Page images
PDF
EPUB

L'arrêt n'a donc adjugé la chose et les fruits depuis 1749, qu'en vertu de la maxime: le mort saisit le vif: or, si l'héritier habile et réellement saisi se présente avant les trente ans révolus depuis l'arrêt, la fiction s'évanouit et le bénéfice de l'éviction prononcée contre le détenteur injuste, passe au vrai successeur de Jeanne-Catherine Col dans l'immeuble, car c'est pour l'héritier légitime qué l'arrêt est rendu ; c'est au profit de la vérité.

Il ne s'agit plus que d'un simple calcul: l'arrét est du 28 août 1775. La demande d'André Delahaye est du 1.er brumaire an XII (24 octobre 1803); ainsi, antérieure à la révolution de trente ans; ainsi, en temps utile pour interrompre la prescription.

On objecte la loi 13, § 9, ff., de acq. vel omit. posses., et l'autorité de quelques jurisconsultes français, et l'on dit que la possession des Randoux accède à celle qui a été adjugée par l'arrêt de 1775 : on y réunit la possession civile qui avait couru depuis le décès de Jeanne-Catherine Col, jusqu'en 1749, époque de la cessation de l'usufruit: de là, un espace de plus de trente ans ; mais la loi romaine et l'opinion des auteurs qui l'ont prise pour le texte de leur décision, combattent leur propre systême.

On suppose dans la personne qui recouvre la chose par l'autorité du juge, une possession naturelle et de fait antérieure à l'usurpation : aussi la loi se sertelle du mot restituer: il n'est pas étonnant que, dans ce cas, la jouissance intermédiaire se rattache aux deux extrémités de la possession légitime. En est-il ainsi, lorsqu'on n'a jamais possedé de fait? Non, sans doute; car le jugement qui statue n'est basé que sur

la

la fiction du droit qu'il proclame: or, si ce droit n'est pas réel, si avant que l'arrêt ait eu son exécution pendant trente ans, le vrai propriétaire agit en revendication, est-on recevable à lui opposer une possession qui n'a de fondement que dans l'erreur de la qualité de la personne?

La possession des Randoux a été reconnue être de mauvaise foi, mais uniquement à leur égard. A qui doit-elle profiter en dernière analyse? A l'héritier légitime; autrement ce serait réunir à une possession non légitime une possession de mauvaise foi.

Il est bien vrai que celui qui perd la possession par l'effet de la violence, est censé demeurer possesseur. Qui vi dejectus est, perinde habendus est, ac si possideret. L. 27 ff., de acq. vel omit. poss.

Il est vrai aussi que la loi 5 ff., de usucap., semble dire le contraire: interrumpitur possessio, dum quis de possessione vi dejectus est, vel alicui res eripitur; mais ces lois se concilient, en ce que la première s'entend du possesseur dépouillé par violence vis-à-vis l'auteur de la violence, et la seconde, visà-vis des tiers qui ne sont point complices de la voie de fait.

Les Col n'ont jamais éprouvé de violence, et les Randoux possédaient animo dominii: leur possession a donc été interruptive de la prescription, et si elle était une continuation du titre précaire, elle a retenu le domaine au nom du véritable héritier.

Les défendeurs se replient sur l'origine de la demande formée le 28 août 1773. L'arrêt de 1775 n'est,

Tome III, N.° 5.

26

dit-on, que la déclaration faite par le juge, qu'ils étaient fondés lorsqu'ils ont intenté l'action sententia retrotrahitur ad initium litis contestata; maxime vraie en thèse générale, mais faussement appliquée dans l'espèce.

Dans l'espèce, l'arrêt porte avec lui-même la preuve que les Col ne possédaient pas avant le 28 août 1775, puisqu'il les envoie en possession. Le fait résiste donc au principe invoqué.

Avaient-ils droit de posséder? C'est la question.

Il serait inutile de répéter que le droit dépend de la véritable qualité d'héritier.

Le demandeur leur dénie cette qualité, et il prouve que la clozière retournait par son origine, et la règle : paterna paternis, à la ligne des Villers, auxquels ils sont étrangers, et dont descend l'épouse du demandeur: ainsi, ils n'ont jamais eu la possession civile, et la possession naturelle, ou de fait, n'a commencé à leur égard que par l'arrêt de 1775.

En dernier résultat, les Col opposent la prescription du droit héréditaire. La faculté d'accepter ou de répudier une succession est prescriptible par le laps de trente ans il y en a cinquante-quatre que la clozière provenant de la succession de Jeanne-Catherine Col a pu être appréhendée par celui qui s'y croyait appelé. De quel droit venez-vous, après un si long silence, troubler les possesseurs actuels? Votre titre est éteint.

Distinguons,

Ou les biens de la succession sont possédés sane

interruption, pendant trente ans, par autrui, et alors le tiers détenteur les acquiert lui-même par la prescription: il s'est fait une mutation de propriété ;

Ou ils restent sans possesseur, et dans ce cas, qui oserait en contester le domaine à l'héritier qui réclamerait, après trente ans, contre un détenteur de quelques jours?

Il faut donc une possession de fait et continue pour opérer la déchéance de l'héritier, tout ainsi que contre son auteur, du droit duquel il est saisi sans aucun fait, sans aucune diligence.

La possession, de trente ans n'existe pas en faveur des défendeurs : elle ne peut dater que de l'arrêt de 1775: l'immeuble était précédemment détenu par les Randoux. La possession de ces derniers tourne au profit du propriétaire : or, c'est le demandeur qui était propriétaire en vertu de la règle : le mort saisit le vif.

Jugement du 5 ventôse an XII, rendu au tribunal civil de l'arrondissement de Nivelles, par lequel,

« Attendu que les défendeurs n'ont point possédé « par eux-mêmes pendant trente ans l'immeuble revendiqué; qu'ils n'en avaient pas même eu la pos« session naturelle avant que les Randoux l'eussent « prise pour eux-mêmes; qu'ils ne sont donc pas dans « les termes habiles pour joindre la possession de «< ceux-ci à la leur;

« Attendu que le procès soutenu au conseil de Bra« bant était étranger au demandeur;

« Qu'ainsi les défendeurs ne peuvent, à l'égard du « demandeur, s'appuyer de l'autorité du jugement qui «<en aurait été la suite, pour en induire contre celui« ci, que la possession dans laquelle ils se sont mis, « en vertu de ce même jugement, soit censée avoir «< commencé du jour de la requête introductive au «méme conseil de Brabant;

« Qu'on doit au contraire tenir pour droit, en re« jetant toute fiction, que leur possession n'a com« mencé qu'au moment qu'ils l'ont appréhendée de fait, ensuite dudit jugement;

« La fin de non-recevoir résultant de la prescrip« tion, est rejetée, et le cinquième de la clozière adjugé au demandeur, à cause de sa femme. »

André Delahaye interjette appel de ce jugement.

Les parties reproduisirent à la Cour les mêmes moyens, les mêmes raisonnemens qu'ils avaient employés en première instance.

Sur quoi est intervenu l'arrêt suivant :

« Attendu que par l'arrêt du 28 août 1775, les par«ties de Girardin ont été reconnues héritières, avec <«< restitution des fruits depuis 1749, époque de la « cessation de l'usufruit d'Antoinette Roghe;

«

Qu'en principe et suivant la loi 13, § 9, ff., « de acquirendá vel omittendá possessione, le temps « du détenteur évincé accède au propriétaire reconnu « << par le juge;

«

Que depuis 1749 jusqu'au jour de la demande

« PreviousContinue »