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Mortalité à Cherson. Liberté rendue à des navires russes par les puissances barbaresques.

Refus de la Porte à un bâtiment de passer dans la Mer-Noire.

La mort de M. le comte de Vergennes avait été précédée de la perte que j'eus le malheur de faire à Cherson, d'un de mes frères et de plusieurs personnes attachées à mon établissement. Ils moururent victimes des fièvres malignes qui s'étaient manifestées dans cette ville pendant l'été, avec tant de violence, que ce mal contagieux gagna jusqu'aux équipages de ines navires.

Quelques mois après, cette même maladie m'enleva un autre frère, et ce nouveau malheur me plongea dans la plus profonde afflic

tion.

Cherson ressemblait à un vaste hôpital: on n'y voyait que morts et mourans. La conva

lescence y était hideuse par le teint pâle et livide que conservaient long-temps les personnes qui avaient échappé à ce fléau destructeur. Pour s'y soustraire, les habitans, découragés et consternés, fuyaient leurs demeures, et allaient passer la saison des chaleurs dans d'autres villes.

Ce tableau, que je mis sous les yeux de M. de Simolin, ministre de l'impératrice de Russie à Paris, le frappa et l'intéressa à un tel point, que, dans l'espoir de faire partager à sa Cour l'impression qu'il en avait reçue, il fit passer ma dépêche à Pétersbourg, et appuya vivement mes observations. J'insistais sur le choix d'un local plus sain et plus convenable, tel que Gloubok, pour y bâtir une ville marchande, et y transférer tous les établissemens publics, relatifs au commerce qui existait à Cherson.

Mais vers ce temps - là l'Impératrice se trouvait à Kiow; elle devait se rendre au printemps à Cherson, et visiter la Crimée. Le prince Potemkin, gouverneur de ces contrées, occupé des préparatifs pour y recevoir dignement cette souveraine, renvoya à une autre époque l'examen des divers projets auxquels avait donné lieu l'air pestilentiel qu'on respirait à Cherson, et les fièvres qui

s'y manifestaient tous les étés avec plus ou moins de malignité.

Le Prince remit aussi à un autre temps de prendre en considération le Mémoire que lui présentèrent, pendant son séjour à Cherson, les négocians de cette place, et qui contenait différentes demandes.

Ils s'étaient proposé de lui faire des représentations sur le trouble qu'apportaient les corsaires barbaresques à la navigation marchande russe dans la Méditerranée; mais ils apprirent que la régence de Tunis, après avoir examiné le firman du Grand-Seigneur, dont deux navires conduits dans ce royaume étaient porteurs, les avait relâchés, et que le dey d'Alger s'était conformé aux ordres de la Porte, en faisant restituer un vaisseau russe qui avait été capturé, et que réclama M. de Bulhacow.

Ce ministre de l'Impératrice près la Porte mit beaucoup de zèle à déterminer le gouvernement ottoman à laisser passer dans la MerNoire la gabarre l'Utile, arrivée de Toulon à Constantinople sous le pavillon russe, comme tous mes autres navires, et destinée pour Cherson, où l'on a vu qu'elle allait prendre les mâts, les bois de chêne et d'orme, les gournables, merrains, chan

vre et bœuf salé que j'avais fait préparer pour la marine.

La Porte objectait que la portée de ce vaisseau était au-dessus de celle fixée par le traité, et elle se refusait constamment aux épreuves et expertises qui lui étaient proposées pour la démonstration du contraire. Ce navire est trop gros telle fut sa réponse pendant les cinq mois que passa dans le port de Constantinople cette gabarre, qui fut obligée de retourner à Toulon sur son lest.

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CHAPITRE XXXII.

La Porte déclare la guerre à la Russie, d'après les instigations de l'Angleterre.-Motifs de la conduite de cette dernière puissance.

LE refus que fit la Porte de laisser passer mon navire dans la Mer-Noire, avait d'abord été l'effet de suggestions perfides, et il fut bientôt suivi de procédés hostiles contre la Russie.

Le Grand-Seigneur avait pris ombrage du voyage de l'Impératrice en Crimée, de l'entrevue de cette souveraine avec l'empereur d'Allemagne, et du départ, pour cette presqu'île, de leurs ministres M. de Bulhacow et M. le baron de Herbert.

L'ambassadeur d'Angleterre et l'envoyé de Prusse redoublèrent, par leurs insinuations, les alarmes de la Cour ottomane. La marche triomphale de l'Impératrice, le rassemblement de tant de troupes sur le même point,

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