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se jeter dans les cours d'eau domaniaux ne sauraient être regardées comme dépendances de ceux-ci; leur qualité d'affluents ne suffit pas pour produire ce résultat 1. « La navigabilité est l'attribut essentiel de la domanialité; il n'y a pas de distinction à faire entre les cours d'eau qui ne sont pas navigables 2. »

250. La loi qui a placé, d'une manière expresse, les fleuves et les rivières navigables et flottables dans le domaine de l'Etat, n'a rien dit, sous ce rapport, des canaux de navigation. On ne saurait toutefois douter qu'ils ne fassent partie de ce domaine. Ils rentrent certainement dans les termes de l'article 2 de la loi du 1er décembre 1790, déjà cités : « Les fleuves et rivières navigables, les chemins, rues et places des villes, et, en général, toutes les portions du territoire national qui ne sont pas susceptibles de propriété privée, sont considérées comme dépendance du domaine de l'Etat. » Ils partagent d'ailleurs avec les cours d'eau navigables un caractère qui les range virtuellement dans ce domaine: c'est celui de chemins publics. Aussi verrons-nous qu'au point de vue de la police la loi du 29 floréal an X place les canaux de navigation sous le même régime que les grandes routes et que les fleuves et rivières navigables et flottables3.

Ce principe de la domanialité des canaux de navigation ne subit même pas d'exception au cas où ces canaux sont l'objet d'une concession consentie par l'Etat à des particuliers ou à des compagnies. Le savant auteur du Traité de droit administratif appliqué fait observer avec justesse que les concessionnaires de canaux, de même que les concessionnaires de chemins de fer, ne sont, quant à la création du canal, que

1 Conseil d'Etat, 11 juin 1838 (Laurent).

Daviel, n. 39.

* V. n. 259.

les entrepreneurs d'un travail public, et, quant à son exploitation, que les entrepreneurs d'un service public'.

Cette doctrine reçoit sa consécration d'une résolution que M. Merlin 2 nous apprend avoir été prise par le Conseil des Cinq-Cents, à l'occasion du canal du Midi. Il est dit dans cette résolution: «< que les grands canaux de navigation à l'usage du public font essentiellement partie du domaine public; que les concessions qui peuvent en avoir été faites ne peuvent faire obstacle aux mesures à prendre pour leurs conservation, amélioration et agrandissement, sauf le droit des concessionnaires aux remboursements et indemnités qui peuvent leur être dus, et la continuation de leur jouissance jusqu'à l'acquittement entier et effectif. »

La domanialité qui atteint les canaux de navigation comprend nécessairement les accessoires ou dépendances de ces canaux, tels que bords, francs-bords, talus, rigoles, etc.: << Attendu que les canaux de navigation et leurs dépendances établis, en vertu de concessions faites par l'autorité publique, sur des terrains appartenant à des tiers expropriés pour cause d'utilité générale, lors même qu'ils ont été concédés à des particuliers, sont des voies publiques par destination perpétuelle; que l'usage auquel ils sont consacrés, dans l'intérêt général, ne permet pas qu'ils soient démembrés; que les parties qui les constituent, notamment les rigoles et les francsbords, forment un tout indivisible nécessaire à leur destination; que si un canal, pris dans son ensemble et avec toutes ses dépendances, peut être aliéné3, chacune de ses parties, considérée seule et isolément, est hors du commerce, parce

1 Dufour, n. 291.

2 Répertoire universel, vo CANAL.

3 L'aliénation possible, dont parle ici l'arrêt, doit s'entendre des concessions que l'Etat peut consentir à des particuliers. Or, ces concessions ont pour objet soit l'entreprise, soit l'exploitalion du canal, mais jamais l'aliénation de la propriété même de ce canal.

que cette propriété doit être conservée intacte; qu'ainsi, chaque partie séparée est imprescriptible... '. »

La jurisprudence accorde à l'administration, pour la reconnaissance et la détermination de ces bords, francs-bords, talus, etc., en un mot, pour la délimitation des canaux de navigation, le même pouvoir que nous lui avons vu attribuer pour la délimitation du lit des fleuves et rivières navigables et flottables; les principes sont, en effet, les mêmes dans les deux cas 3.

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Servitudes imposées aux fonds riverains des cours d'eau
navigables et flottables.

251. Des chemins de halage et de contre-halage. 252. Interdiction des fouilles.

251. Le Code Napoléon, parmi les servitudes d'utilité publique dont il prescrit le maintien, se contente de mentionner dans ses articles 556 et 650 le marchepied le long des rivières navigables et flottables, ou « chemin de halage. » C'est dans les anciens monuments de notre législation qu'il faut chercher les textes qui servent de règles à cette servitude.

