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si le contrat de vente eût contenu à ce sujet quelque clause expresse1.

373. Mais la vente nationale, qui a pu enlever parfois aux établissements, dont l'origine est antérieure à l'inaliénabilité du cours d'eau alimentaire, le droit à l'indemnité, a pu également le donner à des usines qui en étaient privées, à raison de ce qu'elles avaient été construites postérieurement à cette inaliénabilité; et c'est là précisément une deuxième exception à la règle susindiquée, qui veut que les établissements situés sur les cours d'eau navigables et flottables n'aient pas de titre légal à l'indemnité.

Toutefois, pour que cette exception existe, il faut qu'elle ait été stipulée; il faut que la vente ait eu lieu avec affectation spéciale à l'usine d'une force motrice déterminée; car si le contrat se taisait sur ce point, il n'en résulterait pas que l'Etat eût consenti une dérogation à la législation générale qui régit la matière 2. Lorsque, au contraire, il y a une clause expresse, relative à la transmission de la force motrice, l'Etat est tenu comme vendeur de cette force; ce qu'il s'est engagé à transmettre, ce qu'il a délivré, il en doit garantie en cas d'éviction, alors surtout que l'éviction provient de son fait personnel 3.

Au surplus, la clause dont il s'agit n'a pas besoin d'être écrite en termes sacramentels. Elle serait suffisamment expresse dans le cas où l'acte porterait, par exemple, vente d'une usine avec meules tournantes en nombre déterminé *; ou encore vente d'un moulin à eau, avec ses appartenances et dépendances. C'est notamment cette dernière mention qui

1 Conseil d'Etat, 16 novembre 1850 (actionnaires des moulins de Moissac). 2 Conseil d'Etat, 11 mai 1838 (Berteau); id., 13 février 1846 (Poullet). 3 Conseil d'Etat, 29 août 1834 (Delorme); id., 29 mars 1851 (Chevalier). Avis du ministre des travaux publics dans l'affaire des actionnaires des moulins de Moissac. V. Lebon, Arrêts du Conseil, vol. de 1850, p. 824.

était le plus généralement usitée dans les affiches et les contrats de ventes nationales.

374. La troisième exception au principe de non-indemnité se produit lorsque l'usine, atteinte dans sa force motrice, bien qu'autorisée postérieurement à 1566, ne l'aurait été qu'à titre onéreux, moyennant un capital versé dans les caisses de l'État1. A la vérité, l'indemnité est, en pareil cas, bien plus une restitution exigée par l'équité et la justice qu'un dédommagement.

Naturellement, il n'en serait plus de même si la condition de l'autorisation avait été le payement, non d'un capital, mais d'une redevance, puisque ce payement, par sa périodicité, eût dénoté la précarité même de la jouissance dont il était le loyer. Dans cette hypothèse, la suppression de la force motrice primitivement concédée entraîne virtuellement la cessation de la redevance; voilà tout.

375. Le droit à l'indemnité, quand une fois il a commencé d'exister au profit d'un établissement, ne saurait être effacé par l'effet d'un règlement d'eau postérieur au titre légal primitif. Cette idée a déjà été exprimée à l'occasion de la clause résolutoire qu'il est d'usage d'insérer dans les autorisations accordées de nos jours 3.

376. Nous avons maintenant à dire comment se comportent les établissements sur les cours d'eau non navigables ni flottables, au cas de dommages et de suppression de force motrice.

Parlons du titre légal à l'indemnité que, dans cette hypothèse, leurs détenteurs peuvent faire valoir.

1 Avis du ministre des travaux publics dans l'affaire du sieur Paris. V. Lebon, Arrêts du Conseil, vol. de 1839, p. 50; Nadault de Buffon, t. I, p. 346. 2 Conseil d'Etat, 26 novembre 1846 (Courtès- Bringon); id., 15 décembre 1846 (Jouvin); id., 22 mars 1851 (Noé).

3 V. n. 345.

Que le droit à l'indemnité soit l'exception en matière de cours d'eau navigables et flottables, cela se conçoit. Les jouissances qu'y exercent les particuliers ne reposent que sur la bonne volonté, la tolérance de l'Etat ; loin d'avoir des racines dans la loi, elles lui sont plutôt contraires : on peut le dire à la rigueur. Mais, en ce qui concerne les cours d'eau non navigables ni flottables, les choses sont toutes différentes. Si, là encore, il s'agit d'eaux publiques, l'emploi du moins n'en a jamais été défendu aux particuliers. Le législateur en a, au contraire, attribué l'usage d'une manière successive, d'abord aux seigneurs locaux, puis aux propriétaires riverains. La seule condition à laquelle il l'ait, en dernier lieu, subordonné, c'est la réglementation administrative. Notre législation et, notamment, l'article 644 du Code Napoléon sont donc l'origine et la base de la possession des usiniers. Dès que cette possession remplit la condition que la loi lui a imposée, c'est-à-dire lorsque, antérieurement aux travaux publics dont elle subit les atteintes, elle a reçu l'agrément de l'autorité, elle constitue même vis-à-vis de la société, de l'Etat, un véritable droit réel, dont la suppression plus ou moins complète ne peut avoir lieu que moyennant indemnité. Tel est le principe qui régit les usines sur les rivières et ruisseaux, et qui, comme on peut le voir, est tout l'opposé de celui que nous venons de signaler relativement aux usines situées sur les cours d'eau navigables et flottables. Il est donc de jurisprudence constante que l'indemnité est due, en règle générale, pour tout établissement sur les cours d'eau non navigables ni flottables, dont l'origine serait antérieure à l'abolition de la féodalité, ou pour lequel on représenterait un acte d'autorisation obtenu postérieurement à cette abolition1.

