Page images
PDF
EPUB

qui n'en permet la formation qu'autant que la sûreté, la salubrité du voisinage n'en sont pas compromises.

C'est ce que le Conseil d'Etat a fort bien fait sentir en refusant, à la date du 20 juillet 1836, de légaliser l'existence d'une industrie de troisième classe, irrégulièrement formée : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que la fabrique de sulfate de fer du sieur Roland a été formée sans autorisation, qu'elle est établie près de maisons habitées, et qu'elle répand une odeur insalubre ét incommode. >>

Une considération de même sorte a encore motivé de la part du Conseil d'Etat le refus d'autoriser une tuerie avec échaudoir, établissement qui appartient également à la troisième classe : « Attendu, porte une décision du 6 mai 1853, qu'à raison du local où cette tuerie a été transférée, et de sa situation au centre de la commune d'Auteuil, elle offre des inconvénients de nature à nuire à la sûreté et à la salubrité publiques... >>

65. Cet intérêt de la sûreté et de la salubrité publiques est d'ailleurs le seul que l'administration soit chargée de protéger en cette matière. Elle sortirait de ses attributions et commettrait un excès de pouvoir si, pour favoriser un intérêt privé, quelque légitime qu'il fût, elle refusait une autorisation ou la subordonnait à des conditions particulières.

Elle ne saurait donc accueillir les oppositions des tiers, fondées par exemple: sur ce que le terrain où doit être placée l'entreprise étant exigu, il en résulterait pour l'usinier la nécessité d'empiéter sur un chemin de hallage voisin1; sur ce que l'exploitation aurait pour effet de détériorer les voies de communication du voisinage2; sur des raisons de convenance ou d'agrément, telles que l'embellissement des quartiers d'une ville3, ou encore l'inconvénient qu'il y aurait à laisser

'Conseil d'Etat, 14 février 1856 (Rabusseau).

* Conseil d'Etat, 3 février 1830 (Dubras).

3 Conseil d'Etat, 25 avril 1834 (Brineart); id., 18 mars 1843 (Chardon).

envahir par l'industrie les localités et les sites que la nature a favorisés1; ou enfin la dépréciation qui résulterait, pour des maisons de plaisance, du voisinage peu agréable d'usines, chantiers, etc.

La dépréciation des propriétés situées à la proximité des établissements industriels ne peut être, en effet, un argument sérieux contre l'existence de ces établissements qu'autant qu'elle serait causée par l'insalubrité et les dangers des exploitations. Elle est, au contraire, sans valeur aux yeux de l'administration, si l'on prétend l'induire de considérations de pur agrément.

Enfin, et par les motifs susindiqués, l'administration devrait repousser constamment les oppositions motivées sur la concurrence que l'établissement projeté serait de nature à faire à des établissements antérieurs 3.

66. Il ne faut pas confondre avec ce dernier cas une circonstance toute différente, celle où le voisinage d'un établissement industriel compromettrait, non pas l'existence commerciale d'un autre établissement, mais bien son existence matérielle. Il y a là, pour le refus d'autorisation, un motif sérieux, puisqu'il s'agit de la sûreté même d'une propriété ou de ses habitants. C'est ce que le Conseil d'Etat a jugé, à la date du 28 février 1828 « Considérant que le sieur Fayard a établi, sans autorisation, une fabrique de carton dans l'emplacement d'un ancien moulin à blé sur la rivière de Semêne; qu'il résulte de l'instruction que cette usine est insalubre pour les habitations dont elle est environnée, et que les eaux qui en découlent sont infectes et nuisent aux établissements inférieurs ; qu'ainsi le Conseil de préfecture a eu de justes motifs pour admettre les oppositions, etc. » Une raison de même sorte a

↑ Conseil d'Etat, 27 mars 1856 (Longuemare).

2 Conseil d'Etat, 24 janvier 1856(Lemaire); id., 27 mars 1856 (Longuemare).

Conseil d'Etat, 5 janvier 1813 (Seuly); id., 23 juin 1819 (Blaise).

évidemment déterminé le Conseil d'Etat dans l'espèce suivante. Un sieur Truet ayant voulu établir une machine à feu à haute pression, à la proximité d'une blanchisserie, le sieur Lesegretain, propriétaire de ce dernier établissement, s'y opposa par le motif que la chute continue des particules charbonneuses tacherait son linge et anéantirait son entreprise. Cette opposition fut repoussée par le Conseil de préfecture de la Mayenne, sous le prétexte qu'elle n'était fondée que sur l'intérêt personnel du sieur Lesegretain et non sur des motifs d'intérêt public. Mais le Conseil d'Etat, à la date du 7 mai 1828: « Considérant que la blanchisserie du sieur Lesegretain existait antérieurement à l'établissement de la pompe à feu qui fait l'objet du litige; - Considérant qu'il résulte des pièces et de l'instruction de l'affaire, notamment du procès-verbal du juge de paix de Laval, du 20 août 1827, que la machine à feu construite pour la filature du sieur Truet ne brûle pas sa fumée et ne satisfait pas aux conditions prescrites par l'arrêté d'autorisation, d'où il suit qu'elle porte un préjudice grave à la blanchisserie du sieur Lesegretain; Art. 1er. L'arrêté du Conseil de la Mayenne, du 19 juin 1827, est annulé. »

