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prévenu amené devant le juge de paix devait être examiné sur-le-champ, ou dans les 24 heures au plus tard, et ne pouvait être retenu par ce magistrat plus de trois jours (1) (art. 224 et 225, C. III).

Si le prévenu détruisait entièrement les inculpations dont il était l'objet, le juge de paix le faisait mettre en liberté et en donnait avis au directeur du jury d'accusation, en lui transmettant toutes les pièces. Si ce magistrat estimait que le juge de paix avait mal à propos renvoyé un prévenu des fins de la prévention, il pouvait procéder contre lui et décerner un mandat d'amener (2).

Si le prévenu ne dissipait pas les inculpations qui pesaient sur lui, le juge de paix, en cas de simple contravention, le mettait en liberté et le renvoyait devant le tribunal de simple police. En cas de délit punissable d'une simple amende, il décernait contre lui un mandat de comparution, c'est-à-dire l'ordre de comparaître à jour fixe devant le directeur du jury d'accusation (3). En cas de délit punissable d'emprisonnement ou en cas de crime, le juge décernait contre le prévenu un mandat d'arrêt, c'est-à-dire "l'ordre de faire conduire le prévenu en la maison d'arrêt du lieu où siège le directeur du jury d'accusation dans l'arrondissement duquel le délit a été commis, (4).

Le juge de paix délivrait également un mandat d'arrêt, si le prévenu s'évadait, ou s'il ne pouvait être trouvé et que quatre jours s'étaient écoulés depuis la notification du mandat d'amener à sa dernière résidence (5).

142. Caractères de la procédure d'instruction. La procédure d'instruction préalable était,dans une certaine mesure,

(1) Les juges de paix retenaient souvent les prévenus beaucoup plus longtemps. Cfr. sur les lenteurs abusives de l'information, une intéressante circulaire du ministre de la justice Lambrechts, en date du 29 thermidor an VI, dans la Collection HUYGHE, t. XX, p. 152. (2) Voir aussi l'article 145 du Code de brumaire reproduit plus bas, no 146 in fine.

(3) Art. 69 du Code de brumaire.

(4) Art. 70, ibid.

(5) Art. 67, ibid.

contradictoire.Les dépositions des témoins,notamment,étaient reçues en présence du prévenu, si le prévenu était arrêté lors de leur comparution. S'il n'était arrêté qu'après leur audition, le juge de paix devait lui donner lecture de leurs déclarations mais sans lui en délivrer copie (1).

143. Poursuite des infractions. L'intervention du juge de paix comme officier de police judiciaire était provoquée, soit par une plainte, soit par une dénonciation; le juge de paix pouvait également agir d'office. Il n'agissait pas, comme aujourd'hui le juge d'instruction, sur les réquisitions du ministère public. C'est par un sentiment de défiance envers la cour, les ministres et le pouvoir exécutif en général, que l'Assemblée constituante avait été amenée à concentrer dans les mêmes mains la recherche, l'instruction et la poursuite des infractions, et à dépouiller les officiers du ministère public près les tribunaux de leur droit traditionnel de mettre l'action publique en mouvement. M. Hiver (2) résume comme suit les mobiles qui inspirèrent les membres de l'Assemblée nationale: "La verge de l'accusation publique, disaient-ils, ne peut sans danger être confiée au gouvernement, car par elle on peut nuire autant en ne s'en servant pas qu'en l'employant à mauvais dessein. Son inaction contre les complots antipatriotiques serait le plus sûr moyen de les favoriser, de les encourager et de les amener jusqu'à la possibilité du succès; comme son activité dirigée contre les bons citoyens pourrait, en beaucoup d'occasions, inquiéter leur patriotisme, attiédir leur zèle et déconcerter leurs plus utiles démarches. Importante dans l'ordre politique, l'influence de l'accusation publique est encore plus profonde dans l'ordre moral, en ce que, par la crainte, elle peut dégrader le caractère du peuple; ce terrible pouvoir ne peut donc être confié qu'à des mains non suspectes, et que serait-ce si des commissaires royaux nommés par les courtisans,tenant tout du ministre et ne connaissant que lui, en étaient inves tis? Voulez-vous livrer tout le royaume à leur merci ?„

(1) Art. 115, 116, 126, 129 du Code de brumaire.

(2) Ouvrage cité, p. 95. Voir aussi FAUSTIN HÉLIE, ouvrage cité, t. I, pp. 203 et suivantes.

144. Pour parer aux inconvénients auxquels pouvait donner lieu la suppression du ministère public en matière de poursuite, la loi imposait à tout citoyen qui avait été témoin d'un attentat, soit contre la liberté, la vie ou la propriété d'une personne, soit contre la sûreté publique ou individuelle, le devoir d'en donner aussitôt avis au juge de paix. C'était la dénonciation civique." Rien, disait l'instruction du 29 septembre 1791, ne caractérise mieux un peuple libre que cette haine vigoureuse du crime qui fait de chaque citoyen un adversaire direct de tout infracteur des lois sociales. Rien n'est plus éloigné des formes obscures et perfides de la délation que la dénonciation civique., Lorsque le dénonciateur signait sa dénonciation et affirmait qu'elle n'était dictée par aucun intérêt personnel, le juge de paix devait, aux termes de l'article 90 du Code de brumaire, décerner surle-champ un mandat d'amener contre le prévenu (1).

