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ces peuples se trouve placé par la nature. Ici M. Peron présente le riche tableau de la fécondité de l'île de Timor, et reprend bientôt en ces termes : du côté des alimens, nul peuple donc n'a été plus favorisé que celui de l'île qui nous occupe; excellence, abondance, diversité, tout se trouve réuni pour son usage. Sous ce rapport, il fut placé par la nature dans une des conditions les plus favorables au développement des forces physiques et à leur entretien. Cette facilité prodigieuse de satisfaire à tous les besoins de la vie, cette abondance de tous les biens, sans mélange de peine et de labeur, ont déterminé dans toute la nation', un caractère d'apathie et d'indifférence si décidé, une aversion si forte pour le travail et la fatigue, que l'idée seule de s'y livrer, attristerait un Malais de ces régions. Demeurer accroupi une partie de la nuit et du jour, le derrière sur ses talons, à l'ombre d'un tamarinier, d'un palmier ou d'un bananier; mâcher le bétel, boire du calou, prendre trois ou quatre repas assez légers; toucher une sorte de guitare faite avec une feuille de bananier et un cylindre de bambou ; dormir à diverses reprises du jour et de la nuit; tresser quelques nattes, ou s'occuper d'autres ouvrages aussi faciles; se baigner enfin, se peigner, se frictionner avec de l'huile de coco, tel est le cercle invariable des occupations d'un Malais libre à Timor. Pour les esclaves, ils sont en si grand nombre dans chaque maison, on exige d'eux si peu de travaux, ils les exécutent si lentement, que leur existence particulière n'est guère moins oisive que celle de leurs maîtres. On peut donc considérer ce premier peuple comme plongé dans un état permanent d'inaction ou de repos ; et cet état lui-même doit être regardé avec raison comme la cause essentielle du défaut de vigueur des habitans de Timor. La température de l'îlene paraît pas non plus être étrangère à la faiblesse qui nous occupe. Dans son Mémoire sur la Dyssenterie des pays chauds (Voy.Dyssenterie)et sur l'usage du bétel, M.Peron a particulièrement insisté sur l'action débilitante de l'atmosphère humide et chaude de l'île de Timor; il a prouvé combien sont rapides et meurtriers les effets produits par

cette constitution atmosphérique; mais que, guidés par un instinct admirable, les habitans de cette île étaient parvenus de bonne heure à y opposer des moyens aussi simples qu'efficaces; il a parlé de ces bains froids souvent réitérés, de ces frictions non moins fréquentes, par lesquels ils cherchent à redonner à la peau cette vigueur, cette énergie que la chaleur humide tend à détruire. J'ai fait connaître, dit l'auteur, cette foule d'ingrédiens aromatiques, amers, astringens et surtout cette chaux vive, cet arreck, ce bétel dont ils font usage pour ranimer intérieurement la tonicité de l'estomac et du canal intestinal. Toutes ces indications semblent à la vérité bien remplies; mais de telles pratiques n'en attestent pas moins une cause puissante d'affaiblissement général, dont l'action ne saurait être jamais parfaitement neutralisée, quelques remèdes qu'on pût d'ailleurs employer pour la combattre. La haute température de Timor, son humidité habituelle, la vie indolente de ses habitans semblent donc. fournir elles seules une explication satisfaisante de la faiblesse particulière au premier des trois peuples dont nous avons parlé. Ici donc, il faut en convenir, le degré de civilisation ne paraît pas y influer d'une manière essentielle, immédiate; mais il n'en est pas ainsi pour la terre de Diemen et la Nouvelle-Hollande. La nature semble avoir traité les habitans de ces régions en marâtre. Le règne végétal n'y fournit presque rien ; on n'y a jamais trouvé aucun fruit mangeable qui fût de la grosseur d'une cerise; on n'y connaît encore d'autres racines nutritives que celles de diverses fougères et quelques bulbes d'orchidées. Le règne animal, à son tour, n'offre d'espèces un peu considérables que le casoar et le kanguroo, l'un et l'autre devenus très rares sur la grande terre, à cause de la chasse continuelle qu'on leur fait. La pêche pourrait, à la vérité, fournir aux habitans une ressource plus abondante, plus assurée; mais l'imperfection de leurs instrumens et de leurs méthodes de pêche, l'hiver pour les habitans de la terre de Dièmen, les orages fréquens pour ceux de la Nouvelle-Hollande, et surtout les émigrations des poissons, tout concourt à rendre cette

