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toutes les violences, à toutes les tyrannies qui furent alors exercées sur les consciences, les fortunes et les personnes, dont les prisons et les cachots furent remplis. Bissy lui suggéroit tout, et obtenoit tout. »

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« La conduite barbare qu'on avoit tenue avec tous les Huguenots après la révocation de l'Édit de Nantes, devint, en gros, le modèle de celle qu'on tint, et souvent toute la même, à l'égard de tout ce qui ne put goûter la constitution. De là les artifices sans nombre pour intimider et gagner les évêques, les écoles, le second ordre et le bas clergé; de là cette grêle immense et infatigable de lettres de cachet; de là cette lutte avec les parlements; de là ces évocations sans nombre ni mesure, cette interdiction de tous les tribunaux ; enfin, ce déni total et public de justice, et de tous les moyens d'en pouvoir être protégé pour quiconque ne ployoit pas sa conscience sous le joug nouveau, et même, encore, sous la manière dont il étoit présenté; de là cette inquisition établie jusque sur les plus simples laïques, et la persécution ouverte; ce peuple entier d'exilés et d'enfermés dans les prisons, et beaucoup dans les cachots, et le trouble et la subversion dans les monastères; de là, enfin, cet inépuisable pot au noir pour barbouiller qui on vouloit, qui ne s'en pouvoit douter, pour estropier auprès du roi qui on jugeoit des gens de la cour et du monde, pour écarter et pour proscrire toutes sortes de personnes, et disposer de leurs places à la volonté des chefs du parti régnant, des Jésuites et de Saint Sulpice, qui pouvoient tout en ce genre, et qui obtenoient tout sans le plus léger examen; de là ce nombre innombrable de personnes de tout état et de tout sexe dans les mêmes épreuves que les chrétiens soutinrent sous les empereurs ariens, surtout sous Julien-l'Apostat, duquel on semble adopter la politique et imiter les violences; et, s'il n'y eut pas de sang précisément répandu (je dis précisément parce qu'il en coûta la vie d'une autre sorte à bien de ces victimes), ce ne fut pas la faute des Jésuites, dont l'emportement surmonta cette fois la prudence, jusqu'à ne se pas cacher de dire qu'il falloit répandre du sang. »

Les principales victimes de cette persécution furent: le P. Albizzi, Dominicain, célèbre prédicateur; dom Jérôme, Feuillant,

1 Mémoires du duc de Saint-Simon, 1. XIII, ch. 10, édit. du marquis de Saint-Simon.

ancien ami de Bossuet', et qui, depuis quarante ans, se faisait entendre avec honneur dans les chaires de Paris; dom Turquois et dom Trudon, aussi membres de l'ordre des Feuillants. Toutes les exécutions étaient dirigées par le P. Tellier. Le 29 avril 1715, Gaillande écrivait au P. Thimothée que le P. Le Tellier pensait à détruire toutes les boutiques qui ne pensaient pas bien, c'est-à-dire les communautés religieuses qui ne plaisaient pas aux Jésuites. «C'est lui seul, ajoutait-il, qui soutient ici la religion. » Plusieurs évêques se firent persécuteurs sous prétexte d'exercer leur zèle. De ce nombre fut Belzunce, évêque de Marseille, qui composa un long formulaire dont la signature fut obligatoire pour toutes les communautés de femmes, et qui contenait toutes les bulles, depuis celle d'Innocent X jusqu'à la constitution Unigenitus. Aussitôt après l'assemblée de 1713, Belzunce avait fait, pour l'acceptation. de la bulle, un mandement pour lequel il reçut de Rome des compliments, un corps saint et le portrait du pape. Ces encouragements le firent redoubler de zèle, et il écrivait au P. Thimothée 3: « Le parti se fortifie tous les jours: il fut d'abord étourdi du coup que lui porta l'admirable constitution; il se rassure à présent peu à peu. Pour moi, je ne lui en donne guère le temps; et, n'ayant pas l'occasion de faire de nouveaux mandements, de petites exhortations font le même effet. Je n'oublie rien de ce qui dépend de moi. »

Belzunce était surtout heureux d'avoir eu l'occasion de noter ceux qui étaient rebelles à l'Église à propos de la prise de Barcelonne. On voit qu'il profitait de tout. Nous aurons encore occasion de citer quelques-uns de ses précieux à-propos.

