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lités de fabrication qui en résultèrent, il s'éleva de tous côtés des usines et des manufactures; mais, en même temps, commencèrent les inquiétudes des populations placées dans le voisinage de ces établissements nouveaux.

Déjà un décret de l'Assemblée nationale, du 13 novembre 1791, avait prescrit le maintien et l'exécution provisoire « des anciens règlements de police relatifs à l'établissement ou à l'interdiction, dans les villes, des usines, ateliers ou fabriques qui pouvaient nuire à la sûreté et à la salubrité publiques.» Mais le remède n'était plus suffisant. On crut en trouver un plus énergique dans l'application à la matière des lois des 14-22 décembre 1789, 16-24 août 1790, 19-22 juillet 1791, qui chargent les autorités municipales de faire jouir les habitants de leur circonscription d'une bonne police, et, spécialement, d'assurer la salubrité publique, de prévenir les épidémies et les accidents calamiteux. Il y avait là un principe général qui réagissait de la manière la plus naturelle sur les établissements nuisibles aux populations. Dès que les administrations locales avaient constaté que telle entreprise industrielle, fonctionnant sur leur territoire, était pour le voisi nage une cause d'insalubrité, une menace de dangers même éventuels, elles acquéraient par cela même le droit de soumettre cette entreprise à des conditions d'exploitation, de la contenir dans des limites étroites, et même d'en ordonner la suppression. Malheureusement, le principe d'où elles tiraient ce pouvoir étant extrêmement général, il s'ensuivait que les applications qu'elles en faisaient n'avaient rien de fixe, d'uniforme, et, par conséquent, rien de certain. Dans telle commune, un établissement réellement préjudiciable au voisinage ne préoccupait aucunement l'autorité municipale; tandis que, dans telle autre, cette autorité se montrait d'une rigueur exagérée, aveugle, pour un établissement qui n'offrait pas d'inconvénient sérieux ou du moins

irremédiable. Sous ce régime, la police des industries était en réalité abandonnée aux haines, aux passions, aux préjugés de localité, ou aux influences de clocher si facilement acceptées ou subies par des administrations subalternes. Ainsi se trouvaient trahis soit l'intérêt de l'industrie, soit celui de la propriété et de la salubrité publique. Cette absence de règles spéciales à l'industrie était pour elle, on le comprend, une cause de souffrance, un obstacle à ses progrès. On craignait de se lancer dans une entreprise, de se livrer à des avances, à des travaux dont, plus tard, l'arbitraire, le caprice d'administrateurs peu éclairés, ou influencés, pouvaient faire perdre tout le fruit. Les industriels se plaignaient vivement de cet état de choses, et le gouvernement sentait que c'était avec toute justice. Il se résolut enfin à donner satisfaction à ces réclamations légitimes; mais, avant tout, il voulut s'éclairer de l'avis des hommes compétents. En l'an XIII, le ministre de l'intérieur s'adressa à la section des sciences physiques et mathématiques de l'Institut, et lui demanda d'indiquer dans un travail le nom des industries réellement préjudiciables, le degré jusqu'auquel ces industries pouvaient être nuisibles, ainsi que les précautions qui devaient être prises contre leurs inconvénients. L'Institut répondit par un rapport assez étendu, dans lequel se retrouvent les éléments de toutes les dispositions qui furent prises dans un décret impérial du 15 octobre 1810. Ce décret fut également précédé d'un autre rapport du ministre à l'empereur, où nous lisons ce qui suit :

« S'il est juste que chacun puisse exploiter librement son industrie, le gouvernement ne saurait, d'un autre côté, voir avec indifférence que pour l'avantage d'un individu tout un quartier respire un air infect ou qu'un particulier éprouve des dommages dans sa propriété. En admettant que la plupart des manufactures dont on se plaint n'occasionnent pas d'exhalaisons contraires à la salubrité publique, on ne niera

pas non plus que ces exhalaisons peuvent être quelquefois désagréables, et que par cela même elles ne portent un préjudice réel aux propriétaires des maisons voisines, en empêchant qu'ils ne louent ces maisons, ou en les forçant, s'ils les louent, à baisser le prix de leurs baux. Comme la sollicitude du gouvernement embrasse toutes les classes de la société, il est de sa justice que les intérêts de ces propriétaires ne soient pas plus perdus de vue que ceux des manufacturiers. Il paraîtra, d'après cela, convenable d'arrêter en principe que les établissements qui répandent une odeur forte et gênant la respiration ne seront désormais formés que dans des localités isolées. »

Conformément à ces conclusions, le décret du 15 octobre 1810 disposa que « les manufactures et les ateliers qui répandent une odeur insalubre et incommode ne pourraient plus être formés sans une permission de l'autorité administrative.>> Mais, en même temps, il confia le pouvoir et le soin de donner ou de refuser cette permission à l'administration supérieure. Telles sont les origines de la réglementation dont nous allons maintenant exposer les détails.

