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la réunion d'une flotte nombreuse à Sévastopol, étaient, aux yeux des Turcs, autant d'indices du projet que depuis long-temps on supposait à Catherine II et à Joseph II de les chasser de l'Europe, et de partager les grandes et superbes provinces soumises à la domination du Grand-Seigneur dans cette partie du monde.

Tous ceux qui ont quelque idée de la politique anglaise, se défendront de penser qu'elle eut, dans cette circonstance, la conservation de l'Empire ottoman pour objet. Ils chercheront dans les intérêts commerciaux et maritimes de l'Angleterre, les motifs qui l'engagèrent à alarmer les Turcs et à les exciter à la guerre.

Le terme de son traité de commerce avec la Russie était expiré. En le renouvelant, l'Impératrice exigeait que les principes de la neutralité armée y fussent reconnus, et l'Angleterre s'y refusait hautement.

La Cour de Londres vit avec plus de ressentiment encore le traité conclu entre la France et la Russie, et les résultats de cette convention pour notre commerce.

A cette époque, en 1787, le commerce de la Mer-Noire avait pris un grand essor: plus de deux cents navires russes ou autrichiens

y étaient employés. La France cherchait à procurer l'entrée de cette mer à son pavillon. Elle faisait, sous celui des deux Cours impériales, des importations et des exportations qui augmentaient chaque année. Dans les six premiers mois de cette année (1787), dix-huit navires avaient été expédiés de Marseille à Cherson, et dix-neuf de ce port au premier. Il était arrivé des ports du Danube à Marseille, trois navires autrichiens, chargés de blé de Hongrie. L'Empereur et le roi de Naples entretenaient des consuls à Cherson; Gênes, Livourne et Trieste avaient des relations dans la Mer-Noire, y envoyaient et en recevaient des cargaisons sous les pavillons de l'Autriche et de la Russie. Enfin, l'expérience avait prouvé que les mêmes munitions navales qu'on tirait de Riga et de Pétersbourg avaient une route au midi de la Russie, plus facile, plus courte, moins dispendieuse, et qu'il s'opérait dans le commerce une révolution dont tous les avantages étaient pour la France et la Russie.

Un seul de ces objets de la jalousie anglaise était capable d'engager le cabinet britannique à profiter des dispositions ombrageuses de la Porte contre les Russes. Il l'excitait à la guerre, non pour faire échouer les projets

de l'Impératrice, mais dans l'espoir de faire repentir cette Princesse, soit du refus de proroger purement et simplement son ancien traité avec l'Angleterre, soit de la conclusion de celui qui avait été signé avec la France.

Il était évident que si la guerre éclatait entre les Russes et les Turcs, le commerce de la Russie sur la Mer-Noire, et ses rapports avec la Méditerranée par Cherson, seraient tout à coup interrompus. L'animosité de la Cour de Londres ne pouvait que se repaître avec satisfaction de cette espérance.

Elle se promettait un autre résultat ; c'est que les Turcs battraient les Russes; qu'ils reconquerraient la Crimée; que, redevenus maîtres de tous les ports de la Mer-Noire, ils n'y laisseraient entrer ni Russe ni Autrichien, et que ce nouveau commerce, sujet d'inquiétude et d'ombrage pour elle, retomberait dans le néant, d'où il n'était sorti depuis quatre ans.

que

La Prusse partageait ces espérances, formait les mêmes vœux par rapport au commerce des villes d'Elbing, de Koenisberg et de Dantzick, pour lequel elle appréhendait la concurrence des ports de la Mer-Noire.

Mais la fortune de la France et de la Russie a déçu ces combinaisons du minis

tère anglais, tout comme son espoir de placer la France, par cette guerre, dans une alternative fâcheuse envers les puissances belligérantes. Il ne s'attendait pas, sans doute, qu'elle observerait une parfaite neutralité, et qu'elle conserverait par-là son influence auprès de la Porte, et les avantages de son traité avec la Russie.

Pour la compromettre envers l'Impératrice, le cabinet de Londres fit suggérer à la Porte d'envoyer à Oczakow des officiers et des ingénieurs français, d'affréter des navires de cette nation, pour transporter des munitions de toute espèce dans des ports militaires sur la Mer-Noire.

C'est à cette occasion que le pavillon français a flotté pour la première fois sur cette mer.

A l'instigation de l'Angleterre et de la Prusse, la Porte avait rassemblé et fait avancer une armée considérable sur le Danube; elle semblait n'attendre, pour rompre avec l'Impératrice, que le retour de cette Princesse à Pétersbourg, et celui de son ministre M. de Bulhacow, à Constantinople.

Ce fut le 16 août 1787 qu'elle consomma son plan d'agression, en faisant mettre M. de Bulhacow au château des Sept-Tours et en déclarant la guerre à la Russie.

CHAPITRE XXXIII.

Interruption du commerce et de la navigation de la Mer-Noire. Retraite de M. le maréchal de Castries du ministère de la marine.

La rupture soudaine et imprévue entre la Porte et la Russie me surprit dans une grande activité d'affaires.

Je venais de faire partir de Marseille deux bâtimens pour Cherson; j'en avais deux autres en armement pour la même destination. Mon établissement dans ce port de la MerNoire en avait expédié, à la même époque, trois à Marseille, et un quatrième aux bords du Danube.

Ce dernier fut pris, conduit à Constantinople et confisqué. Des trois autres, l'un échoua sur les côtes de la Natolie, et sa cargaison fut déprédée par les Turcs; l'autre ayant appris la guerre en route, se réfugia dans un port de la Crimée, débarqua ses marchandise sur la plage, où elles essuyèrent des avaries considérables. Le troisième nayire fut

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