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industrie nouvelle une usine hydraulique qui, jusqu'alors, avait reçu une autre destination; ou lorsque, sans changer cette destination, on ne veut qu'ajouter une autre industrie à celle déjà exercée, est-il besoin de se pourvoir préalablement de l'autorisation administrative?

Voici ce que disait à ce sujet M. le commissaire du gouvernement Reverchon, à la séance publique du Conseil d'Etat, le 20 novembre 1851, dans laquelle se jugeait l'affaire d'un sieur Rouyer : « En principe, et sauf les dispositions spéciales qui concernent certains établissements, par exemple les établissements insalubres, l'administration, lorsqu'elle accorde une permission d'usine sur un cours d'eau, ne réglemente que le régime et l'usage des eaux ; elle ne réglemente pas l'industrie. Le principe contraire ne serait pas seulement erroné en droit, dans l'état actuel de notre législation; il reposerait, en outre, sur une doctrine non moins erronée, non moins funeste en économie politique et en administration. En d'autres termes, une fois que le régime hydraulique d'une usine est fixé, l'usinier demeure maître et libre chez lui; il a le droit de tirer tel parti qu'il juge utile de la force qui lui a été concédée et dont l'usage extérieur a été réglé ; il peut appliquer cette force dans l'intérieur de son usine, à tel objet, à tel emploi que bon lui semble; l'adininistration n'a, en principe, rien à y voir, parce qu'elle n'y a, en principe, aucun intérêt, au point de vue des idées générales qui servent de base, de règle et de limites à son action. La liberté, relative sans doute, mais réelle et large, pourtant, qui est essentielle à l'industrie, serait incompatible avec un autre système, avec le régime de l'intervention administrative dans la vie intérieure des usines; ce régime dégénérerait fatalement en tracasseries également dommageables à l'industrie et à l'administration elle même : car il ne faut jamais oublier que l'un des plus sûrs moyens de compromettre même les attri

butions légitimes et nécessaires d'un pouvoir, d'une autorité quelconque, c'est de vouloir les exagérer'. »

Cette doctrine a reçu l'approbation implicite du Conseil d'Etat, ainsi que cela résulte de la décision qu'il a rendue sur l'affaire qui lui était alors soumise.

286. Que décider en ce qui concerne les additions et augmentations à faire aux œuvres extérieures de l'usine?

L'autorisation y est évidemment nécessaire, puisqu'il s'agit de travaux qui doivent influer sur le système hydraulique de l'usine, sur le régime de ses eaux.

C'est ainsi qu'il a été jugé qu'il y avait contravention dans le fait non préalablement autorisé « d'avoir augmenté la dépense des eaux » par l'adjonction d'un troisième tournant aux deux que comportait seulement la permission primitive; « d'avoir ouvert une nouvelle prise d'eau, » pour faire mouvoir un plus grand nombre de meules.

Dans ces espèces, la contravention consistait, on le comprend, dans le changement que l'on avait fait subir au régime hydraulique de l'usine, et non dans l'augmentation des tournants ou dans celle des meules. Une augmentation de cette dernière sorte, œuvre tout intérieure, n'aurait eu, notamment, rien que de fort licite en elle-même, si elle n'avait pas été accompagnée d'un accroissemement dans la quantité de l'eau employée jusqu'alors,

287, Parlons maintenant du cas où il s'agit de faire aux ouvrages extérieurs, non plus des innovations, mais simplement des réparations et des travaux d'entretien.

Voici quelle est, à ce sujet, la jurisprudence constante du Conseil d'Etat. Il n'existe dans les lois et règlements << aucune

1 Lebon, Arrêts du Conseil, vol. de 1851, p. 716.—CONF. Nadault de Buffon, l. I, p. 378; Dufour, t. IV, n. 365. Contra, Favard, Répert., vo MOULINS; Dalloz, Rép. alph., n. 394.

* Conseil d'Etat, 17 août 1825 (Pinel).

3 Conseil d'Etat, 9 août 1836 (moulins du château du Narbonnais).

disposition en vertu de laquelle les propriétaires d'usines et de moulins fondés en titres, ou dont la conservation a été tolérée parce qu'ils n'apportaient aucun empêchement nuisible au cours de l'eau, soient tenus de se pourvoir d'une permission préalable auprès de l'autorité administrative, toutes les fois qu'il devient nécessaire de réparer leurs usines. » En effet, les textes de l'ordonnance de 1669 et autres, ceux de l'arrêté du 19 ventôse an VI, qui parlent de la nécessité des autorisations, «< ne s'appliquent pas à des travaux de simple réparation, mais seulement à l'établissement d'usines nouvelles ou aux changements apportés à l'état des usines anciennement existantes. » De là, le Conseil d'Etat conclut que les usiniers dont les établissements ont une existence légale « peuvent effectuer les travaux de simple réparation, sans permission préalable, mais, en ce cas, à leurs risques et périls, et sauf le droit qui appartient toujours à l'administration de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le libre cours des eaux et le service de la navigation 1.