15. Bien que le rapport du ministre et le décret de 1810. susénoncés ne mentionnent explicitement que les établissements « qui répandent une odeur insalubre et incommode, »> il est naturel de croire que les conclusions de l'un et les dispositions de l'autre s'appliquaient également aux établissements qui présentent des dangers d'explosion ou d'incendie. En tous cas, l'omission de l'énonciation propre à caractériser les établissements de cette dernière espèce a été réparée dans les actes subséquents du gouvernement. L'ordonnance royale du 9 février 1825, notamment, exige l'autorisation administrative pour « les établissements dangereux, » aussi bien que pour ceux qui ne sont que « insalubres ou incommodes. » De telle sorte que, aujourd'hui, la désignation lé

gale de tous ces établissements est bien celle-ci : Ateliers dangereux, insalubres ou incommodes.

16. L'on comprendra, d'ailleurs, facilement la raison pour laquelle le langage juridique emploie là le terme d'atelier, plutôt que celui de fabrique, manufacture ou usine.

C'est que le plus souvent ce n'est pas par son ensemble qu'un établissement mérite d'être considéré comme nuisible ou incommode au voisinage, mais seulement par une ou plusieurs de ses parties. Le préjudice peut, en effet, n'exister qu'à raison d'une seule des opérations auxquelles est successivement soumise la matière à ouvrer et qui sont séparément accomplies dans les ateliers distincts dont la réunion compose l'usine, la fabrique, la manufacture. Au cas même où plusieurs de ces opérations offriraient à la fois un danger, il peut se faire qu'elles ne soient pas du moins nuisibles au même degré. Les parties diverses d'un vaste établissement ne sont donc pas soumises également à la nécessité de l'autorisation. Les ateliers où il ne s'effectue que des opérations considérées par la loi comme inoffensives, y échappent d'une manière absolue; et ceux-là seulement y sont assujettis, et encore à des degrés divers, qui abritent des opérations préjudiciables à la sûreté et à la salubrité publiques.

17. Une autre observation préliminaire se présente d'ellemême. La réglementation spéciale, introduite par le décret du 15 octobre 1810 et par l'ordonnance royale du 14 janvier 1815, n'a eu en vue que les établissements de l'industrie. Elle ne s'applique nullement aux locaux qui ne seraient pas affectés à la préparation, à la fabrication des matières premières ou au dépôt des objets manufacturés, encore bien que, dans ces locaux, il s'effectuàt des opérations dangereuses, insalubres ou incommodes, ou qu'on eût déposé des objets ayant des inconvénients graves pour le voisinage.

Les locaux de cette dernière sorte qui, dans leur destination

ou leur usage, n'auraient rien d'industriel, échappent complétement à l'application des règlements de 1810 et de 1815. L'exploitation n'en est pas soumise à d'autres lois que celles qui régissent les fonds de terre ordinaires. Faisons ressortir cette différence par quelques exemples.

Les fonderies, les fabriques de produits chimiques, tels qu'acides, alcalis, chlores et chlorures, etc., qui ont pour objet la production des matières destinées au commerce, sont soumises à la réglementation à titre d'établissements industriels. Mais il n'en est pas de même des laboratoires de chimie possédés par des particuliers dans un simple but d'études et d'expériences.

On doit également considérer comme un établissement industriel le dépôt où l'on débite de la poudrette, de l'urate 2, etc. Mais on ne peut voir rien de semblable dans ces dépôts temporaires d'engrais que les agriculteurs établissent en attendant qu'ils s'en servent pour leurs terres 3.

Il faut encore se garder de confondre avec ces routoirs que le pouvoir réglementaire a classés, parce que l'on y centralise, par esprit de spéculation, la préparation de tous les produits d'une contrée, et qu'il a désignés par ces mots : « Rouissage du lin et du chanvre en grand par son séjour dans l'eau, » les routoirs temporaires et sans impor

' V. n. 38, à l'état général des établissements classés, vis FONDERIES, ACIDES, ALCALIS, etc.

2 Id., vis ENGRAIS, POUDRETTE, Urate.

3 Les dépôts temporaires d'engrais « autres que ceux qui, formant des voiries, sont soumis au classement,» sont cependant l'objet de mesures de police sur le territoire du département de la Seine. Aux termes d'une ordonnance du préfet de police, en date du 8 novembre 1839, ils ne peuvent être établis sans autorisation dans les communes rurales du ressort de sa préfecture. Mais cette ordonnance n'a été prise qu'en vertu des pouvoirs généraux de police et n'est nullement motivée sur la législation spéciale aux établissements industriels. C'est donc à tort que MM. Avisse et Dufour la citent parmi les règlements applicables à cette sorte d'établissements.

V. n. 38, vis CHANVRE, ROUTOIRS.

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