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Le mari défendeur, sur une demande en séparation de corps, motivée sur excès, sévices et injures graves, est-il recevable pour en éluder l'effet, à opposer le résultat d'une contre-enquête, portant sur des faits qui accusent la moralité de sa femme, et qui n'ont pas été allégués avant l'admission à preuve?

MARIE-DIEUDONNÉ DETIEGE se plaint de ce que PierreFrançois Meeus, són mári, l'accable journellement d'injures grossières et humiliantes, l'excède de coups, et la met à chaque instant au péril de sa vie ;

De ce que, sans ménagement pour son état de grossesse, il a exercé sur sa personne des actes de violence, auxquels elle n'a survécu que parce que des cris de douleur ont appelé des secours étrangers, qui ont enchaîné la fureur de son mari;

De ce que sa brutalité et ses emportemens retombent sur six malheureux enfans, nés de leur marian'étant pas plus humain comme père, que comme

ge,

époux.

Elle demande la séparation de corps et de biens.

Pierre-François Meeus se borne à dénier les imputations il n'allègue aucun fait, aucune circons tance contre les mœurs et la conduite de son épouse.

La preuve des faits posés par Marie-Dieudonné Detiege est admise elle parvient à la compléter; au cun de ses témoins n'est reproché juridiquement.

D'autre part, Pierre-François Meeus fait procéder à une enquête contraire.

Sur quoi déposent les témoins? Sur des liaisons entre marie-Dieudonné Detiege, âgée de près de cinquante ans, et un certain Noyez, soupçonné d'être

son amant,

Le 16 ventôse an XIII, jugement du tribunal de l'arrondissement de Bruxelles, qui rejette la demande en séparation de corps, motivé sur ce que les excès et injures étaient provoqués par les fréquentations suspectes de Marie-Dieudonné Detiege avec Noyez.

Cette dernière interjette appel.

Ses griefs consistent,

1.o En ce que la contre-enquête porte sur des faits non allégués par son mari, et dont la preuve n'avait été ni prévue, ni ordonnée.

L'enquête contraire, a-t-elle dit, doit se renfermer dans l'objet de l'interlocutoire.

S'il était permis à une partie d'enquérir sur des faits non proposés, ce serait autoriser une information clandestine, et priver l'autre partie de moyens justificatifs; car, dans ce cas, c'est une enquête directe que fait le défendeur, puisqu'il devient demandeur sur exception.

Ce serait violer l'article 1.er, titre 22, de l'ordon

nance de 1667, qui veut que les faits sur lesquels il est libre aux parties d'informer, soient contenus dans le jugement.

2.0 En ce que la contre-enquête de son mari ne tendait qu'à une récrimination calomnieuse, ourdie depuis le procès, et favorisée par quelques témoins complaisans, dont la déclaration répugne à toute vraisemblance ;

En ce que les soupçons d'inconduite de l'appelante n'autoriseraient point son mari à l'outrager, elle et ses enfans, et à exposer ses jours par des actes de fureur et de cruauté, qui se reproduisent à cha que instant;

Qu'admettre la compensation, ce serait armer le mari d'un pouvoir tyrannique, d'autant plus redoutable, qu'il pourrait en user sur les soupçons les moins fondés, tandis qu'il a la faculté de recourir aux voies de droit, si sa femme vit dans le désordre.

Marie-Dieudonné Detiege observait, que le silence de son mari, sur sa moralité, lorsque le juge admit la preuve des faits par elle articulés, était un aveu implicite de la vérité de sa plainte, et en même-temps une démonstration de la méchanceté du moyen ténébreux, auquel il avait eu ensuite recours pour flétrir la réputation d'une mère de six enfans, élevés et nourris de ses sueurs et de son travail.

Si je me suis borné à une dénégation pure et simple des faits, répliquait Meeus, je n'ai pas entendu m'interdire la faculté de les détruire, ou de les atténuer par une preuve contraire, qui m'était réservée de droit.

Les

Les faits sur lesquels les témoins ont déposé, ont un rapport intime avec l'objet de la demande : il était inutile de les alléguer, puisqu'ils rentraient dans l'ordre naturel de ma justification.

Ce n'est pas une compensation que j'oppose, mais un moyen de démontrer à mes juges que, si ma femme a éprouvé quelques momens de mauvaise humeur de ma part, elle doit s'imputer la cause qui les a pro

duits.

Il exposait que, depuis long-temps, il avait interdit à sa femme la fréquentation de Noyez ; qu'elle avait résisté à ses conseils, et que son opiniâtreté était la ·source des querelles qui troublaient l'harmonie de leur ménage,

Qu'au surplus, elle avait exagéré sa plainte; que la plupart des faits allégués restaient sans preuve;

Que, si l'on retranchait du nombre de ses témoins le nommé Noyez, qu'il appelait son séducteur, on ne voyait plus que des tracasseries bien éloignées du caractère de gravité que la loi exige, pour autoriser une séparation de corps;

et

Enfin, que les liaisons de Marie-Dieudonné Detiege avec Noyez, étaient prouvées par la contre-enquête, que lui adjuger sa demande, ce serait la récompenser de son inconduite, et ouvrir, à toutes les femmes qui voudraient vivre dans la débauche, une voie facile de se débarrasser de la censure importune de leurs maris.

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M. Malfroid, substitut du procureur général impérial, était d'avis, que la contre-enquête, dirigée par Meeus, contenant une inculpation directe de faits non allégués, Tome II. N.° 7. 42

1 y avait lieu d'admettre l'appelante à les contredire par une preuve contraire, quoique d'ailleurs cette inculpas tion lui parût se réduire à des soupçons vagues et sans fondement.

La Cour a considéré,

1.° Que les faits articulés étaient de nature à légitimer la séparation de corps;

2.° Que le mari n'était pas recevable à apposer le résultat de sa contre-enquête, en tant qu'elle tendait à établir une compensation inadmissible, et qui ne serait d'ailleurs fondée que sur des faits non proposés ni discutés avant le jugement qui avait ordonné la preuve;

3.° Qu'en écartant de la contre-enquête les imputations vaguement faites à la moralité de Marie-Dieudonné Detiege, elle ne présentait aucun autre fait justificatif;

4.° Qu'il résultait de l'enquête directe, preuve à suffisance de droit, des excès et injures graves allégués par ladite Detiege, et notamment que son mari avait exercé sur sa personne les violences les plus graves, dans le temps de sa grossesse. ‹

in5.0 Que la tentative qu'avait faite Meeus, pour culper l'appelante sur des faits dont il n'avait osé parler avant les preuves, était encore un aveu implicite de la vérité de ceux qui avaient été exposés contre lui;

En conséquence, par arrêt du 27 floréal an XIII, troisième section, le jugement de première instance a été réformé, et la séparation de corps et de biens pro

noncée.

Plaidant: MM. Girardin, pour Marie-Dieudonné Detiege, gen, pour Meeus.

Verhae

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