Page images
PDF
EPUB

bles et flottables, et depuis 1566, la permission de l'autorité fait bien que les usines établies sur ces eaux ne constituent pas une contravention à la loi, mais ne donne pas à ces usines un titre à l'indemnité, dans les termes de l'article sus-indiqué '.

1

Les règles sont moins rigoureuses pour les usines situées sur les cours d'eau non navigables ni flottables. Il faut exclure de l'évaluation de l'indemnité, simplement les augmentations de forces motrices que les usiniers se seraient procurées sans la permission de l'administration, ou pour lesquelles ils n'auraient reçu l'autorisation que sous condition résolutoire 2.

Dans une espèce, où le titre légal d'une usine consistait dans un acte de vente nationale, le Conseil d'Etat, le 22 novembre 1841, a jugé en ces termes : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que, depuis l'adjudication nationale dont l'usine du sieur Boulogne a été l'objet le 11 juin 1791, des changements ont été opérés dans les ouvrages extérieurs de cette usine sans la permission de l'autorité; que l'indemnité due au sieur Boulogne, ne pouvant être basée que sur l'état légal de l'usine, il s'ensuit que, dans le règlement de ladite indemnité, il ne doit pas être tenu compte des changements précités, et que, sans pouvoir dans aucun cas excéder le dommage éprouvé réellement et de fait par le sieur Boulogne, ladite indemnité doit être uniquement calculée d'après le préjudice que ce propriétaire aurait eu à souffrir, si, lors des prises d'eau effectuées par la compagnie concessionnaire, l'usine eût encore été, quant à ses ouvrages extérieurs, dans les conditions hydrauliques où elle se trouvait le 11 juin 1791. »

L'exclusion ainsi donnée aux augmentations qui, sans titre légal, auraient été apportées aux forces motrices n'at

' V. Rt. 371.

2 V. . 377.

teint pas, bien entendu, les modifications et les améliorations que l'usinier avait la faculté d'introduire dans le mécanisme extérieur ou intérieur de son établissement. Les améliorations de cette dernière sorte, dès qu'il n'en résulte pas d'innovation dans le régime ni dans la dépense des eaux, n'excédant en rien le droit de l'usinier, sont de celles dont il doit être tenu compte dans l'évaluation de l'indemnité.

C'est surtout au cas où les changements effectués dans l'usine seraient intérieurs, qu'une solution de cette sorte est éminemment juste et équitable : « Considérant que l'indemnité doit être uniquement calculée d'après le préjudice que le sieur Rouyer aurait eu à souffrir si, lors des prises d'eau effectuées, l'usine eût encore été, quant à ses ouvrages extérieurs, dans les conditions hydrauliques où elle se trou vait en 1790; et qu'il résulte de l'instruction que les diverses modifications opérées dans le régime intérieur de l'usine n'avaient rien changé à ces conditions; que, dès lors, c'est à tort que le Conseil de préfecture de la Meuse n'a pas réglé l'indemnité sur le tort fait à l'usinier, eu égard à l'état de l'usine ... >>

Rien, d'ailleurs, ne pourrait enlever à l'usinier le droit de faire comprendre dans son indemnité les changements et les améliorations qu'il avait la faculté de faire exécuter sans permission; il jouirait pleinement de ce droit, encore bien que, ne voulant pas faire ces innovations à ses risques et périls, il eût préféré se munir, comme en cas, d'une autorisation préalable, et que cette autorisation ne lui eût été accordée que sous la condition de la clause résolutoire. Plus haut nous avons parlé de cette clause qui, de nos jours, est insérée même dans les actes d'autorisation relatifs aux cours d'eau non navigables ni flottables, et aux termes de laquelle il ne serait dû aucune indemnité dans le cas où les travaux, objet

■ Conseil d'Etat, 29 novembre 1851 (Rouyer).

de la permission administrative, seraient ultérieurement supprimés en vue de la sûreté, de la salubrité ou de l'utilité publiques.

Un sieur Beaufrère, propriétaire d'un moulin d'Isle, dont l'établissement était légal, avait fait en 1847 des modifica tions au coursier et aux roues de son usine, mais sans toucher en rien au régime de ses forces motrices.

Les travaux avaient été autorisés par une ordonnance royale du 29 mars 1847, dont l'article 26 contenait la condition ordinaire de non-indemnité, dite clause résolutoire. Le sieur Beaufrère ayant eu plus tard à subir des chômages, par suite de l'exécution du canal de Saint-Quentin, réclama une indemnité qui lui fut refusée par les concessionnaires du canal. Ceux-ci se retranchaient derrière la clause de non-indemnité. Devant le Conseil d'Etat, saisi de la question, M. de Lavenay, commissaire du gouvernement, prit en faveur de l'usinier des conclusions fort nettes et fort remarquables.