Cette jurisprudence, on le voit, ne permet à l'usinier d'exécuter ses réparations, sans autorisation préalable, qu'en réservant formellement sa responsabilité ultérieure. Il en résulte que c'est à ses risques et périls qu'il est admis à agir librement. S'il se trompe, si c'est à tort qu'il a cru que les réparations qu'il avait à effectuer étaient simples, tandis qu'elles étaient au contraire de nature à influer sur le régime des eaux, c'est tant pis pour lui; il en portera la peine.

C'est donc toujours pour l'usinier une chose dangereuse que d'user, en semblable circonstance, de la latitude qui lui est reconnue. Il est bien plus prudent à lui, même pour les cas d'extrême urgence, et alors qu'il croirait n'avoir à faire que de simples réparations et des travaux d'entretien dans

'Conseil d'Etat, 20 avril 1839 (Faugas). — CONF. id., 31 janvier 1838 (Dubourdieu et Chauvet); id., 16 juillet 1842 (de Virieu).

les limites de l'autorisation primitive, de se munir de la permission de l'autorité compétente.

La faculté d'exécuter, sans autorisation, les simples réparations est le principe général; mais il peut y avoir des dérogations résultant de règlements spéciaux à certains cours d'eau. C'est ainsi qu'il a été décidé, dans une espèce, que la reconstruction de la roue d'un moulin situé sur l'Escaut, bien qu'effectuée dans les conditions antérieures, à titre de simple réparation, n'avait pu avoir lieu sans permission, et cela aux termes d'une ordonnance de l'ancien intendant du Hainaut, en date du 24 décembre 1785, prononçant une amende de trois cents livres contre tous ceux qui font sur ce cours des travaux quelconques sans autorisation 1.

Citons un autre cas exceptionnel : c'est celui où, pour pouvoir effectuer des travaux même de simples réparations ou d'entretien, il serait nécessaire de faire des manœuvres d'eau, par exemple, d'ouvrir un pertuis, une écluse pour mettre momentanément à sec la construction qu'il s'agit de réparer. L'usinier qui, sans permission, ferait des manœuvres de cette sorte, contreviendrait à l'article 4 de l'arrêt du Conseil de 1777 précité, lequel défend de changer le cours des eaux domaniales par quelque moyen que ce soit 2.

288. Lorsqu'elle autorise un établissement hydraulique, l'administration détermine, nous le verrons, quelle doit être la situation des œuvres extérieures de l'usine, ainsi que les conditions d'existence de ces œuvres. Il s'ensuit que l'autorisation s'applique exclusivement à l'usine qui y est indiquée, et nullement à toute autre qu'on voudrait y substituer, dût-on la bâtir identiquement sur le même emplacement. Ainsi, l'établissement primitivement autorisé a-t-il été détruit en tout ou partie? A-t-il été emporté par les eaux ou réduit

1 Conseil d'Etat, 2 janvier 1838 (Noël-Mathon).

* Conseil d'Etat, 24 mai 1851 (Leblanc).

en cendres par l'incendie? Ce n'est plus de simples réparations qu'il s'agit, mais bien d'une œuvre nouvelle; et, dès lors, l'autorisation doit précéder la construction de l'établissement qui vient remplacer celui qui a disparu.

Le sieur Puzin, propriétaire d'un moulin à nef, dont l'établissement sur le Rhône avait été autorisé par ordonnance royale du 26 novembre 1823, avait vu son usine emportée et détruite par l'inondation de 1852. Il la reconstruisit et la replaça au même lieu et dans les mêmes conditions extérieures, mais sans s'être muni au préalable de la permission de l'autorité compétente. Poursuivi pour ce fait, il avait été renvoyé des fins du procès-verbal par le Conseil de préfecture, «< attendu qu'il n'était pas établi que la nouvelle construction eût en rien modifié le régime des eaux, ou qu'elle fit obstacle à la navigation du Rhône ; et qu'aucune disposition législative n'exige une nouvelle autorisation pour la réparation ou la reconstruction, sur les rivières navigables ou flottables, d'une usine régulièrement autorisée. »

Le ministre des travaux publics se pourvut contre cette décision, et, le 19 décembre 1855, le Conseil d'Etat la réforma en ces termes : « Considérant qu'aux termes des articles 42 et 43 de l'ordonnance du mois d'août 1669, et de l'article 1er de l'arrêt du Conseil du 24 juin 1777, il est fait défense à toutes personnes d'établir, sans autorisation, aucunes constructions ou empêchements quelconques à la navigation, sur les rivières navigables ou flottables, à peine de démolition et d'amende; considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en 1852 le sieur Puzin a construit sans autorisation un moulin à nef, sur le Rhône.... Considérant que l'ordonnance royale du 26 novembre 1823, en autorisant le sieur Deville, aux droits duquel se trouve aujourd'hui le sieur Puzin, à établir un moulin à farine, à bateaux, sur le Rhône, n'a point eu pour effet de conférer au propriétaire de ce moulin, pour

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