145. Auxiliaires du juge de paix comme officier de police judiciaire et magistrat instructeur. La loi donnait au juge de paix divers auxiliaires. Indépendamment des gardes champêtres et forestiers, qui avaient mission de rechercher et de constater les infractions portant atteinte aux propriétés rurales et forestières (2), la loi donnait aux juges de paix comme auxiliaires au point de vue de la recherche et de la constatation des infractions: 1o les commissaires de police (3) et, là où il n'y en avait pas, les agents municipaux ; 2o ensuite et surtout, les officiers de gendarmerie (4). Ces der niers pouvaient même, dans certains cas, décerner des man

(1) Cfr. ESMEIN, Histoire de la procédure citée, pp. 421 et 443. (2) Voir plus haut, p. 108, note 1.

(3) Code du 3 brumaire an IV, art. 36 et 37, etc., et loi du 29 nivóse an VI, art. 9. Dans les cantons de Paris, Bordeaux, Lyon et Marseille, les membres du Bureau central étaient également auxi liaires des juges de paix et autorisés à décerner des mandats d'amener loi du 21 floréal an IV (dans HUYGHE, Collection citée, t. XIV, p. 398.

(4) HIVER, Ouv. cité, p. 191.- Art. 145 et suiv. du Code de brumaire, et loi du 29 nivôse an VI, art. 9.

dats d'amener (1), c'est-à-dire donner l'ordre de conduire les prévenus soit devant le juge de paix, soit devant le directeur du jury d'accusation, chargé immédiatement, avons-nous dit, de la recherche et de la poursuite de certaines infractions particulièrement graves.

146. DU DIRECTEUR DU JURY COMME OFFicier de police judiCIAIRE ET MAGISTRAT INSTRUCTEUR. Dans les communes dont la population ne dépassait pas quarante mille habitants, le directeur du jury avait, aux termes de l'art. 142 du Code de brumaire, comme officier de police judiciaire, la poursuite immédiate des délits de faux, de banqueroute frauduleuse, concussion, péculat, vol de commis ou d'associés en matière de finance, commerce ou banque. C'eût été, disait l'instruction de 1791, exiger trop que d'attendre du plus grand nombre d'entre les juges de paix toutes les lumières nécessaires pour saisir la vérité dans ces matières délicates.

A ces infractions, l'art. 243 de la constitution (2) en ajouta d'autres : il confiait au directeur du jury les fonctions de police judiciaire, lorsqu'il s'agissait : 1o d'attentats contre la liberté ou la sûreté individuelle des citoyens; 2o d'atten. tats commis contre le droit des gens; 3o de rébellion à l'exécution soit des jugements, soit de tous les actes exécutoires émanés des autorités constituées; 4o de troubles occasionnés et de voies de fait commises pour entraver la perception des contributions, la libre circulation des subsistances et des autres objets de commerce. Les juges de paix et les officiers de gendarmerie étaient officiers de police auxiliaires en ces matières (3).

Enfin l'article 145 du Code de brumaire conférait au directeur du jury une dernière prérogative: "Le directeur du jury peut, pour la recherche et la poursuite d'un délit quel

(1) Sur les protestations que souleva l'association des officiers de gendarmerie aux juges de paix, en matière de police judiciaire, voir HIVER, ouv. cité, pp. 203-205. — Voir ci-après, nos 146 et 147. (2) Cfr. art. 140 du Code de brumaire, et la loi du 27 germinal an IV.

(3) Articles 144 et suiv. du Code de brumaire, et loi du 29 nivôse an VI.

conque commis dans une commune où il n'y a pas plus d'un juge de paix établi, charger un capitaine ou lieutenant de la gendarmerie nationale de l'exercice des fonctions de la police judiciaire, jusqu'au mandat d'arrêt exclusivement.

"

147. En réglant comme nous venons de le dire la procédure de recherche, de constatation et d'information préalable, le Code de brumaire avait maintenu le système introduit par l'Assemblée constituante (loi des 16-29 septembre 1791). Mais il en avait amélioré le fonctionnement d'une part, l'insuffisance d'une foule de juges de paix avait montré la nécessité de renforcer les pouvoirs et la compétence du directeur du jury et de centraliser dans une large mesure entre ses mains l'action de la police judiciaire (1); d'autre part, il avait fallu ramener les fonctions des officiers de la gendarmerie à celles d'officiers de police auxiliaires. La législation de la Constituante leur donnait, à certains égards seulement, il est vrai, la qualité d'officiers concurrents (2).

148. DU RÈGLEMENT DE LA COMPÉTENCE ET DU RENVOI DES INCULPÉS DEVANT LES JURIDICTIONS DE JUGEMENT OU LE JURY D'ACCUSATION (3). Lorsque le directeur du jury se trouvait, soit par l'envoi des pièces, soit par la remise d'un prévenu, saisi d'une affaire mise en instruction par le juge de paix, il procédait comme suit : si l'instruction n'était pas complète et qu'il y avait lieu d'entendre encore des témoins, il recevait leur témoignage; s'il estimait que le juge de paix avait eu tort de ne pas délivrer de mandat, il décernait ce mandat. L'information préalable complète ou complétée, le directeur du jury communiquait la procédure au commissaire du gouvernement près le tribunal correctionnel, qui donnait ses conclusions, et renvoyait par des ordonnances motivées le prévenu devant le jury d'accusation, si le délit comportait peine afflictive ou infamante; devant le tribunal correctionnel,

(1) HIVER, ouvrage cité, pp. 206, 406 et suiv., 411; ESMEIN, ouvrage cité, p. 443.

(2) HIVER, ouvrage cité, pp. 203 et suiv.; ESMEIN, ouvrage cité, p. 421. Cf. loi des 16-29 septembre 1791, t. I, art. 5 et 6.

(3) HIVER, ouvrage cité, pp. 410-411, et ESMEIN, ouvrage cité, p. 445.

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