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anciens valets des courtisans de Versailles, aujourd'hui courtisans du peuple ou de la commune de Paris; enfin il entre dans le congrès national un fort petit nombre de propriétaires de sorte que le premier des intérêts en tout pays est ici bien loin d'être représenté. Le plus grand nombre des députés ne possèdent même aucun patrimoine, et, pour la plupart, ils ne sont connus que parce que, depuis deux ans, ils ont exercé leur loquacité dans les clubs et les assemblées populaires. La grande majorité se forme aussi d'hommes qui n'ont pas atteint leur trentième année. Cependant les dispositions du peuple et les habitudes de déférence étaient encore telles dans les provinces, que, sans l'émigration, non seulement les municipalités, les administrations de district et de département, mais aussi les assemblées électorales, auraient compté beaucoup de nobles et ecclésiastiques. L'année précédente, en plusieurs lieux, les emplois publics avaient été comme proposés à des membres de ces deux ordres, ainsi qu'à des membres du tiers-état dont les habitudes sociales étaient analogues; mais les uns et les autres, suivant un système d'inertie constitutionnelle dont la cour leur faisait un devoir, ont concouru, par leur absence des assemblées primaires, aux mauvais choix dans les offices administratifs ou municipaux. En ce moment, ils contribuent aux mauvais choix des députés.

Les nobles, les ecclésiastiques, affectaient un grand mépris pour les places administratives, pour les individus qui consentaient à les remplir, et ils croyaient amener par cette absurde conduite le renversement du nouvel ordre de choses. Dans ce même esprit d'ignorance et de haine, les hommes du privilége voyaient avec une stupide joie des hommes de rien occuper les offices administratifs, tant ils se persuadaient que de

pareils choix amèneraient une confusion et une dissolution générales. La vanité et l'ignorance n'ont jamais adopté une conduite plus funeste que celle dont les hommes de l'ancien régime se firent alors un point d'honneur.

On distinguera, du premier au dernier jour de la session, trois groupes principaux. 1° Un très petit nombre d'hommes étrangers aux injustices, aux désordres de la révolution, et qui, regardant la constitution actuelle, toute défectueuse qu'elle est, comme la seule ancre de la France, voudront la consolider: Becquey (conseiller d'état actuel), Bigot de Préameneu, Daverhoult, Mathieu Dumas (lieutenant-général, conseiller d'état en 1818), Stanislas de Girardin, Hua (avocat général à la cour de Paris), de Jaucourt (pair de 1814, ministre en 1815), Lémontey (homme de lettres), Ramond (maître des requêtes). Le second groupe est formé d'un certain nombre d'hommes assez recommandables par leurs qualités dans la vie privée, mais entraînés par les idées spéculatives du temps, sectaires plus ou moins de bonne foi, par conséquent très portés à faire de fausses applications des nouvelles théories Cérutti (ex-jésuite, écrivain), Dumolard, Koch (auteur d'écrits diplomatiques), Lacépède (naturaliste), Lacuée-Cessac (ministre sous l'empire), Pastoret, Quatremère de Quincy, Viennot-Vaublanc (ministre à la fin de 1815, amateur en littérature). Enfin, une foule d'hommes égarés déjà par des principes démagogiques, et qui presque tous se signaleront dans les temps de la république par leur participation aux plus affreux excès: Bazire, Brissot, Carnot (officier du génie, directeur en 1795, 1796, 1797), Chabot (capucin), Condorcet (académicien), Hérault de Séchelles (ancien magistrat au parlement), Gensonné,

Guadet, Guyton-Morveau (chimiste du parlement de Bourgogne), Lasource, Léquinio, Mailhe, Merlin dit de Thionville, Quinette, Thuriot, Vergniaud (tous conventionnels votant la mort de Louis XVI), François dit de Neufchâteau (directeur en 1797, 1798).

