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branches diverses de l'industrie générale. Seul, le travail qui s'opère sur les matières premières, sur les substances animales, végétales et minérales, qui les modifie, les transforme, et leur donne comme une nouvelle nature et de nouvelles propriétés, n'a pas reçu de désignation particulière; et c'est à lui qu'échoit en définitive et d'une manière immédiate la qualification d'industrie. Tel est, du reste, le sens le plus habituel de ce mot, et nous avons à peine besoin de faire observer qu'ici, dans ce traité, c'est avec cette acception restrictive que nous l'emploierons continuellement.

A l'industrie ainsi entendue, se rattachent les produits et les établissements industriels, les uns qui sont le résultat de la préparation des matières premières et de la transformation de ces matières en objets manufacturés ; les autres qui consistent dans les fonds de terre, les édifices et constructions affectés au travail auquel sont dues cette préparation et cette transformation.

L'industrie, ses agents, ses produits, ses établissements, comme la plupart des autres faits humains, ont été de la part du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire l'objet de préoccupations attentives et de nombreuses prescriptions. C'est ainsi que, relativement aux agents de l'industrie, ces pouvoirs ont déterminé, par exemple, entre les diverses professions, celles qui seraient interdites aux particuliers, le monopole en étant réservé à l'État 1, et celles qui, par divers motifs d'ordre public ou d'intérêt fiscal, ne pourraient être exercées que moyennant brevets, licences ou permissions 2, etc. Pour ce qui concerne les produits industriels, le législateur, notamment, en a assuré la propriété dans une certaine mesure et les a, en outre, protégés contre la contrefaçon, le dol et la

1 Fabrique des poudres, de tabac, etc.

2 Professions d'imprimeur, de directeur de spectacles, etc.; et, dans certaines villes, celles de boucher et de boulanger.

fraude. Mais, d'autre part, il les assujettissait dans quelques cas à des taxes de contrôle et de fabrication 2, et à des droits de douane et d'octroi. Enfin, il a cru devoir réglementer les établissements industriels sous le rapport de l'emplacement et du local. Considérant les fonds de terre dans l'affectation qui en est faite à l'industrie, il a déterminé les conditions de la jouissance légale que les propriétaires et les exploitants peuvent en avoir à ce point de vue particulier.

Nous n'avons pas songé un seul instant à suivre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire sur tous les points où ils ont cru devoir s'occuper de l'industrie.

Nous avons dû et voulu limiter une tâche déjà trop lourde peut-être; et, au milieu des éléments nombreux dont se compose le droit qui régit l'industrie en France, c'est sur la matière si étendue et si importante d'ailleurs des établissements industriels que, de préférence, se sont portées nos études.

Nous allons donc envisager ces établissements au point de vue légal et juridique; nous exposerons et commenterons les lois, ainsi que les divers règlements de l'autorité publique auxquels ils sont soumis, sous le rapport de leur existence. et de leur exploitation, et aussi sous le rapport des droits de propriété et de jouissance dont ils sont susceptibles. Nous discuterons également les applications que la doctrine et la jurisprudence ont faites ou peuvent faire de ces lois et de ces règlements. Dans le cours de ce travail, nous nous rappellerons surtout que notre ouvrage n'est pas destiné aux jurisconsultes seuls, et qu'il l'est également aux manufacturiers,

↑ Arrêté du 23 nivôse an IX; décrets des 22 germinal an XI, 18 mars 1806, 11 juin 1809, 25 juillet 1810, 22 décembre 1812, etc., sur la propriété des marques et dessins de fabrique; loi du 5 juillet 1844, sur les brevets d'invention, etc.

2 Déclaration du 26 janvier 1749; loi du 19 brumaire an VI; arrêté du 15 prairial an VI; ordonnance du 5 mai 1824; id., 7 avril 1838: matières d'or et d'argent, cartes à jouer, bières et alcools, etc.

aux usiniers et aux ingénieurs qui s'occupent de l'industrie; que tous ceux à qui nous nous adressons ne sont pas, à raison de leurs occupations habituelles, familiarisés avec le langage juridique, et qu'il faut, par conséquent, nous efforcer d'être toujours clair, précis et méthodique autant que possible, et ne donner que des solutions utiles au point de vue de la pratique.

2. Les établissements industriels sont de sortes aussi diverses que nombreuses; il nous serait impossible d'en faire l'énumération.

En général et dans le langage habituel, ces établissements reçoivent l'une des dénominations génériques qui suivent :

Là où c'est principalement à la main et à l'intelligence de l'homme, fonctionnant de concert, que sont dus les produits industriels, il y a une manufacture, si l'établissement est considérable et s'il y est employé un grand nombre d'ouvriers; il n'y a plus qu'une fabrique, si l'entreprise a peu d'importance et n'occupe qu'un très-faible personnel.

