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Bref, il avait lancé dès le 30 mars une proclamation fanfaronne, appelant la nation italienne aux armes, et avait mis ses troupes en mouvement. Quelques jours après, il touchait presque à la Lombardie. Mais la cour de Vienne, bien résolue maintenant à ne plus le ménager, l'arrêta net. Cent cinquante mille Autrichiens refoulèrent sans peine, à partir du 8 avril, la petite armée napolitaine. Six semaines plus tard, Murat, battu sur tous les points, abandonnait sa capitale à l'ennemi et Ferdinand IV, enchaîné désormais à la cour de Vienne 1, redevenait roi de Naples.

La campagne ainsi terminée n'avait pas été bien longue; mais elle avait suffi pour mettre l'empereur François Ier dans l'impossibilité de concourir avant le mois de juin à une attaque d'ensemble contre Napoléon. Aussi, tant qu'elle avait duré, la cour de Vienne avait-elle manoeuvré vis-à-vis de la France de manière à retarder l'ouverture des hostilités. Bien plus, elle avait travaillé quelque temps à rendre la guerre inutile, non point en pactisant avec « l'ogre de Corse », mais en se prêtant ou ayant l'air de se prêter à certaines intrigues de partis qui, par une révolution intérieure, pouvaient le renverser du trône.

X

Au profit de qui aurait-on renversé Napoléon? L'Autriche et l'Angleterre, à cet égard, n'avaient pas la moindre hésitation. Ces deux puissances n'avaient, au fond du cœur, de tendresse que pour Louis XVIII; ce prince avait, en somme, servi leur politique, dans une certaine mesure, et pouvait la servir encore. Elles étaient donc bien décidées à faciliter pour la seconde fois sa restauration, et

1. Par le traité du 12 juin 1815, qui l'obligeait de fournir vingt-cinq mille hommes à l'Autriche et lui interdisait de donner une constitution à ses peuples sans l'assentiment de cette puissance. On y lit en effet ces lignes significatives: « Les engagements que Leurs Majestés prennent par ce traité pour assurer la paix de l'Italie leur faisant un devoir de préserver leurs sujets et leurs États respectifs de nouvelles réactions et du danger d'imprudentes innovations qui en amèneraient le retour, il est entendu entre les hautes puissances contractantes que S. M. le roi des Deux-Siciles, en établissant le gouvernement du royaume, n'admettra pas des changements qui ne pourraient se concilier, soit avec les anciennes institutions, soit avec les principes adoptés par Sa Majesté Impériale et Apostolique pour le régime intérieur de ses provinces italiennes. »

même à la rendre inévitable. Mais elles se gardaient de le dire, pour deux raisons la première, c'est que les Bourbons étaient notoirement impopulaires en France et qu'avant de nous avoir vaincus il était imprudent de nous les vouloir imposer; la seconde, c'est qu'il était profitable, sinon généreux, d'exploiter leur détresse; car plus on aurait l'air disposé à les abandonner, et plus ils consentiraient à payer cher l'appui de la coalition.

Louis XVIII, qui avait fait la faute de quitter son royaume et de se retirer à Gand, n'était plus, comme autrefois, qu'un prétendant, à la merci des puissances dont il sollicitait le concours. Celles qui lui étaient le plus favorables déclaraient maintenant ne pouvoir prendre l'engagement officiel de le rétablir sur le trône. Castlereagh, tout en le faisant assurer secrètement de ses bonnes dispositions, prétextait, pour justifier cette réserve, l'opposition que le projet d'une guerre prochaine rencontrait dans le Parlement anglais et la nécessité de ne pas effaroucher le peuple français. Les termes dans lesquels il fit ratifier par le prince-régent (25 avril) le traité du 25 mars excluaient expressément l'idée que le cabinet de SaintJames voulût imposer à la France un gouvernement quelconque '. La cour de Vienne publia quelques jours après une protestation analogue, et qui n'était pas plus sincère. La Russie et la Prusse déclarèrent de même qu'elles n'avaient nullement l'intention de nous violenter. Ces deux gouvernements n'avaient pas assez à se louer de Louis XVIII pour le vouloir restaurer à tout prix. La cour de Berlin avait toujours, du reste, sur le cœur, les ménagements excessifs, à son sens, dont on avait usé envers la France par le traité de Paris.

