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impôts nouveaux qu'elle avait établis ne rentraient pas (1). A partir de 1792, la guerre vint encore augmenter les difficultés. Mais l'Assemblée nationale, et, après elle, la Législative et la Convention croyaient avoir trouvé dans les domaines nationaux provenant de la confiscation des biens ecclésiastiques, etc., des ressources inépuisables. Cette illusion devait conduire à la plus formidable banqueroute d'État que l'histoire ait enregistrée.

365. LES BIENS NATIONAUX. LA CAISSE DE L'EXTRAORDINAIRE. LES ASSIGNATS. LES MANDATS TERRITORIAUX. LA BANQUEroute. Le décret des 2-4 novembre 1789 (2) avait mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation. Dès le mois de décembre l'Assemblée nationale décidait (3) qu'une partie des domaines de la couronne serait mise en vente ainsi qu'une quantité suffisante de domaines ecclésiastiques pour former ensemble la valeur de quatre cents millions. En même temps, elle créait une caisse de l'extraordinaire chargée de centraliser le produit des ventes: toutes les autres recettes extraordi naires de l'État devaient également y être versées. Comme les besoins de l'État ne permettaient pas d'attendre le résultat des adjudications, la Constituante, afin d'alimenter immédiatement le Trésor, ordonna, toujours par le même décret, l'émission d'assignats sur cette caisse jusqu'à concurrence du montant des immeubles à aliéner, et le décret des 17-22 avril 1790 donna cours forcé à ces assignats.

Une fois engagées dans cette voie, les Assemblées de la Révolution s'y précipitèrent d'un pas de plus en plus rapide. Les recettes extraordinaires furent d'une façon systématique chargées de pourvoir au déficit des ressources normales de l'État. Une série de décrets ordonnèrent de nouvelles émissions d'assignats à concurrence de l'excédent des dépenses sur les recettes. Sous la Constituante, il fut émis pour un

(1) Voir plus haut, nos 295 et 337.

(2) Sur ce décret, voir les études du chanoine DE BECKER, parues dans la Revue Générale de Bruxelles, années 1889 et 1890: La pro priété ecclésiastique et l'œuvre de la Constituante en 1789, et La mercuriale du 1o octobre 1890 à la Cour de cassation.

(3) Décret des 19-21 décembre 1789- janvier 1790.

milliard huit cents millions d'assignats; sous la Législative, pour neuf cents millions; sous la Convention, pour sept milliards deux cent septante-huit millions; sous le Directoire, pour trente-cinq milliards et demi; soit quarante-cinq milliards et demi en tout. En tenant compte des assignats rentrés et remis en circulation par le Trésor, le montant net des assignats mis en circulation s'éleva à quarante-sept milliards et demi depuis leur première émission en décembre 1789 jusqu'à leur suppression en pluviose an IV (février 1796). Comment des Assemblées ayant de pareilles ressources à leur disposition se seraient-elles préoccupées de dresser des budgets réguliers?

L'émission des assignats ne pouvait cependant continuer indéfiniment. Les biens ecclésiastiques confisqués, ceux des émigrés, etc., en un mot, l'ensemble des biens nationaux sur lesquels les assignats étaient gagés valait de cinq à six milliards (1). Une dépréciation, qui alla sans cesse en s'accentuant, fut la conséquence de l'exagération des émissions et les mesures les plus violentes prises pour empêcher cette baisse furent inefficaces (2). A l'avènement de la Convention, le cours des assignats n'atteignait plus que 72 p. c. de leur valeur nominale; en janvier 1795, 18 p. c., et à l'avènement du Directoire, que 0,87 p. c. ! Et c'était avec cette monnaie dépréciée que l'État payait, au pair, ses rentiers, ses fonctionnaires, ses fournisseurs ! Il l'acceptait, par contre, au pair également, dans les caisses publiques, en paiement des contributions (3). Le Directoire ne tarda pas à comprendre qu'avec des assignats cotés au-dessous de 1 p. c., il ne pouvait marcher longtemps et qu'il lui faudrait bientôt chercher une autre combinaison pour subsister. La loi du 2 nivôse an IV (23 décembre 1795) ordonna en conséquence de briser la planche aux assignats, opération qui fut faite solennellement le 30 pluviôse an IV (19 février 1796). A partir de cette

(1) STOURM, ouv. cité, t. II, p. 462.