L'établissement fonctionne-t-il au moyen des éléments? Est-ce surtout à l'action de l'eau, du vent, de la vapeur, de l'électricité ou des agents chimiques qu'en sont dus les produits, et l'action de l'homme n'y rend-elle qu'un service secondaire ? Dans ce cas, il reçoit la dénomination d'usine 1.

Quand l'établissement enfin ne sert qu'à abriter le travail professionnel d'un ou de quelques individus, il n'est plus qu'un atelier.

Ce terme d'atelier désigne encore les diverses parties d'une usine, d'une manufacture, etc., dont chacune est affectée aux opérations successives et distinctes d'une même fabrication.

En dehors des ateliers, des usines, des manufactures, il existe encore certains emplacements consacrés à l'industrie,

V. n. 637 et suiv.

tels que les mines, minières, salines, tourbières et carrières. Ce sont aussi de véritables établissements industriels. En effet, l'acte d'extraire du sein de la terre, où ils seraient restés inutiles à la prospérité générale, les minéraux qui viennent ensuite alimenter l'industrie des métaux et des constructions, constitue évidemment une préparation, une transformation réelle des matières premières.

Mais quelle que soit la part qu'il faille faire, dans cette extraction, à la main de l'homme ou à l'action des éléments, il répugnerait, en tous cas, aux habitudes de notre langue qu'on rangeât les lieux où s'effectue l'exploitation dont s'agit sous les dénominations génériques de manufactures, de fabriques ou d'usines. Dans l'usage, on n'applique jamais aux extractions de minéraux que les appellations spéciales de mines, minières, etc.

Lorsqu'il emploie les diverses dénominations dont nous venons de parler, le législateur leur donne assez généralement le sens qu'on leur attribue dans l'usage habituel du langage. C'est toujours, notamment, avec une grande exactitude d'expression qu'il se sert des mots : atelier, mine, minière, tourbière, carrière, etc.; mais, quant à ceux d'usine, manufacture, fabrique, il se montre beaucoup moins scrupuleux. Ces derniers termes sont, pour lui, des synonymes applicables à tous les établissements industriels, autres que les ateliers, mines, minières, etc. Voici des exemples de cette synonymie.

Après avoir, dans la loi du 22 août 1791, prohibé la construction dans le rayon-frontière de terre « d'aucune clouterie, papeterie, ou autre grande manufacture et fabrique, » le législateur, dans la loi du 30 avril 1806, a indiqué les moyens de faire lever cette prohibition pour « les manufactures, moulins à vent ou à eau, ou autres usines1. »

1 V. n. 613.

Ainsi encore, la loi du 3 frimaire an VII dispose, dans son article 5, que la contribution foncière portera sur le revenu net imposable « des fabriques, forges, moulins et autres usines. » Et plus loin, dans l'article 87, elle enseigne comment doit être calculé ce revenu net « des fabriques, manufactures, forges, moulins, et autres usines. »

Une fois, cependant, le législateur, au lieu d'employer ces mots comme synonymes, s'en est, au contraire, servi en les opposant les uns aux autres. Il en résulte dans sa manière de s'exprimer une exception qu'il importe de signaler. Voici le cas :

La loi du 4 frimaire an VII a établi l'impôt des portes et fenêtres sur les ouvertures de tous « les bâtiments et usines,» ce qui s'applique à toutes les constructions affectées à la production industrielle, que cette production soit due à la main de l'homme ou à l'action des éléments, qu'elle soit effectuée dans un établissement d'une vaste ou d'une médiocre étendue. Le mot usine rapproché de celui de bâtiment a là encore évidemment un sens générique.

Mais postérieurement, une loi du 3 germinal an XI est yenue, qui a exonéré de la contribution « les manufactures. »

Cette fois, en mettant les manufactures en opposition avec les usines, et en exceptant celles-là d'une mesure générale qui frappait sur celles-ci, le législateur a voulu évidemment ne donner à l'expression de manufacture qu'un sens restreint. Nous verrons plus tard, en effet, qu'il a prétendu par là se rapprocher du sens qui est habituellement donné à ce mot dans le langage ordinaire, et qu'il n'a entendu parler que des établissements dont les produits sont dus principalement à la main de l'homme, et dans lesquels le travail prend des proportions importantes 1.

Nous finirons cet aperçu sur la terminologie qu'emploie la

1 V. n. 635 et suiv.

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