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somption qui permet à l'autorité publique de considérer les entreprises nouvelles comme autant d'obstacles au libre cours des eaux.

L'usinier autorisé échappe donc virtuellement aux mésures provisionnelles de rigueur, et cela par une raison contraire à celle qui place l'usinier non autorisé sous le coup d'une menace permanente. C'est ainsi que l'obligation de l'autorisation préalable, pour tout établissement créé ou à créer sur les cours d'eau non navigables ni flottables, bien que n'étant écrite nulle part, a fini cependant par être acceptée comme un des principes de la matière.

Le Conseil d'Etat, au surplus, fait de ce principe une application constante. En voici un exemple tiré d'un arrêt du 21 décembre 1837 : « Considérant qu'aucune usine ne peut être établie, aucun barrage construit, aucune prise d'eau effectuée, même dans les rivières qui ne sont ni navigables, ni flottables, sans une permission préalable de l'autorité administrative; considérant qu'il résultait du rapport des ingénieurs des 16 mai, 8 juin 1835, que le sieur Avignon avait, sans autorisation, construit une nouvelle usine sur une dérivation de la rivière de l'Hern, et qu'il avait modifié, dans leurs dimensions et emplacement, le barrage et les vannes de prise d'eau de cette dérivation; que dès lors c'est compétemment et justement que le préfet du département de l'Ariége a, par son arrêté du 15 octobre 1835, ordonné provisoirement la mise en chômage de l'usine indûment construite et le rétablissement du barrage et des vannes dans leur état primitif, sauf au sieur Avignon à se pourvoir administrativement, pour obtenir telle autorisation qu'il appartiendra... '.

295. Il y a donc, pour examiner si un établissement situé sur un cours d'eau non navigable ni flottable a une existence légale, des motifs tout pareils à ceux qui portent à faire cet 1 CONF. Conseil d'Etat, 23 août 1836 (Frevin).

examen, relativement aux usines placées sur les eaux domaniales. Le premier motif est celui que nous venons d'indiquer; c'est la mise en chômage temporaire ou définitive qui, en l'absence de toute autorisation, peut atteindre les uns comme les autres. Le second motif, dont nous parlerons plus loin, c'est le cas de suppression partielle ou totale de l'établissement pour cause de travaux et d'utilité publique ; cette suppression, nous le verrons, n'entraîne au profit de l'usinier un droit à l'indemnité qu'autant que son établissement repose sur un titre légal.

296. Les règles de l'application desquelles dépend l'existence légale des usines en question diffèrent selon l'époque à laquelle on place l'origine de ces établissements.

297. Les usines situées sur les cours d'eau non navigables ni flottables sont dites anciennes, quand on en fait remonter l'existence antérieurement aux lois abolitives de la féodalité, et notamment au décret du 6 octobre 1791, dont l'article 16 du titre II porte ce qui suit : « Les propriétaires ou fermiers des moulins et usines construits et à construire seront forcés de tenir leurs eaux à une hauteur qui ne nuise à personne, et qui sera fixée par le directoire du département, d'après l'avis du directoire du district. >>

298. En ce qui concerne ces établissements anciens, situés sur les cours d'eau non navigables ni flottables, les actes de concession émanés des seigneurs féodaux ont une valeur pareille aux actes d'autorisation délivrés de nos jours. Ils procurent donc 3 aux usines, pour lesquelles ils sont représentés, une existence légale *.

A défaut d'une concession seigneuriale, la preuve de la légalité de ces usines peut « résulter des circonstances, et no

1 V. n. 274.

2 V. n. 363 et suiv.

V. n. 191.

• Conseil d'Etat, 1er février 1855 (Pruvost).

tamment de l'époque de leur construction, de la qualité de leurs constructeurs, et même de la prescription acquise avant la promulgation des lois abolitives de la féodalité 1. »

299. En tout cas, il ne peut y avoir de doute pour les établissements qui auraient été l'objet d'une vente nationale; cette vente leur confère l'existence légale. Nous verrons même qu'en principe il en résulte pour ceux qui les possèdent un droit à l'indemnité, si leurs forces motrices sont atteintes par des travaux d'utilité publique 3.

300. Les établissements modernes, c'est-à-dire les usines, constructions, dérivations, etc., créées depuis les lois abolitives de la féodalité, n'ont d'existence légale que si la construction ou l'exploitation en a été permise par l'autorité compétente. Or, cette autorité n'a pas toujours été la même ; elle a varié suivant les époques, et surtout suivant les régimes divers qui, depuis 1791, se sont succédés au pouvoir.

301. Ainsi, la loi du 6 octobre 1791 déjà citée porte que la hauteur des eaux pour les usines construites et à construire sera a fixée par le directoire du département, d'après l'avis du directoire de district. » Il en résulte qu'à partir de cette loi jusqu'à la publication de nouvelles dispositions, relatives aux eaux et aux usines, les permissions accordées par les administrations départementales sont des titres réguliers d'autorisation.

