouvrages « faits et terminés. »

:

De simples faits de curage n'auraient donc pas par euxmêmes le caractère voulu pour former le point de départ de la prescription. Pour qu'il en fût autrement, ces faits de curage devraient être accompagnés de circonstances spéciales, de nature à en faire l'indice d'une possession contradictoire, et reconnue hautement au profit du propriétaire inférieur; tels

1 Art. 553 C. Nap.

2 Cass., 12 avril 1830 (Niocel).

3 Caen, 18 juillet 1831; Bourges, 11 juin 1828.

seraient les cas où le curage aurait été fréquemment répété ; où il aurait été exécuté sans la permission du propriétaire supérieur; ou, encore, si quelque dommage ou inconvénient en était résulté pour celui-ci, sans réclamation de sa part; si les vases avaient été enlevées comme engrais', etc.

5o Il faut, enfin, que ce soit sur le fonds supérieur que les ouvrages aient été exécutés.

Il n'y a, en effet, contradiction au droit de celui contre le. quel on veut prescrire, qu'autant que le propriétaire inférieur va prendre les eaux de la source sur le fonds supérieur, «< là où est le bassin où elle naît, le ruisseau dans lequel elle coule, en un mot, là où est le siége de la propriété privée qu'elle constitue. C'est là que le propriétaire de la source doit être attaqué, là qu'il est en demeure de se défendre, là qu'il a le pouvoir d'empêcher tout acte qui a le caractère d'une entreprise sur le cours de ses eaux. Sa surveillance ne doit pas s'étendre au delà du cours de sa source 2. >>

Il est vrai que cette solution est contestée, et que plusieurs auteurs recommandables ont soutenu qu'il suffisait que les travaux fussent faits sur le fonds inférieur 3. Mais la doctrine et la jurisprudence se prononcent, en général, pour l'opinion que nous venons d'exposer.

155. Le maître de la source subit une autre restriction dans ses droits au cas prévu par l'article 643 C. Nap. « Le propriétaire de la source ne peut en changer le cours, lorsqu'il fournit aux habitants d'une commune, d'un village ou

'Daviel, n. 774.

Daviel, n. 776 bis.

3 Favart de Langlade, Répert., vo SERVITUDES, sect. II, § 1er, n. 2; Pardessus, Servit., n. 100; Marcadé, Code civil, sur l'article 642.

Henrion de Pansey, Juges de paix, chap. XXVI, § 4; Duranton, Code civ., t. V, n. 181; Proudhon, Dom. publ., n. 1372; Daviel, n. 775, 776; Demolombe, Servit., n. 80. - · Cass., 25 août 1812 (Besnard); id., 6 juillet 1825 (La id., 5 juillet 1837 (Lignières); id., 15 février 1854 (Roux).

louel);

TOME 1.

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d'un hameau, l'eau qui leur est nécessaire. Mais si les habitants n'en ont pas acquis ou prescrit l'usage, le propriétaire peut réclamer une indemnité, laquelle est réglée par experts. »>

Cette servitude n'est donc imposée au maître de la source qu'autant que les eaux en sont nécessaires pour la satisfaction des besoins naturels et ordinaires de la vie, tels que les services journaliers du ménage, l'abreuvement des bestiaux, etc.; il ne suffirait pas que ces eaux fussent simplement utiles à ces besoins. Il n'y aurait pas, notamment, cette nécessité exigée par la loi dans le cas où une commune prétendrait que l'eau de la source est indispensable au jeu d'un moulin nécessaire à son approvisionnement'; l'eau peut être ici remplacée par un autre moteur, tel que la vapeur, par exemple.

L'obligation imposée au maître de la source, en cas de nécessité reconnue au profit d'un groupe de population, consiste seulement en ce que ce propriétaire ne peut empêcher l'eau de s'écouler, au sortir de son fonds, sur le sol public, là où les habitants auraient le droit de s'approcher de la rive et d'y puiser à volonté. Elle ne va pas jusqu'à forcer le maître de la source à ouvrir son héritage à ceux-ci pour qu'ils y exercent plus commodément le puisage et l'abreuvage; ce serait là une aggravation considérable de la servitude 2.

La reconnaissance et la déclaration de la nécessité dont une source peut être pour un groupe de population appartiennent, en cas de contestation, à l'autorité judiciaire3. Mais ce serait à l'autorité administrative, c'est-à-dire au préfet, et, sur recours, au ministre de l'intérieur, qu'il appartiendrait de décider si telle réunion d'habitants, séparée du chef-lieu

1 Daviel, n. 789; Proudhon, n. 1386; Demolombe, n. 95. - Contra, Toullier, t. III, n. 134; Garnier, Régime des eaux, n. 745.

2 Daviel, n. 790. Contra, Proudhon, n. 1381.

3 Conseil d'Etat, 20 juin 1839 (commune de Thizay).

de la commune, doit être qualifiée ou non de village ou de hameau, et mérite de jouir, en cette qualité, du bénéfice de la servitude'.

Comme compensation, le propriétaire peut réclamer une indemnité, laquelle est réglée par experts. L'estimation doit en être faite à raison seulement du dommage qui résulte pour le maître de la source de ce qu'il ne peut employer l'eau d'une façon plus utile pour lui. On n'y fait point entrer l'avantage que la commune peut retirer du cours d'eau. <«< Cette indemnité, dit le texte précité, cesse cependant d'être due si les habitants ont acquis ou prescrit l'usage du cours d'eau. » Il y a là une rédaction inexacte. Les habitants n'ont pas à acquérir ni à prescrire cet usage, puisque la loi le leur accorde de plein droit, en cas de nécessité constatée. Tout ce qu'ils peuvent acquérir par la prescription, c'est simplement la libération de l'indemnité. Dès lors, il suffit qu'ils aient joui du cours d'eau pendant trente ans, sans que l'indemnité leur ait été réclamée, pour qu'ils aient prescrit l'obligation de la payer 2.

Terminons sur ce point par une dernière observation. Si la source était assez considérable pour pouvoir servir à la fois à la commune et au propriétaire, celui-ci aurait le droit de disposer, selon son gré, de la partie qui ne serait pas nécessaire aux habitants.

156. Nous verrons bientôt que l'eau de la source, sortie de l'héritage où elle est née, et devenue, par cela même, cours d'eau, se trouve, à raison de sa nouvelle nature, immédiatement soumise au pouvoir réglementaire de l'administration. Celle-ci a reçu, en effet, du législateur la mission de répartir entre les divers ayants droit, et au point de vue des intérêts généraux, les profits que procurent les eaux pu

'Pardessus, n. 138.

* Pardessus, loc. cit.; Marcadé, sur l'article 643, C. Nap.

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