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Sourdement encouragée par l'Angleterre, la Sicile prend feu dès le 12 janvier 1848; quelques jours après, les troupes envoyées par le roi pour réduire Palerme insurgée sont mises en déroute; l'île entière est en armes; la révolution victorieuse franchit le détroit de Messine, arrive jusqu'à Naples. Lâche comme son père et son aïeul, Ferdinand capitule devant l'émeute, prend des ministres libéraux dès le 27 janvier, promet deux jours après une constitution et, dès le 11 février, la promulgue aux applaudissements de l'Italie entière. Dès lors, d'un bout à l'autre de la péninsule, les souverains sentent bien qu'il va falloir céder. Léopold de Toscane n'attend pas que l'insurrection vienne battre les murs de son palais. Le 15 février, lui aussi donne une constitution. Charles-Albert et Pie IX hésitent encore, mais leur attitude fait comprendre qu'ils sont sur le point de se laisser entraîner. Le premier acte de la révolution italienne semble sur le point de s'achever.

IX

Que faudrait-il à cette heure pour arrêter le mouvement? que les cabinets de Vienne et de Paris, d'accord pour le réprouver, le fussent aussi pour le réprimer. Mais, à ce moment décisif, ils ne savent ni marcher ensemble ni se risquer isolément. Metternich, qui a déjà grand'peine à contenir le Milanais et la Vénétie, craint de dégarnir ces deux pays. Ce qu'il redoute encore plus, c'est que la France, dont il se méfie toujours, ne le laisse s'engager au nom de la contre-révolution pour avoir une raison d'intervenir au nom de la liberté et pour renouveler, mais en grand, la mise en scène d'Ancône. Il voudrait la déterminer à une intervention simultanée et collective. Quant à Guizot, il ne se dissimule pas que les scandales politiques dont son gouvernement vient d'être éclaboussé en 1847',

compagnons, qu'il avait froidement fait fusiller en 1844 après une insignifiante échauffourée. Les brutalités dont il donna l'exemple à la fin de 1847 et au commencement de 1848 lui valurent le sobriquet de Bomba, sous lequel le désignèrent dès lors les patriotes italiens. Il mourut à Naples le 22 mai 1859. 1. Notamment le procès à la suite duquel deux anciens ministres de la monarchie de Juillet, Teste et Cubières, furent condamnés pour actes de corruption, et aussi l'assassinat de la duchesse de Praslin, fille du maréchal Sébastiani, par son mari, qui était pair de France.

la campagne des banquets, menée avec tant d'éclat depuis plusieurs mois par l'opposition, et la discussion de l'adresse (janvier-février 1848)' au cours de laquelle sa politique a été si énergiquement flétrie, ont mis sérieusement en péril la monarchie de Juillet. Si la révolution triomphe en Italie, comme en Suisse, il sent bien qu'elle ne tardera pas à franchir les Alpes, comme le Jura; la contagion de l'exemple gagnera Paris. Il est donc urgent de rétablir l'ordre dans la péninsule. Pour cela que faut-il? Envoyer quelques régiments à Rome. Car, à son sens, tant que les États de l'Église seront préservés du radicalisme, la révolution italienne pourra être contenue. Aussi réunit-il, en janvier, des troupes à Port-Vendres et à Toulon. Mais sous quel prétexte les embarquer? On ne peut songer à les réunir ostensiblement à l'armée autrichienne. Pour se tirer d'embarras, Guizot ne voit d'autre moyen que de renouveler au sujet de l'Italie la proposition quelque peu machiavélique qu'il lui a faite en juin 1847 au sujet de la Suisse. Mais, comme précédemment, le prince-chancelier craint de tomber dans le panneau. Le ministre français, malgré l'imminence du péril, et quoi qu'il en dise, n'ose pas prendre l'initiative de l'expédition. Et voilà comment arrive le 24 février sans que le cabinet de Vienne et celui de Paris aient rien tenté de sérieux contre la révolution italienne.

