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bliques, et de déterminer par quels modes et à quelles conditions les riverains doivent recueillir ces bénéfices. Mais il ne peut en être ainsi pour les sources, puisqu'elles ne sont soumises à aucun usage commun et qu'elles forment au contraire des propriétés particulières. Ce serait donc un excès de pouvoir que l'acte d'un maire ou d'un préfet qui prescrirait au maître d'une source le mode d'emploi de ses eaux, ou qui lui défendrait d'une manière préventive tel usage et tel mode déterminés. Un acte de cette sorte serait dépourvu de force exécutoire '.

Mais si les sources échappent virtuellement au pouvoir réglementaire que l'administration ne possède que sur les cours d'eau, elles restent, comme toutes les autres propriétés, soumises au pouvoir que celle-ci tient de son droit général de police. A cet égard, les lois du 12 août 1790 et du 28 septembre 1791 autorisent les administrations locales à faire cesser les inondations et à prévenir les accidents et les événements calamiteux. Si donc l'on faisait d'une source un usage nuisible à la sûreté et à la salubrité publiques; si, par exemple, le propriétaire opérait la retenue des eaux, sans employer les moyens que l'art lui fournit et que la prudence et les circonstances lui commandent, l'administration pourrait alors intervenir et faire cesser l'état de choses préjudiciable aux intérêts généraux. Il y a, en effet, entre une pareille intervention et celle que nous avons signalée plus haut comme illégale, une différence caractéristique. Il ne s'agit plus ici de prescrire au maître de la source tel usage, tel mode d'emploi de ses eaux, ou de lui défendre cet usage et ce mode d'emploi, le tout d'une manière préventive; il s'agit simplement de faire cesser un état de choses, dans ce qu'il y a de nuisible à la sûreté et à la salubrité publiques,

1 Cass., 8 juin 1818 (Michot); Conseil d'État, 29 janvier 1857 (Ponchon).

157. On considère comme sources, dans le sens de la loi, non-seulement les eaux qui sortent naturellement du sol ou qui s'amassent spontanément à sa surface, mais encore celles qu'on extrait de la terre au moyen de forages, fossés, tranchées, drains, et qu'on accumule dans des mares, bassins, étangs, canaux, etc. Ce sont principalement les eaux pluviales, les eaux stagnantes, celles d'infiltration, que l'on recueille ainsi. Divisées, dispersées, elles eussent fini par s'évaporer ou par submerger le sol. Réunies, elles forment une véritable source, dès qu'elles deviennent l'origine d'un cours d'eau: caput aquæ.

158. Les eaux pluviales, notamment, sont évidemment l'accessoire du fonds sur lequel elles tombent, coulent et s'amassent. Le propriétaire a dès lors la faculté ou d'en disposer en maître ou de les laisser suivre leur pente naturelle', conformément à l'article 641 précité.

Les eaux pluviales, qui coulent sur les chemins publics et dans les fossés dont ils sont bordés, appartiennent à l'Etat ou aux communes, selon qu'il s'agit de routes impériales, stratégiques et départementales, ou vicinales et rurales; elles peuvent être employées directement ou concédées par ces propriétaires 3. Toutefois, tant que ceux-ci n'en font pas emploi, il est admis que rien ne s'oppose à ce que les riverains de ces chemins prennent les eaux à leur passage, à titre de premier occupant, pourvu qu'elles soient dérivées sans appareils ni travaux de nature à dégrader la voie publique ou à y faire refluer les eaux, faits qui constitueraient des délits de voirie ".

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Cass., 21 juillet 1845 (Dumont); Agen, 7 février 1856 (Castarède).
Cass., 3 octobre 1835 (Verny-Lamothe).

Au surplus, une dérivation de cette sorte, alors même qu'elle serait effectuée à l'aide de travaux permanents et depuis un temps immémorial, n'a pas pour effet de faire acquérir à celui qui en jouit un droit exclusif sur les eaux en question. « Ces ouvrages ne sont qu'un moyen de réaliser le droit de premier occupant. Tout autre propriétaire peut donc, au même titre, mettre en action la même faculté1. » Ainsi, le propriétaire inférieur qui se serait servi des eaux dérivées d'un chemin public, depuis un temps suffisant pour prescrire, n'aurait pas acquis, pour cela, le droit de se plaindre de ce qu'un riverain supérieur, usant de l'avantage que lui procure la situation des lieux, dériverait l'eau à son tour et le priverait désormais de sa jouissance trentenaire 2.