Puisque cette nation impie et scélérate avait si mal répondu à la mansuétude des Alliés, il fallait cette fois l'accommoder suivant ses

1. Des débats assez vifs eurent lieu le 28 avril à la Chambre des communes au sujet du traité du 25 mars, qui fut attaqué par les Whigs. Castlereagh se défendit, mais dut, pour se faire approuver par la majorité, ruser et mentir quelque peu en affirmant qu'il ne songeait nullement à violenter la France. Quelques jours après, Charles Stewart, son frère, rassurait en son nom la petite cour de Gand. « Afin, disait-il, de rester dans la mesure qu'il convient d'être en effet, lord Castlereagh a dû parler comme il l'a fait, et son discours est dans les seuls principes que nous puissions avouer hautement. Cependant nos vœux, comme nos efforts, sont en faveur du roi; nous voulons son succès, nous n'en doutons pas, mais nous ne pouvons sortir des conditions du traité et de la déclaration des puissances. »>

mérites; si elle ne voulait plus de son roi, tant mieux; on lui avait fait des concessions par égard pour lui, on ne les renouvellerait pas. Le pacte du 30 mai serait déclaré nul; la France serait démembrée et à jamais rayée de la liste des grandes puissances. C'est en ces termes, et sous une forme plus violente encore, que s'exprimaient à cette époque les patriotes prussiens, dont la voix trouvait d'ailleurs de l'écho dans toute l'Allemagne. Quant au gouvernement russe, il ne partageait point ces fureurs. Alexandre avait toujours au fond de l'âme un faible pour la France; mais il n'en avait point pour Louis XVIII, non plus que pour les Bourbons de la branche aînée en général. Il répétait à tout venant qu'il les connaissait bien, que c'étaient de sottes et méchantes gens. Le duc d'Orléans, disait-il à cette époque (fin d'avril 1815), convenait beaucoup mieux à la France que le frère de Louis XVI; et si un parti considérable le portait au trône, il ne paraissait point disposé à lui en barrer la route. Effectivement, quelques intrigants songeaient alors en France à faire monter sur le trône celui qui fut plus tard Louis-Philippe.

1. On lit dans une proclamation du gouverneur général des provinces prussiennes du Rhin (en date du 15 avril 1815): « Cette nation si longtemps fière de ses triomphes et dont nous avons courbé le front orgueilleux devant les aigles germaniques, menace de troubler encore le repos de l'Europe. Elle ose oublier que, maîtres de sa capitale et de ses provinces, nous devions nous indemniser, il y a un an, par un partage que tous les sacrifices que nous avions faits pour affranchir l'Allemagne rendaient nécessaire et légitime... Un pays ainsi livré au désordre de l'anarchie menacerait l'Europe d'une honteuse dissolution, si tous les braves Teutons ne s'armaient contre lui. Ce n'est pas pour lui rendre des princes dont il ne veut pas... que nous nous armons aujourd'hui; c'est pour diviser cette terre impie, c'est pour nous indemniser par un juste partage de ses provinces de tous les sacrifices que nous avons faits depuis vingt-cinq ans pour résister à tous ses désordres... » Grüner demande ensuite que, vainqueurs, les Alliés s'emparent des biens dits nationaux à titre de dotations militaires. Ainsi les princes et les sujets allemands trouveront à la fois dans le fruit de cette guerre contre la tyrannie : les premiers, des vassaux que nos lois feront courber sous la discipline, et les seconds, des biens fertiles dans un pays que nos baïonnettes maintiendront dans une terreur nécessaire... » A la même époque, le Mercure rhénan, inspirė par Stein, s'exprimait en ces termes : « Il faut exterminer cette bande de 500 000 brigands..., il faut déclarer la guerre à toute la nation et mettre hors la loi tout ce peuple sans caractère, pour qui la guerre est un besoin... Le monde ne peut rester en paix tant qu'il existera un peuple français; qu'on le change donc en peuples de Bourgogne, de Neustrie, d'Aquitaine, etc.; ils se déchireront entre eux, mais le monde sera tranquille pour des siècles. >>

2. Fils de Philippe-Égalité et plus tard roi des Français sous le nom de Louis-Philippe Ier. Il était né à Paris le 6 octobre 1773, et il est mort à Claremont (Angleterre), le 26 août 1850. Sur sa jeunesse et sa conduite pendant la Révolution et l'Empire, voir nos Études critiques sur la Révolution, l'Empire et la période contemporaine, p. 231-258.

