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« passionnément épris, madame, dit la confi« dente; je ne sache rien qu'il ne ne fit pour plaire « à Votre Majesté. Voulez-vous que je vous l'en« voie, un soir, dans votre chambre, vêtu en baladin; que je l'oblige à danser ainsi une sa<< rabande; le voulez-vous? il y viendra.-Quelle <«< folie! » dit la princesse. Elle était jeune, elle était femme, elle était vive et gaie; l'idée d'un pareil spectacle lui parut divertissante. Elle prit au mot sa confidente, qui fut du même pas trouver le Cardinal.

Ce grand ministre, quoiqu'il eût dans la tête toutes les affaires de l'Europe, ne laissait pas en même temps de livrer son cœur à l'amour. Il accepta ce singulier rendez-vous. Il se croyait déjà maître de sa conquête, mais il en arriva autrement. Boccau, qui était le Baptiste d'alors, et jouait admirablement du violon, fut appelé. On lui recommanda le secret de tels secrets se gardent-ils ? c'est donc de lui qu'on a tout su.

Richelieu était vêtu d'un pantalon de velours vert: il avait à ses jarretières des sonnettes d'argent; il tenait en main des castagnettes et dansa la sarabande que joua Boccau. Les spectatrices

et le violon étaient cachés, avec Vautier et Beringhen, derrière un paravent d'où l'on voyait les gestes du danseur. On riait à gorge déployée; et qui pourrait s'en empêcher, puisqu'après cinquante ans j'en ris encore moi-même.

On fit retirer Boccau, et la déclaration amoureuse fut faite dans toutes les formes. La princesse la traita toujours de pantalonnade, et ses dédains, assaisonnés du sel de la plaisanterie, aigrirent tellement ce prélat orgueilleux, que, depuis, son amour se changea en haine. La princesse ne paya que trop cher le plaisir qu'elle avait eu de voir danser une Éminence. '

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1 Je crois devoir insister sur la nécessité de lire les Éclaircissemens réunis à la fin du volume (Note Z), au sujet de la singulière anecdote que vient de raconter Brienne, en terminant ce chapitre. (Note de l'Édit.)

CHAPITRE V.

Faveur de M. de Chavigny :

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:- on le croit fils du cardinal de Richelieu. Chavigny menace Louis XIII du courroux de Son Éminence, et le Roi le souffre. Commencemens de Jules Mazarin; cadeaux qu'il apportait de Rome à madame de Chavigny: parfums, gants, tableaux, chapelets bénis ou Dépêche importante d'un ambassadeur de Venise sur les débuts de Mazarin dans la carrière diplomatique. Ses talens; services qu'il rend devant Casal. Son portrait. Ses liaisons avec M. de Chavigny, sous le ministère du cardinal de Richelieu et pendant les derniers momens de Louis XIII.

non.

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LE cardinal de Richelieu avait les plus importantes obligations à M. Bouthillier et à madame sa femme. Il n'y eut qu'eux qui ne l'abandonnèrent point à la journée des dupes, où les Marillac furent écrasés, et où le Cardinal se sauva du naufrage comme par miracle. Or, pendant ce jour si glorieux pour lui, M. Bouthillier ne le quitta jamais d'un pas, et lui prêta même à tout événement, ou lui offrit au moins une somme d'argent fort considérable, cent mille

écus, m'a-t-on dit. Ces marques de dévoûment lui valurent depuis une charge de secrétaire d'État, et ensuite la surintendance des finances, qui le remboursa bien de sa bonne volonté, et passa ses espérances. Le fils de M. de Bouthillier a été depuis célèbre sous le nom de Chavigny, qui lui vint d'une terre en Touraine. La chronique scandaleuse veut que le cardinal de Richelieu ait été le père de M. de Chavigny, et que madame Bouthillier, qui n'aimait guère son mari, n'ait fait que cette seule galanterie en sa vie. On dit qu'elle était jolie étant jeune, cela peut être : je ne l'ai vue que fort vieille et fort ridée. Quoi qu'il en soit, une Bragelonne était capable de s'en laisser conter par le premier ministre, et d'avoir un fils de lui. Si cela est, M. de Chavigny a plus d'obligation au Cardinal qu'il n'en aurait eu à M. Bouthillier, car Richelieu l'aima toute sa vie comme un fils, et lui fit beaucoup de bien. *

1 Le président Hénault donne à penser la même chose. « En 1643, dit-il, on ôta les finances à Bouthillier, dont la << femme avait eu beaucoup d'empire sur le cardinal de « Richelieu, et Chavigny, son fils, resta dans le conseil. » La

Il avait besoin de fortune, car il avait plus de vingt enfans, sans y comprendre même Henriette de Bouthillier sa fille et ma femme. J'en dis un mot à la suite de mes Mémoires ' j'y parle aussi des effets du régime auquel il se soumit, à l'exemple de sa mère, pour perdre son trop d'embonpoint.

Quoi qu'il en soit, voilà donc M. de Chavigny en faveur dès la fleur de ses jeunes ans, et employé dans toutes les plus grandes affaires du dedans et du dehors du royaume. En ce tempslà, le seigneur Giulio Mazarini faisait divers voyages en poste de Rome à Paris, de Paris à Turin, et de Rome même à Madrid, sous les ordres du cardinal Bentivoglio, son premier maître, qui le donna au cardinal Sachetti, créature, comme lui, des Barberins, et celui-ci au cardinal Antoine Barberino, que nous avons vu grand-aumônier de France avant le cardinal de

phrase renferme, comme on voit, un léger vice de construction qui sert la malice du président, et qui sauve en même temps la gravité de l'historien. ( Note de l'Édit.)

1 Lire les Éclaircissemens; ce passage y a été placé sous la Note AA. (Note de l'Édit. )

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