dernière ressource trop souvent insuffisante et quelquefois même absolument nulle. Dans plusieurs circonstances, ces hordes misérables sont réduites à vivre de certaines herbes, à ronger l'écorce de différens arbres; enfin, il n'est pas jusqu'aux fourmis nombreuses qui dévastent leur sol, qu'elles n'aient été contraintes de faire servir à leur nourriture. M. Collins a fait mention de cette pâte horrible que les naturels préparent, en pétrissant ces insectes et leurs larves, avec les mêmes racines de fougère dont nous venons de parler. La famine la plus hideuse a pu seule inspirer un usage aussi repoussant et dont nous ne croyons pas qu'on ait trouvé la moindre trace dans le reste de l'Univers. Certes de pareils alimens ne sont guère favorables au développement de la force physique, et sans doute il serait difficile de rencontrer ailleurs un peuple plus maltraité sous ce rapport, que celui dont nous parlons. Il en est de même de l'exercice. Au lieu de cette action modérée, que l'expérience nous apprend être si propre à développer et entretenir la vigueur, le sauvage dont il s'agit, entraîné par le besoin impérieux de se procurer des alimens pour apaiser la faim qui le presse, se livre pendant plusieurs jours à des courses longues et pénibles, ne prenant de repos que dans les instans où son corps tombe de fatigue et d'épuisement. Vient-il à trouver une pâture abondante, alors étranger à tout mouvement autre que ceux qui sont indispensables pour qu'il puisse assouvir sa voracité, il n'abandonne plus sa proie; il reste auprès jusqu'à ce que de nouveaux besoins le rappellent à de nouvelles courses, à de nouvelles fatigues non moins excessives que les précédentes. Or, quoi de plus nuisible au développement réel, à l'entretien harmonique des forces, que ces alternatives de fatigue outrée, de repos automatique, de privations accablantes, d'excès et d'orgies faméliques ? Dans cette seconde partie d'existence des peuples de la Nouvelle-Hollande et de la terre de Diémen, nous retrouvons donc encore une cause générale de faiblesse extrêmement active, et qui se reproduit à toutes les époques de la vie de ces

hommes malheureux. Après avoir ainsi discuté les causes de la faiblesse des sauvages soumis à ses expériences, M. Peron parle des vices très-remarquables de la constitution de ces peuples, vices qu'il attribue aux mêmes causes que leur faiblesse; puis il conclut en ces termes : «De tout ce que je viens de dire, il semblerait donc résulter en dernière analyse, que le défaut d'alimens, leur mauvaise qualité, et les fatigues indispensables pour les obtenir, peuvent être considérées comme les causes essentielles du défaut de vigueur des hommes de la Nouvelle-Hollande et de la terre de Diémen; mais tous ces inconvéniens, à leur tour, ne peuvent-ils pas être considérés comme un résultat immédiat et nécessaire de l'état sauvage dans lequel ces peuplades malheureuses végètent encore? C'est ce que le raisonnement le plus rigoureux, et l'analyse la plus irrécusable semblent consacrer. Il me suffit, ajoute M. Peron en terminant son travail, d'avoir, le premier en ce genre, ouvert la carrière de l'observation, et d'avoir opposé des expériences directes, des faits nombreux à cette opinion trop-communément admise, trop dangereuse peut-être, et bien certainement trop exclusive, de la dégénération physique de l'homme, par le perfectionnement de la civilisation. L'auteur a comparé, par le moyen du dynamomètre, la force physique des peuples qui vivent dans l'état de nature, avec celle des nations qui vivent dans l'état de civilisation. Sur la terre de Diémen, sur l'île Maria qui l'avoisine, dit-il, il existe une race d'hommes tout-à-fait différente de la race qui habite le continent de la Nouvelle-Hollande. Pour la taille, les individus se rapprochent assez des Européens; mais ils en diffèrent par leur conformation singulière. Avec une tête volumineuse, remarquable surtout par la longueur de celui de ses diamètres qui du menton se dirige vers le sinciput; avec des épaules larges et bien développées, des reins bien dessinés, des fesses généralement volumineuses, presque tous les individus présentent en même temps des extrémités faibles allongées, peu musculeuses, avec un gros ventre saillant et comme ballonné. Du reste sans chefs, proprement dits,

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sans lois, sans aucune forme de gouvernement régulier, sans arts d'aucune espèce, sans aucune idée de l'agriculture, de l'usage des métaux, de l'asservissement des animaux ; sans vêtemens, sans habitation fixe, sans autre retraite qu'un misérable abat-vent d'écorce pour se défendre de la froidure des vents du sud, sans autres armes que le casse-tête et la sagaïe, toujours errant au milieu des forêts ou sur le rivage des mers, l'habitant de ces régions réunit sans doute tous les caractères de l'homme non social; il est par excellence l'enfant de la nature. Combien il diffère cependant, soit au moral, soit au physique, de ces tableaux séduisans que l'imagination et l'enthousiasme créèrent pour lui, et que l'esprit de système voulut ensuite opposer à notre état social.» Ici M. Peron expose les détails de ses expériences dynamométriques, desquelles il résulte que le terme moyen de la force des peuples sauvages de la terre de Diemen et des îles qui l'avoisinent, est de beaucoup inférieure à celle des nations européennes. L'auteur examine ensuite, sous le même rapport, les habitans de la Nouvelle - Hollande, et trace le tableau suivant de leur état social: « Toute la Nouvelle-Hollande, depuis le promontoire de Wilson au sud, jusqu'au cap d'York au nord, paraît être habitée par une race d'hommes essentiellement différente de celles qu'on a connues jusqu'à ce jour. La stature de ces hommes est à peu près la même que celle des habitans de la terre de Diémen; mais, indépendamment de plusieurs autres caractères qu'il n'est pas de mon objet de retracer maintenant, ils different surtout de ces derniers par la couleur moins foncée de leur peau, par la nature de leurs cheveux lisses et longs, et par la conformation remarquable de leur tête qui, moins volumineuse, se trouve déprimée en quelque sorte vers son sommet, tandis que celle des Dieménois est au contraire allongée dans le même sens. Le torse des individus de ce nouveau peuple est aussi généralement moins développé ; du reste, même disproportion entre les membres et le tronc; même faiblesse, même gracilité de membres et souvent aussi même tuméfaction du ventre. Pour ce qui

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