A ce moment même ils s'épuisent encore en efforts infructueux pour reconquérir en Suisse leurs positions perdues. Une note menaçante vient d'être adressée (le 12 janvier) à la confédération helvétique par l'Autriche, la France, la Prusse, qui la somment de

1. L'agitation que les banquets réformistes ou démocratiques entretenaient en France depuis le mois de juillet 1847 irritait profondement Louis-Philippe. Aussi, dans le discours qu'il prononça le 28 décembre à l'ouverture des Chambres, crut-il devoir se plaindre amèrement des passions ennemies ou aveugles, suivant lui, qui la fomentaient. Il se disait résolu à résister aux entraînements populaires. Le 8 février 1848, le ministre de l'intérieur, Duchâtel, prononçait à la tribune ces paroles : « Si l'on croit que le gouvernement, accomplissant son devoir, cédera devant des manifestations, quelles qu'elles soient, on se trompe; non, il ne cédera pas. » Quelques jours plus tard, presque à la veille de la Révolution, Guizot déclarait d'un ton dogmatique qu'il n'y aurait pas de jour pour le suffrage universel. Aussi l'opposition, même modérée. prenait-elle le ton le plus menaçant. Odilon Barrot lançait aux ministres cette apostrophe : Polignac et Peyronnet n'ont jamais fait pis que vous. » Le gouvernement était accusé hautement de pactiser au dehors avec la politique de la Sainte-Alliance, et Thiers, dans un discours célèbre, s'écriait que, pour lui, il serait toujours du parti de la Révolution.

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remettre à son arbitrage la question, déjà tranchée, du Sonderbund et des Jésuites et celle de la réforme fédérale. Les généraux Colloredo et de Radowitz vont de Berlin à Vienne et de Vienne à Paris; des dispositions militaires sont combinées par les trois cours pour l'occupation de la Suisse. Mais il n'est pas sûr qu'au dernier moment Louis-Philippe veuille marcher. D'autre part, le cabinet de Vienne a dû, pour s'assurer la coopération de celui de Berlin, prêter l'oreille à ses propositions, longtemps écartées, au sujet de la réforme fédérale en Allemagne et, quelque désir qu'il ait de jouer à cet égard la cour de Prusse, Metternich voit avec terreur qu'il ne pourra plus longtemps se dérober à un débat d'où peut sortir, armée et victorieuse, la révolution germanique.

Tous les calculs du vieux diplomate vont du reste être déjoués par un événement qu'il a bien des fois prédit, mais qu'il ne croyait pas si prochain. Louis-Philippe, devenu roi par l'émeute, est tout à coup renversé par l'émeute. Un banquet démocratique maladroitement interdit par le ministère, provoque à Paris une effervescence qu'un incident tragique transforme, dans la soirée du 23 février, en une formidable insurrection. La garde nationale, jusque-là si dévouée à la monarchie de Juillet, l'abandonne. Le roi, débordé, affolé, perd la tête, abdique sans résistance dès le 24 en faveur d'un enfant que nul ne voudra reconnaître pour souverain, et s'enfuit, ainsi que tous les siens, pendant qu'un gouvernement provisoire proclame la république à l'Hôtel de Ville. Dès lors, les affaires de Suisse ne peuvent plus préoccuper les diplomates. Tous les trônes vont être menacés. La politique de la

1. La foule qui s'était portée pour manifester sur le boulevard des Capucines, devant l'hôtel des affaires étrangères, reçut presque à bout portant une décharge de la troupe qui gardait le ministère. Cinquante-deux personnes furent tuées ou blessées.

2. Le comte de Paris (Louis-Philippe-Albert d'Orléans), né à Paris le 24 août 1838. Emmené en Angleterre, puis en Allemagne, après la révolution de Février, il prit part, comme volontaire, dans l'armée du Nord, à la guerre de sécession aux Etats-Unis (1861-1862), épousa le 30 mai 1864 sa cousine Isabelle d'Orléans, fille du duc de Montpensier, rentra d'exil en 1871, alla le 5 août 1873 saluer comme « le seul représentant du principe monarchique en France le comte de Chambord, après la mort duquel (1883) il se posa comme prétendant à la couronne, et fut, en 1886, expulsé du territoire français, ainsi que son fils aîné, Louis-Philippe-Robert, duc d'Orléans (né le 6 février 1869). Ce dernier, ayant enfreint la loi de bannissement au mois de février 1890, a été condamné à deux ans de détention, puis gracié au mois de juin de la même année.

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démocratie et des nationalités, que les rois comprimaient avec tant de peine depuis plus de trente ans, va briser de toutes parts ses entraves et faire à l'Europe de nouvelles destinées. L'ère de la Sainte-Alliance est close, celle de la Révolution va

commencer.

FIN DU TOME PREMIER

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