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vés dès avant la loi du 8 mars 1810; le décret du 18 août 1810 précité est formel à cet égard '.

Ce n'est pas là, d'ailleurs, une remarque sans utilité pratique pour le présent et pour l'avenir, si nous nous en rapportons au témoignage d'un auteur à qui sa position administrative a permis d'être à cet égard parfaitement renseigné. « Il reste encore aujourd'hui, dit M. l'ingénieur Nadault de Buffon, à achever et même à commencer des entreprises de travaux publics qui se trouvent dans cette catégorie 2. »

383. Quant aux questions relatives aux travaux dont les projets et les plans sont postérieurs à la loi du 8 mars 1810, c'est également au Conseil de préfecture qu'en appartient la connaissance dans la généralité des cas. Nous allons voir, en effet, que c'est exceptionnellement que la suppression des forces motrices d'une usine hydraulique constitue une expropriation. Or, c'est au cas d'expropriation seul, qu'aux termes des lois des 8 mars 1810, 7 juillet 1833 et 3 mai 1841, la juridiction civile devient compétente.

384. Elle ne saurait l'être, par exemple, lorsque l'indemnité réclamée a simplement pour cause un chômage momentané de la force motrice, un dommage variable et discontinu.

Le sieur Aguado, propriétaire des forges de Grossouvre et de Trézy, situées sur la rivière de l'Aubois (Cher), ayant vu la force motrice de ses usines amoindrie par suite de l'exécution du canal du Berry, forma contre l'Etat une demande en indemnité, devant le tribunal civil de Saint-Amand. Le préfet du Cher, au nom de l'Etat, proposa un déclinatoire et soutint que le Conseil de préfecture seul devait être saisi de cette demande. Dans l'espèce, disait-il, le vo

1 Conseil d'Etat, 29 avril 1823 (Chapuis); id., 22 novembre 1829 (Léonard); id., 18 octobre 1830 (Vallot); id., 8 février 1838 (Marlet).

2 Usines, t. II, p. 150.

lume d'eau de la rivière n'était diminué que lors de l'ouverture de l'écluse, c'est-à-dire suivant les besoins variables de la navigation. Une multitude de circonstances pouvaient, d'ailleurs, modifier d'années en années le préjudice résultant des prises d'eau ainsi faites; et les réservoirs alimentaires dont l'établissement devait avoir lieu faisaient espérer que, dans un temps peu éloigné, le canal serait en position de fournir à la rivière de l'Aubois un excédant d'eau bien supérieur aux faibles éclusées que la navigation y empruntait temporairement et par intervalles irréguliers. Nonobstant ces raisons, le tribunal de Saint-Amand ayant déclaré sa compétence, le conflit fut élevé ; et, le 9 mai 1841, le Conseil d'Etat y statua en ces termes : « Considérant que, bien que les déversoirs de superficie et de fond que l'Etat a fait construire en avant des usines de Grossouvre et de Trézy, situées sur la rivière de l'Aubois, soient des ouvrages permanents au moyen desquels l'administration règle les pri ses d'eau nécessaires au service de la navigation du canal du Berry, cependant l'état des travaux à faire pour alimenter ce canal n'est pas encore arrêté par l'administration, puisqu'elle s'occupe en ce moment de la construction de réservoirs avec le secours desquels elle allègue qu'elle pourra conserver auxdites usines la force motrice dont elles jouissaient avant la confection de ces travaux; considérant, dès lors, qu'il ne s'agit pas dans l'espèce d'une expropriation résultant d'une réduction perpétuelle de la force motrice d'une usine, mais d'un dommage variable et discontinu, qui ne peut être apprécié que par le Conseil de préfecture du département, dans les formes prescrites par la loi du 16 septembre 1807; et qu'ainsi, la revendication exercée par le préfet du Cher est fondée... 1. »

' CONF. Conseil d'Etat, 9 mai 1841 (de Bengy); Tribunal des conflits, 17 juillet 1850 (de Mortemart).

385. Passons maintenant à l'hypothèse contraire, c'està-dire au cas où la demande en indemnité aurait pour cause des dommages permanents, tels que la suppression ou la diminution définitive des eaux alimentaires d'une usine.

Dans ce nouveau cas, la question de compétence, tout en n'offrant pas de difficultés plus réelles que dans le précédent, comporte cependant plus de distinctions. Il est évident que, selon la nature des eaux qui donnent le mouvement à l'usine, et suivant que ces eaux seront ou ne seront pas l'objet d'une appropriation de la part du maître de l'établissement, la réduction et la suppression de la force qu'elles procurent constitueront ou ne constitueront pas une expropriation, et, par conséquent, appelleront la juridiction des tribunaux civils, ou celle des Conseils de préfecture.

C'est donc encore ici le cas d'appliquer ces règles, concernant les eaux de diverses sortes, que plus d'une fois déjà nous avons eu l'occasion de rappeler.