4. — L'assemblée nationale se constitue définitivement. Cérutti fait le tableau des bienfaits dus à l'assemblée constituante, et célèbre l'œuvre de sa création. << Trois années ont détruit quatorze siècles d'abus, et <«<ont préparé trente, quarante, cinquante siècles de <«< bonheur. » Ce discours est le prologue d'une scène d'adoration de la constitution. Les vieillards de l'assemblée font leur entrée, précédant processionnellement l'archiviste Camus, qui porte l'acte constitutionnel en l'appuyant sur sa poitrine avec une religieuse componction. Tous les députés, dans le silence du recueillement, se lèvent et se découvrent. Les plus jeunes reçoivent le livre saint, et le placent à la tribune aux harangues, où le président Pastoret, la main sur cet évangile politique, jure d'y croire éternellement, et de le défendre au prix de tout son sang. Le serment répété par les membres de l'assemblée, la constitution retourne aux archives, et les spectateurs d'admirer et d'applaudir! L'enthousiasme éclate de toutes parts dans le royaume, aux récits de cette pompeuse séance. Les Français, habitués par l'ancien gouvernement à de vains spectacles, ne jugent guère de l'importance des hommes et du mérite des choses que par les apparences théâtrales qui les leur montrent; toujours la magnificence d'une fête en justifiait le motif; et il suffisait à leurs dominateurs, à leurs oppresseurs même, de charmer leurs regards et de flatter leur vanité, pour se voir révérés et bénis.

7.

Louis XVI se rend auprès de l'assemblée natio

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nale. Sondiscours recommande surtout l'esprit d'union et de confiance parmi les autorités, l'amour de l'ordre chez les citoyens; il montre le besoin de l'harmonie et de la confiance entre le corps législatif et le roi la puissance publique se déploierait alors sans obstacles, l'administration ne serait plus agitée par de vaines terreurs, la propriété et la croyance de chacun seraient également protégées, il ne resterait plus à personne de prétexte pour vivre loin de la France. L'avocat Pastoret, président, répond: «< ....Une constitution « est née, et avec elle la liberté française. Vous devez «< la chérir comme citoyen; comme roi, vous devez << la maintenir et la défendre. Loin d'ébranler votre puis«<sance, elle l'a raffermie. La constitution vous a fait <«<le premier monarque du monde. » Ces phrases seraient dérisoires si elles n'étaient inspirées par un extrême enthousiasme.

14. Le roi adresse une proclamation aux émigrés, pour les convaincre de sa parfaite adhésion à l'acte constitutionnel, et les engager à s'y rallier.

Sans doute Louis XVI est opprimé lorsqu'il leur déclare ses intentions; sa puissance ne saurait les protéger; il est trompé par ses ministres ; ce sont eux, sans doute, qui conduisent sa plume; mais c'est par cela même que les défenseurs d'un aussi faible roi, les amis de la monarchie, ne devraient pas s'éloigner. Etrange doctrine, de poser en principe que, quand un chef d'empire est en péril, celui qui le quitte le premier, et qui se sauve le plus loin, atteint le plus haut degré de la pureté et de la fidélité d'un sujet loyal. Le vertige de l'émigration est incompréhensible. De toutes les parties du royaume il sort des flots de militaires et de nobles. Beaucoup de familles, frappées de terreurs

paniques ou entraînées par la mode du jour, suivent ce torrent et abandonnent la France, dans la crainte que la nouvelle législature n'en ferme les portes : la tyrannie, la crainte du déshonneur, et l'imitation, voilà les principaux mobiles de cette multitude fugitive. Mais l'ignorance des devoirs politiques n'est si grande dans les classes supérieures, que parce que depuis deux siècles le gouvernement les a privées de tout exercice de leurs droits.

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Si l'on considère les intérêts réels de la noblesse des provinces, noblesse agricole et militaire, qu'il ne faut pas confondre avec quelques familles de courtisans héréditaires, il est aisé de prouver que ses pertes étaient d'opinion, et qu'elle obtenait des avantages positifs. La féodalité était abolie; mais la noblesse, par la suppression des dimes ecclésiastiques, gagnait, comme propriétaire des terres, plus qu'elle ne perdait par l'extinction des droits féodaux; les dîmes inféodées et les droits fonciers étaient déclarés rachetables. Les distinctions, les droits honorifiques étaient supprimés la vanité perdait; mais la noblesse des provinces, cette classe nombreuse désignée sous le nom de petite noblesse, prenait sa part de l'égalité civile attribuée à toutes les fonctions publiques; elle n'était plus reléguée dans les grades subalternes de l'armée; elle devait concourir pour les premiers emplois, qui jusqu'alors furent réservés aux favoris d'une cour corrompue. Si l'on veut considérer ensuite les avantages que la noblesse, toujours propriétaire de ses champs, quoiqu'ayant perdu ses droits de fief sur les champs d'autrui, pouvait retirer de l'importance de ses propriétés, de son éducation, de l'influence des anciennes habitudes, on conviendra qu'avec un peu d'adresse, elle aurait été portée en majorité

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