159. C'est à ces eaux pluviales et à la fonte des neiges que l'on doit ces cours d'eau accidentels ou intermittents, qui viennent border ou traverser les héritages à des périodes plus ou moins rapprochées et déterminées par les saisons et les intempéries de l'air. Ils se présentent d'ordinaire sous forme de torrents, ravines, ou de sources qui sourdent ou tarissent alternativement: torrens, id est hieme fluens3. Ces eaux, bien qu'elles soient courantes, sont susceptibles d'une appropriation privée, comme celles dont il est question dans les numéros précédents. Le riverain peut les retenir à leur passage, pour en alimenter, selon son gré, des étangs, des mares, des canaux, des usines, etc. Ce n'est, en effet, que par la pérennité, la continuité de leur cours que des eaux sont frappées du caractère public et sont placées dans le domaine commun publicum flumen esse Cassius definit quod perenne

:

1 Daviel, n. 800.

2 Cass., 14 janvier 1823 (de Peynier).

3 L. 1, §§ 2, 3, D. De flumin.

4 Caen, 26 février 1844 (Duhamel ).

Henrion de Pansey, Compét. des

juges de paix, chap. xxv1, § 3; Rattier, n. 317 et suiv.

sit... perenne est quod semper fluat1. C'est en remplissant leur lit, sans discontinuité et d'une façon permanente; c'est en se dérobant, par une fuite qui ne cesse jamais, qu'elles soustraient physiquement et légalement ce lit et elles-mêmes à l'appropriation de l'homme. Mais si, au contraire, à des époques plus ou moins rapprochées et constantes, et pendant des espaces de temps appréciables, ce lit reste à sec; si ces eaux s'arrêtent, amoindries, pour ne plus former que des flaques stagnantes, l'homme alors ne perd rien de son pouvoir; il conserve ses droits de libre disposition des eaux et du lit qui les contient.

La Cour de cassation a donc, selon nous, commis une erreur de droit quand, dans un arrêt du 6 janvier 1844 (affaire Perriod), elle n'a fait aucune distinction entre les cours d'eau pérennes et continus et les cours d'eau accidentels. C'est à tort qu'elle a jugé, en principe, que le droit de réglementation que l'administration possède sur les cours d'eau de la première sorte, s'exerce également et au même titre sur les eaux d'un ruisseau alimenté par une fontaine intermittente. Le droit de réglementation suppose, en effet, pour objet, un cours d'eau assujetti à des usages communs, et marqués, par cela même, au coin de la publicité. Or, les eaux intermittentes, nous venons de le voir, n'ont pas un tel caractère.

Toutefois, et nous insistons sur ce point, c'est l'intermittence périodique, constante, appréciable dans sa durée, qui, seule, peut empêcher un filet d'eau de prendre le caractère de publicité dont sont frappées en général les eaux courantes, et non l'intermittence accidentelle et provenant de force majeure: Si tamen aliquâ æstate exaruerit, quod alioquin perenne fluebat, non ideo minùs perenne est 2. Il faudrait par conséquent regarder comme chose commune et publique le cours

'L. 1, § 3, D. De flumin. - Proudhon, n. 999.

2 L. 1, § 2, D. De flumin.

d'eau habituellement pérenne qui ne se dessécherait momentanément que dans les années de chaleur extraordinaire.

160. Le point de savoir quand l'intermittence d'un cours d'eau est de nature à le ranger dans la catégorie des eaux privées, plutôt que dans la classe des eaux qui n'appartiennent à personne, se résout donc simplement par l'appréciation des faits et de l'état des lieux. Ce n'est rien autre chose qu'une question ordinaire de propriété, puisque ce qui se débat c'est de savoir si l'objet de la contestation est susceptible ou non d'appropriation privée. C'est, par conséquent, aux tribunaux ordinaires seuls qu'il appartient d'y prononcer.

161. Nous avons fait remarquer plus haut que si les eaux privées sont soumises au droit de police qui appartient à l'administration, elles échappent du moins, et en général, au pouvoir réglementaire. Ce principe souffre toutefois exception relativement aux eaux provenant de vastes desséchements effectués dans les termes de la loi du 16 septembre 1807, et qui sont contenues dans les canaux dits généraux. Ces eaux conservent bien toujours, à raison de leur origine, un caractère privé. Néanmoins, comme elles sont la copropriété d'un plus ou moins grand nombre d'intéressés réunis en associations ou syndicats, un arrêté du 19 ventôse an VI a soumis leur emploi à des règles particulières de surveillance administrative. Nous citons plus loin une disposition de cet arrêté qui défend d'exécuter aucune construction d'usine, ou autre, sur les canaux généraux de desséchement, sans la permission de l'administration 1.

162. Enfin, le droit de police de l'administration s'exerce d'une manière toute spéciale à l'égard des étangs, qui, étant formés par des eaux privées, seraient reconnus dangereux

1 V. n. 272, 293.

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