L'article 7, titre XXVIII, de l'ordonnance d'août 1669, sur les eaux et forêts, est ainsi conçu : « Les propriétaires des héritages aboutissant aux rivières navigables laisseront le long des bords vingt-quatre pieds (7m,80) au moins de place en largeur pour chemin royal et trait de chevaux, sans qu'ils puissent planter arbres, ni tenir clôture ou haie plus près de trente pieds (9m,75) du côté que les bateaux se tirent, et dix pieds (3m,25) de l'autre bord... »

Cass., 22 août 1837 (d'Harcourt).

• Tribunal des conflits, 3 avril 1850 (Deheripon); id., 5 novembre 1850 (de Béthune).

* V. n. 245.

L'arrêt du Conseil du 24 juin 1777 porte également : « Art. 2. Enjoint Sa Majesté à tous propriétaires riverains de livrer vingt-quatre pieds de largeur pour le halage des bateaux et trait de chevaux le long des bords de la Marne, et autres fleuves et rivières navigables, ainsi que sur les îles où il en serait besoin. Et dans le cas où il se trouverait aucuns bâtiments, arbres, haies, clôtures ou fossés dans ladite largeur prescrite pour tous les chemins de halage, d'un ou d'autre bord, ordonne Sa Majesté que lesdits bâtiments, arbres, haies et clôtures seront abattus, démolis et enlevés, et les fossés comblés par les propriétaires dans le terme d'un mois, à peine par lesdits riverains de demeurer responsables des événements et retards, de cinq cents livres d'amende, et d'être contraints, à leurs dépens, auxdites démolitions. »

L'amende toutefois n'est que de trois cents livres lorsqu'il s'agit d'une contravention relative aux chemins de halage qui bordent la Loire ou les affluents navigables de ce fleuve '. C'est ce qui résulte d'un arrêt du Conseil du 23 juillet 1783, lequel concerne d'une manière spéciale la Loire et ses affluents.

Le chemin de vingt-quatre pieds n'est exigé par l'ordonnance de 1669 que sur la rive où se fait le halage; l'autre rive n'est assujettie qu'à un chemin de dix pieds, dit de contrehalage. Il semble cependant que les vingt-quatre pieds seraient dus sur les deux bords à la fois, si sur tous deux s'opérait le tirage des bateaux. On a pu remarquer, en effet, que les termes de l'arrêt de 1777 sont plus généraux que ceux de l'ordonnance de 1669, et qu'ils prescrivent l'établissement d'une chaussée de vingt-quatre pieds le long des bords des cours d'eau navigables, sans distinction entre ces bords.

Il résulte également de cet arrêt que ce chemin est dû même sur les rives des îles « où il en serait besoin. >>

Conseil d'Etat, 8 février 1838 (Peccol).

* Conseil d'Etat, 19 août 1839 (Danjou); id., 15 juin 1842 (Dupuch).

L'assiette des chemins de halage et de contre-halage est subordonnée aux nécessités de la navigation; l'administration transporte d'une rive à l'autre les chemins de halage, de contre-halage, en intervertissant leurs situations respectives. Cette assiette suit également les variations de la rivière, de telle sorte que, si l'un des chemins est rongé ou enlevé par les flots, il est reporté plus haut, de même qu'il est rapproché du cours autant que cela est nécessaire, lorsqu'une alluvion ou un atterrissement vient s'interposer entre lui et les

eaux 1.

Lorsqu'il s'agit d'une rivière variable et dont la hauteur diffère selon les saisons ou les marées, la largeur du chemin doit avoir pour point de départ un terme moyen entre les plus basses et les plus hautes eaux 2.

La fixation de l'assiette et de la largeur des chemins de halage et de contre-halage appartient au préfet. L'utilité publique, les nécessités de la navigation qui motivent et déterminent cette fixation, impriment à l'arrêté du préfet le caractère d'un acte d'administration, qui empêche qu'il puisse être attaqué par la voie contentieuse3.

Mais il ne faut pas perdre de vue que l'établissement de ees chemins n'est qu'une servitude, et que le fonds n'en appartient pas moins au propriétaire riverain. Celui-ci, dans les saisons où le halage n'a pas lieu, et lorsqu'un règlement particulier ne défend pas la culture du terrain employé en chemin, peut en labourer le sol, y faucher et y recueillir les herbes. Si le cours d'eau qui le borde cesse d'être affecté à la navigation, il rentre dans la libre jouissance de son fonds. Enfin, l'alluvion qui, hors du lit administrativement fixé du

↑ Conseil d'Etat, 4 juillet 1827 (de Bonneval); id., 24 juillet 1845 (Smetz). * Conseil d'Etat, 24 décembre 1818 (Asselin); id., 19 mai 1843 (Laburthe). Conseil d'Etat, 2 janvier 1838 (Lerebours).

4 Conseil d'Etat, 1er juin 1843 (Guignet).

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