« Le Conseil, dit-il, a toujours admis un principe que nous considérons comme la base de notre opinion. Il a toujours admis, et nous nous souvenons avoir entendu M. le commissaire du gouvernement Paravey présenter cette idée comme acceptée sans difficulté dans le sein du Conseil, que l'administration ne pouvait imposer des clauses de renonciation à des droits éventuels d'indemnité dans les circonstances où la nécessité d'une autorisation administrative préalable est imposée aux particuliers, non point afin que l'administration leur accorde, leur concède quelque chose, mais uniquement afin qu'elle puisse exercer sa surveillance, afin qu'elle vérifie si, sous une apparence de travaux rentrant dans l'exercice naturel du droit de propriété, le particulier ne dissimule pas un empiétement

IV. n. 345.

quelconque, une usurpation quelconque des droits de l'Etat ou du public. Ainsi, et c'était là précisément l'exemple que citait M. Paravey, lorsqu'un propriétaire, voulant construire le long d'une grande route, demande une autorisation préalable, l'administration ne pourrait insérer, dans l'acte donnant l'alignement, la condition que la maison sera démolie saus indemnité, si l'utilité publique le requiert. Dans ce cas, disait M. Paravey, le propriétaire ne fait qu'user de son droit de propriété. L'intervention administrative a seulement pour but d'empêcher qu'au milieu de ses travaux de construction il n'opère un empiétement sur ce qui est ou doit être la voie publique...

« Dans l'espèce, de quoi s'agit-il? D'un changement opéré dans les proportions et dans la position relative de la roue et du coursier. Ce changement, approuvé dans tous ses détails par l'autorité administrative, a-t-il eu pour résultat d'accorder à l'usine une plus grande quantité d'eau ou une plus grande hauteur de chute? Certainement non. Les rapports des ingé nieurs ne laissent pas le moindre doute à cet égard, Tout se réduit donc à ceci, qu'un certain nombre de gouttes d'eau, glissant précédemment à côté de la roue sans la toucher, et opérant sur le coursier un choc inutile, frappent aujourd'hui cette roue mieux placée, et augmentent sa vitesse. Nous demandons à tout homme de bonne foi en quoi cela peut intéresser la viabilité, la sécurité, ces deux grands intérêts au nom desquels on a constitué, en matière de cours d'eau, le pouvoir discrétionnaire de l'administration. Bien évidemment l'administration n'intervient dans les changements apportés aux roues et au coursier que pour exercer un droit de surveillance, pour s'assurer qu'à la faveur de ces changements on n'augmente pas la hauteur d'eau accordée à l'usine.

[ocr errors]

L'article 48 de la loi du 16 septembre a consacré la légalité des clauses de non-indemnité dans les actes d'autorisation

[ocr errors]

d'usines; mais dans quelle mesure a-t-il consacré cette légalité? Voici le texte: «Il sera... examiné si l'établissement des mou<«<lins et usines est légal, ou si le titre d'établissement ne « soumet pas les propriétaires à voir démolir leurs établisse<<ments sans indemnité si l'utilité publique le requiert. Nous comprenons qu'on dise: Par les mots titre d'établissement la loi n'a pas entendu seulement le titre d'établissement originaire, elle a entendu tout titre d'établissement, et, par conséquent, tout titre d'établissement supplémentaire, tout titre établissant en faveur du moulin une augmentation dans le volume des eaux motrices ou une augmentation dans la hauteur de sa chute. Mais n'est-ce pas abuser étrangement du sens des mots que de considérer comme un titre d'établissement l'autorisation donnée à une usine, possédant antérieurement un titre d'établissement parfaitement légal, de rectifier une disposition reconnue vicieuse de roue et de coursier, alors que cette rectification n'a pas pour résultat de lui donner un plus grande hauteur d'eau. »

A la suite de ces arguments juridiques, et pour mieux les appuyer, M. le commissaire du gouvernement faisait valoir des considérations économiques. Il faisait remarquer que l'application de la clause résolutoire ou de non-indemnité aux simples innovations dans le mécanisme porterait un coup funeste à l'industrie, en empêchant à l'avenir toutes améliorations de cette sorte. « Qu'on se représente, disait-il, deux usiniers, l'un actif et intelligent, l'autre inintelligent et routinier, possédant l'un et l'autre un moulin ancien. Le premier voudra améliorer le système autrefois adopté pour l'emploi de sa force motrice; pour cela, il lui faudra se servir d'ingénieurs éclairés, d'ouvriers habiles; il lui faudra faire des travaux hydrauliques, ce qui est toujours fort coûteux; les roues perfectionnées dont il voudra se servir seront probablement plus dispendieuses que les anciennes roues. L'autre ne fera rien,

« PreviousContinue »