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Et cependant, le principe de la parenté botanique dans le greffage n'est qu'à moitié vrai. Dans une même famille comme celle des rosacées, des genres voisins se greffent très difficilement ou point du tout entre eux, et c'est le cas pour le pommier et le poirier, dont, en dépit de ce qu'a dit Virgile (1), les greffages réciproques ne persistent pas longtemps, tandis que des genres plus éloignés, amandier et pêcher, prunier et abricotier se prêtent bien à l'opération. D'autre part, de Candolle a fixé l'olivier et le lilas sur le frêne, et ce sont là trois oléacées qui appartiennent non seulement à des genres différens, mais à des tribus différentes.

La parenté botanique règle seulement le résultat des croisemens sexuels. La doctrine classique enseigne que la fécondation croisée n'est possible qu'entre des plantes appartenant à des espèces voisines et qu'elle n'a d'effets durables qu'entre les variétés ou les races d'une même espèce. L'affinité sexuelle ne s'exerce donc que dans des limites très étroites. Il en est tout autrement pour l'affinité végétative qui est mise en jeu dans la greffe. Son champ est beaucoup plus étendu ; les limites de la reprise sont plus larges. On peut greffer ensemble des plantes que l'on ne pourrait pas croiser. Pour la réussite des greffes, l'analogie des appareils végétatifs prime l'analogie des appareils floraux, base de la classification botanique. C'est une vérité admise depuis longtemps; elle ressort clairement du travail bien connu de Gaertner, publié en 1849 à Stuttgard. M. Daniel en apporte de nouveaux exemples. Il a réuni des plantes herbacées et ligneuses appartenant à des familles très différentes. Il est parvenu à conjoindre, par exemple, la morelle noire qui est une solanée avec le topinambour qui est une composée, ou encore, une oléacée, le lilas avec l'érable qui est une acérinée.

On peut donc unir par la greffe des plantes très éloignées. Les anciens avaient raison sur ce point. Mais il faut ajouter que, dans ces cas extrêmes, il ne s'agit pas de greffe proprement dite. M. Daniel ne s'aventurait pas à séparer les plantes ainsi soudées, et à sevrer l'une d'elles il se contentait d'un greffage par rapprochement. La soudure, sans doute, est absolument complète; mais elle est alors simplifiée. Elle est réalisée par l'intermédiaire du tissu végétal le plus simple, le tissu cellulaire ou parenchyme. Elle ne contient point les élémens anatomiques supérieurs, les vaisseaux et fibres qui forment, chez les plantes élevées en organisation, le véritable appareil conducteur de la sève.

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VI

Les observations des agronomes et des botanistes modernes ont donc établi que le greffage exerçait une action modificatrice sur les deux associés. Le greffon trouve sur la plante qui le porte autre chose qu'un sol nourricier; il y trouve un agent de transformation. On avait tort, tout à l'heure, de comparer le greffage à la reproduction par bouture ou par marcotte, ces procédés n'altèrent pas le végétal : la greffe l'altère, elle le fait varier.

Ces altérations sont de deux espèces, ou pour mieux dire de deux degrés.

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Les unes, minimes pour le botaniste, mais capitales pour le consommateur, sont de l'ordre de celles que produit la diversité des sols de culture; ce sont des variations nutritives. Les changemens de cette catégorie portent sur la précocité du végétal, sur sa taille, sur son port, sur la caducité des feuilles, sur la grosseur du fruit et sur ses qualités de saveur. L'entrée en sève de l'arbre greffé Jest plus précoce; les observations du baron Tschudy sur les hêtres l'ont bien montré. Le développement est plus rapide. La taille de l'arbre fruitier greffé est plus faible, tandis que le fruit est plus gros. On peut dire que c'est là tout le principe de l'arboriculture potagère: obtenir de gros fruits sur de petits arbres. On greffe une plante plus vigoureuse, le poirier, sur une plante plus faible, le cognassier: par là on diminue sa taille et sa vigueur végétative, on affaiblit l'exubérance de sa verdure et, par compensation, on accroît sa floraison et sa production en fruits. La greffe affaiblit l'arbre fruitier et du même coup le pousse à fruit : elle le fait vivre en milieu plus sec.

Il peut y avoir un second degré de variation, plus profond, déterminé par le greffage et qui affecte les traits principaux de la plante, les caractères botaniques de l'espèce: c'est la variation spécifique.

M. Daniel a rassemblé un grand nombre d'exemples anciens de ces deux espèces de variations. Il a apporté lui-même à l'œuvre de ses prédécesseurs une large contribution de faits nouveaux. Il a obtenu de nombreuses modifications du sujet par le greffon et du greffon par le sujet chez les plantes herbacées, choux, navets, ail, haricots, tomates, soleils. Ces opérations étaient exécutées, comine on le voit, sur des espèces annuelles ou, en tout cas, à cycle de développement assez court; elles ont eu cet avantage de permettre d'en suivre les

conséquences héréditaires. C'était une grave question, à la fois au point de vue théorique et au point de vue pratique, de savoir si ces variations qui atteignaient primitivement les cellules végétatives s'étendraient jusqu'aux cellules sexuelles et seraient capables de retentir sur la postérité du greffon. M. Daniel l'a résolue. La transmission n'a pas lieu toujours, mais elle est incontestable dans certains cas, et les produits de graines ont hérité de quelques particularités que la greffe avait introduites.