Certaine conspiration en sa faveur avait même éclaté avant le 20 mars. D'autres rêvaient simplement de substituer à Napoléon, qu'on eût de nouveau forcé d'abdiquer, son fils, au nom duquel on eût institué une régence. Tous avaient pour complice Fouché, le roi des traîtres, que Napoléon avait eu le tort de reprendre comme ministre de la police et qui, le voyant peu solide, ne travaillait qu'à le perdre pour se créer dans l'État une situation prépondérante. C'est avec Fouché que Metternich, autorisé d'ailleurs par les souverains, négocia mystérieusement, pendant les mois d'avril et mai 1815, sans autre but, à ce qu'il semble, que de gagner du temps et de tromper ce trompeur. Tant que des agents loyaux, comme Montesquiou, Flahaut, Stassart, s'étaient présentés en Allemagne pour soutenir la cause de Napoléon, le chancelier d'Autriche les avait impitoyablement repoussés. Le jour où d'autres se présentèrent, comme Montrond, et, après avoir parlé au nom de l'empereur, donnèrent à entendre ce que le ministre de la police voulait et croyait pouvoir faire, Metternich fut plus abordable. Un de ses agents les plus habiles, le baron d'Ottenfels, fut même envoyé par lui, sous un faux nom, à Bâle, pour s'aboucher avec un émissaire de Fouché. Mais le complot fut éventé par l'empereur et, si les entrevues de Bâle eurent lieu, elles n'amenèrent aucun résultat 1.

Metternich, maitre fourbe, n'avait rien à perdre à ce jeu. Il y gagna d'abord les quelques semaines nécessaires à l'Autriche comme à l'Angleterre pour entrer en ligne contre Napoléon. Il y gagna aussi d'effrayer à tel point Louis XVIII qu'il lui fit perdre le sentiment de ses devoirs envers la France. La triste cour de Gand n'apprenait qu'avec terreur des menées qui, après tout, auraient bien pu finir par empêcher le roi «< légitime. » de remonter sur son trône. Elle craignait le duc d'Orléans, Napoléon II, la Régence. Talleyrand, soit qu'il songeât à se faire valoir, soit qu'il se ménageat de bonnes raisons pour se rallier, le cas échéant, au pouvoir nouveau, ne la rassurait point, tant s'en faut, sur les dispositions

1. Elles eurent lieu dans le courant de mai, entre Ottenfels, qui avait pris le nom de Werner, et le conseiller d'État Fleury de Chaboulon, qui se présenta comme envoyé de Fouché, mais qui n'était en réalité qu'un émissaire de Napoléon. Le duc d'Otrante se disculpa comme il put auprès de l'empereur et feignit de se prêter à son jeu. Mais il ne tarda pas à donner l'éveil à Metternich et noua bientôt pour son compte une nouvelle intrigue.

2. Il n'était guère aimé de Louis XVIII, à qui il s'était imposé. Il était détesté de Blacas, favori de ce prince, et plus encore du comte d'Artois et de

des grandes cours alliées à l'égard des Bourbons. C'est pourquoi ces princes, désespérant presque ou d'être restaurés ou d'obtenir gratuitement le concours de la coalition, ne crurent pas acheter trop cher cet appui au prix d'une concession que l'histoire a jusqu'ici trop peu remarquée et qu'elle doit juger sévèrement.

Dans la déclaration du 13 mars et dans le traité du 25, les Alliés avaient protesté bien haut qu'ils en voulaient seulement à Napoléon, qu'ils ne faisaient point la guerre à la nation française, que, par conséquent, les avantages du traité du 30 mai lui seraient. en tout état de cause, assurés. Mais, à l'époque où la première de ces pièces fut signée, Louis XVIII était encore sur le trône, et, au moment où parut la seconde, les Alliés ignoraient qu'il eût quitté la France. Quand on le sut fugitif et impuissant, on ne tint plus le même langage. La Prusse cria bien haut que, puisque le peuple français n'avait pas repoussé Napoléon, c'est qu'il faisait cause commune avec lui; qu'il devait donc être comme lui mis hors la loi et ne pouvait plus réclamer le bénéfice du traité de Paris. Sans montrer autant d'âpreté que cette puissance, le reste de la coalition se rangea sans peine à cet avis. On fit donc comprendre à Louis XVIII que, s'il voulait obtenir de ses alliés l'engagement moral de le remettre sur le trône, il devait pour sa part regarder comme sujet à revision le traité du 30 mai.

Ce marché, devant lequel le roi de France et son plénipotentiaire reculèrent quelque temps, finit pourtant par être conclu. On n'en peut pas douter en lisant certains passages du rapport par lequel Gentz, secrétaire du congrès, réfutait le 12 mai le manifeste. lancé le 2 avril précédent au nom de Napoléon par le Conseil d'État.

En ce qui concerne nos affaires intérieures, « les puissances, y est-il dit, ne se croient point autorisées à imposer un gouvernement à la France, mais elles ne renonceront jamais au droit d'empêcher que sous le titre de gouvernement il ne s'établisse en France un foyer de désordre et de bouleversements pour les autres États. Elles respecteront la liberté de la France partout où elle ne sera pas incompatible avec leur propre sûreté et avec la tranquillité générale de l'Europe... »

Comme les Alliés ne voulaient évidemment pas de la République;

sa camarilla d'émigrés. Il le leur rendait bien. Il eût sans doute dès cette époque vu sans déplaisir l'avènement du duc d'Orléans.

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