[ocr errors]

M. de Cormenin, après avoir noté ces deux décisions, les blâme comme « inspirées par un mauvais esprit, illibéral et anti-industriel. » Evidemment, cet auteur est tombé ici dans la confusion que nous avons signalée au commencement de ce numéro. La mission de l'autorité en cette matière est de veiller à la sûreté des propriétés. La préservation des propriétés et celle des habitants sont des intérêts d'ordre public. Cela étant, pourquoi les propriétés industrielles ne devraient-elles pas être protégées, comme les domaines ruraux et les maisons, contre les dangers, l'insalubrité, l'incommodité que procurerait le voisinage d'établissements nuisibles?

67. Mais, d'un autre côté, il n'apparaît pas que le législateur ait voulu exiger de l'entreprise à autoriser une innocuité absolue. Il doit suffire que cette entreprise ne présente pas, au point de vue de la sûreté, de la salubrité, de la tranquillité publiques, d'inconvénients trop graves, trop irremédiables. L'autorité, à laquelle l'impétrant s'adresse, doit toujours s'efforcer de concilier la liberté de celui qui veut employer son activité à la création et à l'exploitation d'un établissement industriel avec les précautions que réclament la sûreté, la tranquillité des propriétaires voisins. L'industrie, qui fait la richesse d'un peuple, a droit, tout comme la propriété, à des égards et à la protection de l'administration. Elle doit donc être constamment accueillie et favorisée; elle doit marcher sans entraves jusqu'au point où elle causerait une incommodité véritablement publique.

[ocr errors]

68. Il est d'ailleurs possible à l'administration, tout en accordant une autorisation, de la subordonner à des conditions d'exploitation telles qu'il en résulte un amoindrissement notable des inconvénients dont l'entreprise menacerait le voisinage.

C'est ainsi que dans une espèce où le préfet avait cru devoir refuser l'autorisation, le Conseil d'Etat l'accorda, au contraire, mais sous condition : « Considérant, porte sa déci sion du 22 mars 1851, qu'il résulte de l'instruction que, moyennant l'accomplissement et la rigoureuse observation de certaines conditions propres à garantir les intérêts des propriétaires et des habitants voisins, l'établissement projeté par le sieur Levy ne doit pas présenter des inconvénients de nature à faire refuser l'autorisation demandée par lui; — Art. 1er. L'arrêté (de refus) du préfet des Vosges est annulé; Art. 2. Le sieur Levy est autorisé à établir sur la plateforme supérieure du jardin de sa maison à Epinal, et sous les conditions qui seront déterminées par le préfet des Vosges, de

vant lequel il est renvoyé à cet effet, un dépôt de cuirs verts el peaux fraîches1. »>

Voici un exemple de même sorte que nous offre encore un second arrêt du Conseil d'Etat, en date du 15 novembre 1851 « Considérant que les fours à plâtre sont rangés dans la deuxième classe des établissements insalubres et incommodes; que leur éloignement des habitations n'est pas rigoureusement nécessaire; mais qu'il importe de n'en permettre l'établissement qu'autant que les opérations qui y sont pratiquées ne pourront nuire aux propriétés du voisinage et à la salubrité publique ;— Considérant qu'il résulte de l'instruction que le four à plâtre que le sieur Fouraux a été autorisé à établir dans la ville de Briey peut être maintenu sans qu'il en résulte d'inconvénients pour les propriétés voisines, moyennant toutefois que, conformément à l'avis ci-dessus visé du Comité des arts et manufactures, il sera construit au-dessus dudit four une holle surmontée d'une cheminée ayant ensemble au moins dix mètres d'élévation; -Art. 1er. Indépendamment de l'exécution des conditions prescrites par l'arrêté du préfet de la Moselle, en date du 7 novembre 1848, le sieur Fouraux sera tenu de construire au-dessus de son four à plâtre une hotte surmontée d'une cheminée, ayant ensemble au moins dix mètres d'élévation... >>

68 bis. Une circulaire ministérielle du 15 décembre 1852 offre quelques exemples des conditions d'exploitation que l'administration est dans l'usage d'imposer aux établissements qui présentent le plus d'inconvénients pour le voisinage. Le ministre s'y adresse ainsi aux préfets « Vous trouverez là les garanties qu'il importe d'exiger communément dans les autorisations. Elles m'ont paru applicables à la plupart des cas; mais vous aurez à y ajouter ou à en retrancher certaines conditions suivant les différences des situations et en tenant

1

' CONF., Conseil d'Etat, 2 décembre 1853 (Debolo); id., 8 mai 1856 (Touret).

« PreviousContinue »