Cependant, le projet du concile national rencontrait, dans la cabale anti-janséniste, de chauds adversaires. Tournely, professeur de la Faculté, qui déploya beaucoup de zèle dans toutes ces discussions, se montrait fort opposé au concile, quoiqu'il eût fait des mémoires, touchant cette assemblée, pour le cardinal de Rohan *.

1 Mémoires de l'abbé Le Dieu.

Lettre de Gaillande au P. Thimothée, du 29 avril 1715; Archives de Rome: Francia. Giansenismo. D. 2258.

Lettres de l'évêque de Marseille, du 26 janvier et du 1.er mars 1715; Archives de Rome, Ibid.

Lettre de Gaillande, du 29 avril 1715; Archives de Rome, Ibid.

Le P. Tellier se crut obligé d'écrire à Rome pour plaider la cause du concile 1. Il annonça, dans cette lettre, au P. Thimothée que le roi l'avait choisi pour la dignité d'évêque in partibus. Cet agent actif et dévoué du parti méritait bien sa petite récompense.

Le roi reçut, le 11 août, d'Amelot, une lettre qui lui fit comprendre qu'il fallait désespérer d'avoir l'assentiment du pape pour le concile national; on résolut, en conséquence, de le tenir saus lui; mais, préalablement, le roi voulut donner une déclaration, afin d'en exclure les évêques opposants à la bulle, qui ne devaient y paraître que comme coupables pour y être jugés. On trouva des difficultés à cette déclaration; d'Aguesseau, Joly de Fleury firent des observations fort solides. On discutait encore quand le roi mourut, le 1er septembre 1715.

Nous n'avons point à juger Louis XIV au point de vue politique ou militaire. On sait ce qu'il fut dans sa vie privée. Pour les questions religieuses, son règne fut celui des Jésuites, c'est assez dire qu'il ne fut qu'une longue suite d'injustices et d'intolérances. Ces religieux exploitèrent son orgueil, son ignorance crasse, sa crainte de l'enfer; lui firent croire qu'en persécutant à outrance ceux qu'ils n'aimaient pas, il ferait un sacrifice agréable à Dieu. Louis XIV les crut ou feignit de les croire; de là ce règne de dragonnades, de dénonciations, de lettres de cachet et d'exils. Quelques années avant de mourir, il avait fait les trois premiers vœux des Jésuites. Tellier lui fit faire le quatrième au lit de la mort et lui donna le passeport de saint Ignace pour le ciel. Muni d'une pareille pièce, il crut sans doute n'avoir rien à redouter de la justice divine. Dieu a-t-il reconnu comme valable la signature de Tellier? Nous n'en savons rien.

Fénélon était mort au mois de janvier de cette même année 1715. Nous avons dit ce que pensaient de cet homme illustre ses contemporains d'Aguesseau et Saint-Simon. Toute sa correspondance vient à l'appui de l'opinion qu'avaient ces écrivains tou

Lettre du P. Tellier au P. Thimothée, du 16 mai 1715; Archives de Rome, Ibid.

Lettre d'Amelot au roi, du 11 août 1715; Lettres écrites aux mois de juillet et août, par Gaillande et autres, à Rome; Archives de Rome, Ibid; Journal de l'abbé Dorsanne, and. 1715.

* Mémoire du cardinal de Noailles au régent, touchant le choix d'un confesseur pour le nouveau roi.