386. En matière d'eaux navigables et flottables, les atteintes que les établissements subiraient dans leur système hydraulique ne sauraient, en principe, constituer d'expropriation, puisque la domanialité et l'inaliénabilité dont les eaux sont frappées ôtent tout caractère de propriété aux jouissances qui y seraient exercées par les particuliers. On peut donc en conclure que, dans la généralité des cas qui concernent les usines situées sur les eaux en question, le Conseil de préfecture est seul compétent pour connaître des demandes d'indemnité.

Mais, on le sait, le principe d'inaliénabilité des eaux domaniales subit une dérogation. Lorsqu'un établissement est d'une origine antérieure à l'année 1566, cet établissement repose sur un titre légal que l'édit de 1683 précité considère comme un droit de propriété. Il y aurait donc une véritable

' V. n. 234, 240, 276 et suiv.

expropriation, motivant la compétence des tribunaux civils, au cas où, par exception, ce serait une usine de cette sorte qui verrait ses forces motrices définitivement réduites ou supprimées par suite de travaux publics. Mais, encore une fois, il n'y a que cette dérogation à la règle générale.

387. Cette même question de compétence, soulevée relativement aux cours d'eau non navigables ni flottables, a donné lieu à quelques hésitations.

A l'époque où l'opinion la plus généralement répandue était que ces cours d'eau appartenaient aux riverains, on en avait conclu qu'il y avait autant d'expropriations, ressortissant aux tribunaux civils, dans les dommages permanents que les travaux publics occasionnaient aux usines situées sur ces eaux. C'est à cette solution que, d'abord, s'était arrêtée la jurisprudence des cours, et même celle du Conseil d'Etat.

Mais cette jurisprudence n'a pu persister, quand l'opinion, plus éclairée, a cessé d'admettre l'appropriation, par les riverains, des petites rivières et des ruisseaux, et les a regardés, au contraire, comme des choses qui n'appartiennent à personne, et qui ne sont susceptibles que d'un usage commun. Il y avait là un nouveau point de départ qui ne permettait plus de regarder la suppression plus ou moins complète des forces motrices procurées par ces eaux, comme un fait d'expropriation, et qui, par conséquent, amenait naturellement, en cas de dommages de cette sorte, l'attribution aux Conseils de préfecture des demandes en indemnité.

C'est en ce sens qu'aujourd'hui se prononce constamment le Conseil d'Etat.

Les héritiers Rouxel, ayant subi la suppression des forces

Cass., 21 mai 1855 (Dumont); V. n. 391.

mai 1844 (Société des moulins d'Albarèdes).

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Contra, Conseil d'Etat, 17

2 Conseil d'Etat, 17 août 1825 (Manisse); id., 18 avril 1835 (Dietsch); Cass., 23 novembre 1836 (préfet de la Sarthe,; id., 23 avril 1838 (préfet de l'Oise).

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motrices d'une usine qui leur appartenait sur le ruisseau le Gouédic, avaient réclamé une indemnité à l'Etat. Le Conseil de préfecture des Côtes-du-Nord ne leur alloua qu'une somme, selon eux, insuffisante; ils demandèrent alors au Conseil d'Etat d'annuler la décision de ce tribunal administratif, comme incompétemment rendue. Mais le Conseil d'Etat, par arrêt du 13 août 1851, statua en ces termes : « Considérant que la pente des cours d'eau, même non navigables ni flottables, n'est pas susceptible de propriété privée; qu'aux termes de la loi du 16 septembre 1807, toutes demandes d'indemnité pour expropriation totale ou partielle, ou pour dommages résultant de l'exécution de travaux publics, étaient soumises à l'appréciation du Conseil de préfecture; que la loi du 8 mars 1810, applicable seulement aux expropriations proprement dites, n'a en rien modifié les dispositions de la loi du 16 septembre 1807 en ce qui concerne les questions de dommages, dont les Conseils de préfecture ont dû continuer à connaître, quelles que fussent, d'ailleurs, la nature, l'importance et la durée du dommage; que les lois des 7 juillet 1833 et 3 mai 1841, en changeant les conditions et les formes de l'expropriation pour cause d'utilité publique, n'ont point étendu la limite de la compétence des tribunaux, ni enlevé aux Conseils de préfecture la connaissance des difficultés sur lesquelles ils n'ont pas cessé de prononcer sous l'empire de la loi de 1810;... qu'il suit de là que, dans l'espèce, il appartient au Conseil de préfecture de connaître du dommage causé aux héritiers Rouxel par l'exécution des travaux publics qui ont entraîné la suppression de la force motrice de leur moulin, et de régler l'indemnité qui peut leur être due pour ce dommage... 1. »

388. Toutefois, cette solution n'est juste qu'autant que c'est uniquement dans l'usage que l'usinier fait des eaux, qu'il 'CONF. Conseil d'Etat, 17 décembre 1847 (héritiers Pinon).

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