Par quel mécanisme peut s'exercer cette influence réciproque, désormais bien mise en lumière, des deux sujets associés? C'est là le dernier problème à résoudre; et voici ce que l'on en peut dire :

Les relations d'échange entre les deux plantes sont dominées par la structure du tissu commun qui les unit et qui forme le « bourrelet » de la greffe. M. Daniel a fait une étude attentive de ce tissu intermédiaire. Nous avons dit que les plantes éloignées sont greffables seulement par rapprochement, et qu'alors le bourrelet est uniquement composé de cellules. Il se complique davantage dans les greffes proprement dites qui s'opèrent entre plantes voisines. La masse cellulaire intermédiaire est alors traversée par un lacis de vaisseaux étroits, irréguliers, à trajet tourmenté. C'est par là que la sève et les principes élaborés passent d'un végétal à l'autre, et que le greffon, véritable parasite, s'alimente aux dépens de son hôte.

On sait l'influence déformatrice, en tous cas transformatrice, que la vie parasitaire exerce sur les êtres vivans. L'usage par le greffon des sucs élaborés par son hôte, usage réglé d'ailleurs par la structure du bourrelet unissant, peut donc expliquer les « variations nutritives » qui surviennent. Il pourrait expliquer des variations plus profondes. D'après les idées de M. Armand Gautier, ces influences alimentaires iraient jusqu'à atteindre les caractères de l'espèce. Les sèves et les sucs de chaque espèce seraient spécifiques; leurs caractères chimiques changeraient avec la variété et la race, comme les caractères anatomiques et physiologiques eux-mêmes; et leur changement, qui équivaut à une modification profonde du milieu, entraînerait une variation corrélative dans l'être vivant qui les utilise.

A côté de ce mécanisme de variation, il y en a un autre, mieux connu des botanistes. Dans le bourrelet de la greffe, il ne se fait pas seulement un échange de produits élaborés, il se fait un échange des protoplasmes eux-mêmes, c'est-à-dire de la matière vivante des deux plantes. Thuret et Bornet, en 1878, avaient déjà reconnu les communications protoplasmiques qui s'établissent d'une cellule à

Fautre à travers les membranes cellulaires. Dans ses belles études. sur la greffe des solanées, le botaniste allemand Strassburger, en 1884, a retrouvé ces communications protoplasmiques entre les tissus du sujet et ceux du greffon. D'autres observateurs, depuis ce temps, les ont constatées chez les conifères, les loranthacées et réeemment dans la vigne et les autres plantes. Il peut donc y avoir, et il y a réellement dans la greffe une fusion des protoplasmes cellulaires des deux plantes. Ce mélange entraîne la mixture de leurs caractères dans le greffon. Il se passe ici ce qui se passe dans la fécondation sexuelle en général et la fécondation croisée en particulier. Ces actes physiologiques, sources du mélange des caractères et de l'hybridité ne sont pas autre chose, en effet, qu'une fusion des protoplasmes.

Ces études offrent un intérêt évident pour la science biologique. Elles n'ont pas moins d'importance pratique. Nous n'en signalerons qu'une conséquence relative au vignoble français. Ce n'est rien moins que son avenir qui est en jeu. On a sauvé les vignes du phylloxera en les greffant sur plant américain; et l'on a admis, comme un dogme, que les ceps et le vin qui en sort ne perdraient aucun des caractères qui ont fait leur réputation, et qu'ils n'en acquerraient aucun de fâcheux. On a cru, en d'autres termes, qu'il en serait de la vigne comme des arbres fruitiers. Mais, au point de vue biologique, la condition de ces deux espèces de greffages est toute contraire. Les arbres fruitiers sont des plantes vigoureuses greffées sur des espèces plus faibles, c'est-à-dire assujetties à vivre en milieu plus sec. La vigne française greffée sur plant américain est, à l'inverse, une plante végétativement faible greffée sur un sujet vigoureux et assujettie par là à vivre en milieu plus humide. De là une végétation différente plus riche, plus vulnérable et une résistance moindre aux changemens du milieu et aux attaques des parasites cryptogamiques. Aussi quelques botanistes prétendent-ils, et M. Daniel est du nombre, que la vigne dégénère déjà, qu'elle dégénérera davantage, que les signes de cette altération se multiplient, et qu'il est grand temps d'y porter remède en créant des types de remplacement.

A. DASTRE.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

29 juillet.

Les Chambres étaient à peine séparées qu'un très gros nuage s'est formé à l'horizon; et même, avant leur séparation, un journal du matin l'y avait déjà aperçu, probablement avec d'autres lunettes que les siennes, et en avait prédit les prochains développemens. Sommesnous à la veille de la dénonciation du Concordat? A lire les journaux radicaux-socialistes, on le croirait; et, si le fait se produisait brusquement, ce n'est pas nous qui en serions surpris, car nous avons signalé plus d'une fois cette révolution comme imminente. Ce n'est pas que M. Combes en méconnaisse les dangers; il les a, au contraire, plus d'une fois signalés; mais il n'est pas son maître, il est le très humble serviteur de la partie la plus exigeante et la plus violente de la majorité. On lui crie: Marche! Il marche, et même à pas de géant. Quel chemin parcouru depuis quelques jours! Lorsque M. WaldeckRousseau a déposé son projet de loi sur les associations, il se proposait de supprimer quelques congrégations enseignantes: toutes y ont passé, et les congrégations charitables auront leur tour. On nous assurait du moins que le clergé régulier était seul menacé, et que le clergé séculier ne serait jamais inquiété. Nous n'en avons rien cru. Avions-nous tort? On voit où nous en sommes. La séparation de l'Église et de l'État, faite par les hommes qui sont aujourd'hui au pouvoir et sous les influences auxquelles ils obéissent, nous conduira tout droit à la guerre religieuse et c'est bien cela qu'on veut.

On a trouvé un prétexte : à défaut de celui-là, on en aurait trouvé un autre, et c'est ce qui diminue, dans une certaine mesure, la responsabilité des imprudences qui ont été peut-être commises à Rome.

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