377. Cette règle ne comporte d'exception qu'au cas où,

1 Conseil d'Etat, 15 mars 1844 (Glais Bizoin).

soit dans l'autorisation, soit dans un acte de vente nationale, la clause de non indemnité aurait été stipulée d'une manière expresse1.

378. Il ne nous reste plus qu'à dire quelques mots des usines situées sur les eaux susceptibles d'appropriation privée, telles que les eaux des sources naturelles ou artificielles. La privation de ces eaux et des forces motrices qu'elles procurent constitue évidemment une expropriation, et dès lors l'indemnité est due de plein droit. Ici encore, c'est la nature même des eaux alimentaires, c'est leur caractère tout privé qui, pour les usines qu'elles font mouvoir, forment le titre légal dans les termes de l'article 48 de la loi du 16 septembre 1807.

379. Avançons et voyons maintenant, au cas où l'indemnité réclamée par un usinier lui serait refusée en tout ou partie par l'Etat ou par les concessionnaires de travaux, devant quels tribunaux cet usinier devrait porter son action.

380. Primitivement, et alors que la loi du 16 septembre 1807 régissait seule la matière des travaux publics, c'était aux Conseils de préfecture, désignés par la loi du 28 pluviðse an VIII comme uniques arbitres en cette matière, qu'il appartenait de statuer sur l'action en indemnité. Il n'y avait pas lieu de distinguer, relativement à la compétence, comme nous allons voir qu'on doit le faire aujourd'hui, entre les causes diverses de l'indemnité, c'est-à-dire entre les dommages permanents et les dommages temporaires; et, parmi les dommages de la première sorte, entre ceux qui sont de véritables expropriations et ceux qui n'ont pas ce caractère. Pour toutes ces causes d'indemnité, quelles qu'elles fussent, la compétence était la même : c'était celle du Conseil de préfecture. Cela dura jusqu'à la loi du 8 mars 1810,

Voir ce qu'est cette clause au numéro 345,

* Conseil d'Etat, 11 juillet 1844 (Boulogne); id., 29 juillet 1846 (Monard); id., 29 novembre 1851 (Compagnie de la navigation du Drop!).

qui, la première, attribua aux tribunaux civils l'expropriation pour cause d'utilité publique, ainsi que l'évaluation de l'indemnité qui en résulte. Mais ce système nouveau ne devait point avoir d'effet rétroactif. Un décret interprétatif du 18 août 1810, s'appuyant sur la règle générale de la nonrétroactivité des lois, expliqua que « les décisions rendues par décrets impériaux, antérieures à la loi du 8 mars 1810, et prononçant l'expropriation, soit explicitement, par la désignation des propriétés, soit implicitement, par l'adoption des plans qui y sont annexés, recevraient leur exécution selon la loi du 16 septembre 1807, sans qu'il fût besoin de recourir aux tribunaux, conformément à la loi du 8 mars 1810. »

Le système judiciaire de cette dernière loi fut complété d'abord par la loi du 7 juillet 1833, puis par celle du 3 mai 1841, lesquelles créèrent un jury spécial et lui confièrent le soin de prononcer sur les demandes en indemnité que formeraient les propriétaires et autres intéressés lésés par l'expropriation. Toutefois, il est dit dans l'article 39 de la loi de 1841 « Lorsqu'il y a litige sur le fond du droit ou sur la qualité des réclamants, et toutes les fois qu'il s'élève des difficultés étrangères à la fixation du montant de l'indemnité, le jury règle l'indemnité indépendamment de ces litiges et difficultés, sur lesquels les parties sont renvoyées à se pourvoir devant qui de droit. »

Faisons maintenant l'application de ces diverses dispositions législatives.

381. Il en résulte évidemment qu'en principe, c'est le Conseil de préfecture qui, en matière de dommages causés au régime hydraulique des usines, est le juge des indem

nités.

382. Il l'est tout d'abord, sans contestation possible, pour toutes les questions d'indemnité soulevées à l'occasion de travaux d'utilité publique dont les plans auraient été approu

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