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MINORITÉ. Interdiction.

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Les engagemens contractés par un mineur, pour prix de marchandises de luxe, sont-ils indistinctement annullables?

L

Il y a près de vingt ans que le sieur de Roisin, portant alors le titre de baron, se présenta chez un sellier de Bruxelles, le sieur Maskens, pour lui commander un cabriolet d'un goût assez bizarre; le prix fut convenu: les parties signèrent le marché : l'acheteur devait payer, dès qu'il serait fait, une somme de soixante-dix louis, à laquelle l'ouvrage fut évalué.

Le sieur de Roisin, ayant apperçu, dans les ateliers de Maskens, une diligence à l'anglaise, presqu'achevée, témoigna qu'elle lui convenait, et l'acheta, avec les assortimens, pour cent trente-sept louis, qu'il promit d'acquitter au moment de la délivrance: il en passa sa soumission.

La voiture faite, le sieur de Roisin l'envoya chercher, et partit en poste pour Tournay, d'où il s'épuisa en excuses sur ce qu'il n'avait point fait honneur à son obligation; il promettait de réparer cette lacune sous peu de jours.

Le sieur de Roisin avait ajouté à sa signature la qualité de seigneur de deux terres considérables, dont il était en effet propriétaire.

Il figurait dans les hautes sociétés de Bruxelles sa physionomie, sa corpulence, un ton d'assurance, la réputation d'une grande fortune, toutes ces circonstances n'avaient pas permis à Maskens de réfléchir sur la solidité des engagemens pris avec lui; mais son co-contractant n'avait que vingt-quatre ans et neuf mois on s'est fait depuis un moyen de sa minorité, pour rendre ses obligations illusoires.

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L'époque de la majorité du sieur Roisin donna des inquiétudes à sa famille: elle fit prononcer son interdiction d'avance, pour cause de prodigalité: on la renouvela depuis sa majorité : il fut mis sous la caratelle de son oncle, chanoine à Tournay.

Maskens apprit, mais un peu tard, qu'il avait trop donné à la bonne foi et aux apparences fastueuses de son débiteur.

La voiture était délivrée, et le cabriolet achevé; mais rien ne se payait.

Il prend le parti de s'adresser au curateur, qui ne lui fait aucun reproche, et se contente de l'exhorter à la patience, jusqu'à ce que, par la vente de quelques propriétés de l'interdit, on puisse parvenir à liquider ses dettes.

Pour ne pas augmenter ses risques, le sellier se défait du cabriolet, sur lequel il assure avoir perdu quatre cent quatre-vingts francs.

Cependant le sieur de Roisin se marie; mais son interdiction est continuée. La dame de Rodoan, devenue son épouse, est, en dernier lieu, nommée cu

ratrice on la presse inutilement de payer le prix de la voiture, et la perte faite sur la cabriolet.

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Enfin, arrive la législation qui ne reconnaît plus la prodigalité comme une cause d'interdiction.

La veuve Maskens (son mari était alors décédé) crut l'occasion favorable: elle attaque le sieur Rois sin personnellement au tribunal civil du département de Jemmappes, et conclud à ce qu'il soit condamné à lui payer le prix de la diligence, et quatre cent quatre-vingts francs, pour indemnité du cabriolet.

De Roisin excipe lui-même de son état d'interdit, et allègue qu'il n'a pas qualité pour ester en jugement le tribunal civil du département de Jemmappes le décide ainsi, et déboute la veuve Maskens de sa demande, pour l'avoir formée contre l'interdit.

Ce jugement, rendu le 7 pluviose an VI, ne fut ni levé, ni signifié.

La veuve Maskens renouvelle ses poursuites devant le tribunal civil de l'arrondissement de Tournay, tant contre le sieur de Roisin, que contre la dame son épouse, comme présumée curatrice.

Là, on juge que l'effet de l'interdiction avait cessé par l'introduction des lois de la république, et notamment en vertu de l'acte constitutionnel de l'an III; en conséquence, le sieur de Roisin est condamné par défaut à payer le montant des répétés : son épouse est déclarée sans qualité.

I

La dame de Roisin propose la réformation de ce jugement par voie d'appel.

Contre les motifs du premier juge, elle observe, que l'acte constitutionnel de l'an III ne parle d'interdiction que relativement à l'exercice des droits politiques; que son silence sur l'interdiction pour cause de prodigalité, a laissé subsister les choses dans les termes du droit civil;

Qu'en admettant que la prodigalité eût cessé d'être une cause suffisante d'interdiction, il ne faudrait pas en tirer la conséquence, que les lois nouvelles auraient anéanti les interdictions juridiquement prononcées sous l'empire de l'ancienne législation;

Que, tout au plus, les interdits pourraient provoquer la main-levée de l'interdiction, et l'obtenir en connaissance de cause, par l'intermédiaire du magistrat, étant de principe que ce qui a été fait légalement par le juge, ne peut être retracté que par l'intervention de la même autorité, à moins qu'une loi n'ait formellement annullé la disposition.

Sur tout, madame de Roisin opposait la chose jugée par le tribunal civil du département de Jemmappes, le 7 pluviôse an VI, qui avait reconnu l'état d'interdiction du sieur de Roisin, en décidant qu'il n'avait pas qualité pour se défendre.

La veuve Maskens appelait incidemment de cette décision; mais on lui disait qu'elle y avait acquiescé, en dirigeant sa nouvelle action tant contre le sieur de Roisin que contre sa curatrice; on lui disait, que

sa demande était pour ainsi dire faite en exécution du jugement du 7 pluviôse an VI.

Sur cette contestation intervint, le 12 fructidor an XII, arret par lequel la Cour déclara la veuve Maskens non-recevable dans son appel du jugement du 7 pluviose an VI, sur les motifs qu'elle y avait acquiescé; ainsi se termina la question de savoir, si l'interdiction avait cessé de plein droit par l'application des lois de la république aux départemens réunis, attendu que le tribunal de Jemmappes avait décidé négativement, et que son jugement avait acquis la force de la chose jugée.

Les parties sont renvoyées à plaider au fond.

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L'appelante soutenait, en qualité de curatrice de son mari, que ce dernier ne s'était pas valablement obligé envers Maskens;

Qu'il lui suffisait d'opposer la minorité;

Que Maskens n'aurait d'action utile, qu'autant qu'il prouverait que les objets, pour lesquels il a traité avec un mineur, lui étaient nécessaires, et qu'ils ont réellement tourné à son profit;

Que, loin de faire cette preuve, les circonstances et la nature du traité souscrit par le sieur de Roisin, démontraient la frivolité de ses engagemens, et la défiance que sa conduite devait inspirer à un homme moins avide que Maskens.

Un jeune-homme inconnu se présente, dit-elle, tout-à-coup chez un carossier, et fait sur-le-champ avec lui des affaires pour deux cents louis, en choses de luxe et de fantaisie.

Non!

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