302. Les dispositions concernant les eaux et les usines, et bien plutôt les premières que les secondes, qui arrivent ensuite par ordre de date, sont un arrêté du Directoire exécutif du 13 nivôse an V, « sur la navigation et les chemins de halage sur les rivières d'Yonne, Seine et autres affluents, » non inséré

1 Conseil d'Etat, 18 juin 1852 (Roussille).

2 Conseil d'Etat, 11 juillet 1844 (Boulogne) ; id., 29 novembre 1851 (compagnie de la navigation du Dropt).

3 V. n. 376.

TOME 1.

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au Bulletin des lois, et une instruction ministérielle du 24 pluviôse suivant, pour l'exécution de cet arrêté. Ces actes n'indiquent pas expressément quelle est l'autorité ayant, à cette époque, pouvoir de légaliser l'établissement des usines. Mais de l'esprit qui les a dictés il paraît résulter que c'est au ministre de l'intérieur qu'était alors confiée la haute surveillance de toutes les entreprises formées sur les cours d'eau publics; d'où il faut conclure qu'à partir de cet arrêté de l'an V les au torisations données par les administrations départementales ne valent que comme provisoires, et sont insuffisantes pour procurer aux établissements hydrauliques l'existence légale ; seuls les arrêtés ministériels ont eu à cette époque cette valeur et ce résultat définitifs '.

C'est ce que confirme un autre arrêté du Directoire du 9 ventôse an VI, relatif à un fait particulier d'établissement hydraulique qui venait d'être effectué dans le département de l'Aube, sur la seule permission de l'administration de ce département. On y lit : « L'autorisation donnée au citoyen Bouillerot par l'administration centrale de l'Aube, le 14 ventôse an V, est subordonnée à l'examen de l'administration générale, chargée de la conservation des rivières, canaux, fleuves et ruisseaux de la République; l'administration centrale de l'Aube est, au surplus, invitée, conformément aux lois existantes, à l'arrêté du 13 nivôse an V et à l'instruction du 24 pluviôse suivant, à ne permettre l'exécution d'aucun de ses arrêtés portant autorisation d'établissement d'usines sur les rivières, canaux et ruisseaux navigables et flottables de son ressort, qu'autant que ces actes seront revêtus de l'homologation du ministre de l'intérieur. » Cet arrêté, bien que pris à l'occasion d'un cas particulier, a reçu les honneurs de l'insertion au Bulletin des lois. Il faut donc lui attribuer une portée générale au point de vue de la doctrine.

'Conseil d'Etat, 18 août 1849 (Truelle-Mullet).

Cet état de choses, qui plaçait ainsi les autorisations définitives parmi les attributions exclusives du ministre de l'intérieur, a duré, en fait, jusqu'en l'année 1817.

303. A la date du 31 octobre 1817 intervint un avis du Conseil d'Etat qui, « à raison de la matière et des intérêts divers auxquels pouvaient s'appliquer ces mesures,» a pensé que les permissions d'usines puiseraient une plus grande autorité dans un acte émané du chef du pouvoir exécutif.

A compter de cette époque, et « sur toutes les questions de cette nature, des projets d'ordonnance, au lieu de décisions ministérielles, ont été soumis à la délibération du Comité du Conseil d'Etat compétent; et, suivant que, dans certains cas, soit le Comité, soit le ministre, l'a jugé convenable, quelquesuns de ces projets d'ordonnances, en petit nombre, ont été portés à l'assemblée générale du Conseil d'Etat. Mais c'était là, dans l'usage, une marche purement facultative et nullement obligatoire 1. Jamais le Comité de l'intérieur, et plus tard le Comité des travaux publics, n'ont pensé qu'une ordonnance contenant règlement d'eau, et rendue sur leur délibération seulement, fût entachée de nullité. >>

Une ordonnance royale du 27 décembre 1846 confirma cet état de choses, en déclarant que les actes administratifs, ayant pour objet d'autoriser l'établissement ou de régler l'usage des usines sur les cours d'eau, ne devaient pas être portés à l'assemblée générale du Conseil d'Etat.

304. A la suite de notre dernière révolution, un décret des 2-4 mars 1848 ordonna que « les affaires d'administration courante qui, dans l'état actuel de la législation, ne pouvaient être réglées qu'au moyen d'ordonnances royales, seraient valablement décidées par le ministre provisoire du départe

CONF. Conseil d'Etat, 11 décembre 1848 (Priot-Letourney).

Avis du ministre des travaux publics sur l'affaire Priot-Letourney; voir Lebon, Arrêts du Conseil, vol. de 1848, p. 668.

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