chant son ambition et son désir de rentrer à la cour. On voit qu'il prend tous les moyens de faire parler de lui au roi, toujours avec Ja précaution de recommander sans cesse de ne pas le mettre en avant. Il veut diriger toutes les batteries sans être aperçu. Depuis douze ans il était dans son diocèse, où il considérait sa position comme déplorable, lorsque le fils de Louis XIV mourut. Le duc de Bourgogne devenait dauphin et Louis XIV était sur le bord de la tombe; il voyait donc enfin les difficultés aplanies, et il se voyait appelé par son élève à la tête du gouvernement. Quelle transition pour un ambitieux! dit Saint-Simon'. Le duc de Bourgogne mourut à son tour. Fénélon vit se dissiper une grande partie de ses illusions, mais il ne perdit pas encore toute espérance; le duc d'Orléans, qui devait être régent à la mort du roi, lui avait montré quelque confiance, et il ne cessa, même dans les derniers temps de sa vie, de chercher à se raccrocher à la cour et à vaincre l'antipathie de Louis XIV lui-même. Il ne pouvait y arriver que par l'entremise des Jésuites. Aussi, quelles furent ses complaisances pour les Tellier et les Daubenton! Four leur plaire, il humilia son génie sous les systèmes absurdes et hétérodoxes des mauvais théologiens de leur Société; il fit même le sacrifice de sa douceur et de sa charité en poussant à la violence, et en demandant à grands cris des rigueurs contre les adversaires des Jésuites. On a publié, dans ces dernières années, plusieurs de ses lettres au P. Daubenton; elles se trouvent aussi aux archives de Rome 2; pourrait-on, en les lisant, reconnaître eelui dont on a fait un ange de douceur et de paix? Il y a, dans les mêmes archives 3, un mémoire secret dans lequel il demandait au pape, même avant la constitution Vineam Domini, de profiter des bonnes dispositions de Louis XIV pour organiser, contre l'École de Port-Royal, une persécution semblable à celle de Julien-l'Apostat contre les chrétiens. On lit dans cette pièce :

« Je n'en finirois pas si je voulois compter les ordres religieux, les congrégations ecclésiastiques, les écoles, les colléges, les grands, les évêques, les docteurs auxquels cette faction et sa doctrine sont chères. Nous approchons de temps périlleux... Louis connoît bien

Mémoires du duc de Saint-Simon, t. Ix, ch. 12 et 22.

2 Archives de Rome, Francia. Constitut. Unigenit. 2290.

Memoriale ad cardinal Gabrieli. Clam Legendum. Archiv. de Rome, Francia. Constitut. Vineam Dom. T. 2267.

les grands et les évêques qui favorisent cette faction; il les poursuit avec beaucoup de soin; mais il y a beaucoup de choses qui échappent à ce prince ignorant la théologie, et qui a tant d'autres occupations. Madame de Maintenon, à la persuasion de l'évêque de Chartres, laisse de côté toute autre préoccupation, pour se dévouer à la poursuite des chefs de la faction jansénienne; il ne faut donc point douter qu'elle ne travaille très efficacement en faveur des décrets du Siége apostolique. Le dauphin est très bon; il aime l'Église; il écoute volontiers le Jésuite son confesseur, et n'est pas favorable à la nouveauté. Le duc de Bourgogne est instruit, et il a en horreur la faction. Le roi d'Espagne a en horreur le nom même de la secte jansénienne. Si la très pieuse conspiration d'un si grand pontife et d'un si grand roi laisse l'œuvre imparfaite, que pourra-t-on espérer lorsqu'ils ne seront plus ni l'un ni l'autre? Le roi est presque septuagénaire; qu'arriveroit-il s'il mouroit? Quelle espérance nous resteroit-il si notre très saint pontife mouroit prématurément, et s'il avoit pour successeur un pape inférieur en science et en piété, qui se laisseroit tromper par les chefs de la secte et se montreroit disposé à la tolérer?

» Maintenant, quels sont les remèdes à l'aide desquels on pourroit guérir cette maladie? Voici ceux auxquels j'ai pensé :

» 1.o Je pense que le saint Père devroit exhorter le roi à n'accorder aucune grâce aux fauteurs de la secte; il seroit même désirable qu'il fût bien connu que tous ceux qui sont en charge lui seront suspects, et seront dépouillés de toute autorité dès qu'il saura qu'ils favorisent en cachette la faction.

» 2.0 Il me semble que l'on devroit obliger tous les clercs de signer une formule de serment avant de recevoir le sous-diaconat. » 3. On devroit imposer cette obligation parmi toutes les nations catholiques, afin d'imposer silence aux Jansénistes, qui disent à satiété que le Siége apostolique n'a imposé à la France sa défininition touchant un fait sans importance que par crainte du roi.

» 4.° Je pense qu'il faudroit interdire et priver de leur bénéfice tous les chefs d'ordre, les clercs et les bénéficiers qui refuseroient la signature pure et simple du formulaire.

» 5.o Je ne doute point qu'il ne fallut excommunier les obstinés, après leur avoir fait les trois monitions canoniques.

>> 6. Il faudroit punir des peines canoniques les relaps, c'est-àdire ceux qui retourneroient à leur erreur au moyen de certains subterfuges, après avoir signé purement et simplement.

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