(2) Voir pour le détail de ces mesures, STOURM, ouv. cité, t. II, pp. 313 et suiv. Sur la dépréciation des assignats, voir le tableau

annexé à la loi du 5 messidor an V.

(3) Sur les exceptions, qui furent peu à peu décrétées, à partir de l'an IV, voir plus haut, nos 330, 344, 351 et plus bas, p. 248.

date, il ne pouvait plus être fabriqué de nouveaux assignats et il n'en fut plus fabriqué. Mais la loi du 28 ventôse an IV (18 mars 1796) créa un nouveau papier monnaie, les mandats territoriaux (1), également gagés sur les biens nationaux. Le but était de retirer de la circulation les assignats dépréciés et de fournir de nouveaux moyens au Trésor. La loi limitait à la somme de deux milliards quatre cents millions de francs l'émission des mandats. Les assignats en circulation devaient, dans les trois mois, être échangés avec ces mandats sur le pied de trente capitaux contre un (2). Quoique les mandats emportassent hypothèque, privilège et délégation spéciale sur tous les domaines nationaux (3), la dépréciation des assignats les frappa également. Leur cours, qui s'était fixé d'abord à 18 p. c., tomba bientôt à 5 p. c. et puis à 1 p. c. C'est dire que les assignats, qui valaient officiellement trente fois moins que les mandats, perdaient toute valeur. Les caisses publiques finirent par ne plus accepter les mandats qu'au taux du jour, sans tenir compte de leur libellé nominal (4). Des arrêtés officiels publiaient périodiquement la cote moyenne des cours (5)." Enfin, dit M. Stourm (6), après diverses mesures dilatoires, arriva la solution fatale depuis longtemps prévue, depuis longtemps même partiellement réalisée en fait, et dont la proclamation officielle ne pouvait plus être reculée: la démonétisation générale du papier monnaie. L'État annula tous ses billets en circulation..., En vertu de la loi du 16 pluviôse an V (4 février 1797), les mandats territoriaux cessèrent d'avoir cours forcé de monnaie

(1) Sur ces mandats, voir la loi en forme d'instruction du 6 floréal an IV.

- (2) Voir en outre les lois du 4 prairial an IV et du 9 messidor an IV. (3) Tout porteur de ces mandats pouvait se présenter à l'administration de département de la situation du domaine national qu'il voulait acquérir, et le contrat de vente lui devait en être passé sur le prix de l'estimation qui en serait faite, à la condition d'en payer le prix en mandats (art. 4).

(4) Lois du 8 messidor an IV, art. 3 et 10; du 13 thermidor an IV; du 14 thermidor an IV, art. 13; du 22 thermidor an IV.

(5) Loi du 13 thermidor an IV. Voir le tableau de la variation du cours des mandats dans la Pasinomie, t. VII, p. 495. (6) STOURM, ouv. cité, t. II, p. 326.

entre particuliers à partir de sa publication; vis-à-vis de l'État, ils durent, jusqu'au 1er germinal an V (21 mars 1797), être reçus sur le pied de 1 p. c. en paiement des contributions et d'une partie des biens nationaux. Passé ce délai, le papier monnaie cessa d'exister.

La même année vit se consommer la faillite de la dette publique (1). La loi du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797), connue sous le nom de loi du tiers consolidé, raya définitivement du grand livre de la Dette publique les deux tiers des rentes. Elle stipula leur remboursement en bons des deux tiers mobilisés, c'est-à-dire en papier sans valeur, et maintint seulement un tiers du montant de chaque inscription. Quant aux arrérages des rentes, ils continuèrent jusqu'au Consulat à être payés en papier, malgré la loi du cinquième jour complémentaire an IV (21 septembre 1796) qui promettait le paiement d'un quart en numéraire. Après la démonétisation des assignats et des mandats, les rentiers reçurent des bons dits bons des trois quarts, bons du quart (2), admis sous certaines conditions en paiement des biens nationaux, et qui se négociaient avec une perte variant suivant les époques et l'espèce des bons de 60 à 90 p. c.!

366. ESSAIS D'AMÉLIORATION A LA FIN DU DIRECTOIRE. Tous ces désastres finirent par ouvrir les yeux. "La source du mal, disait déjà un message du Directoire, en date du 18 thermidor an IV (3), est dans le défaut de contributions et d'un plan de finances qui égale les recettes aux dépenses. " Des efforts sérieux ne tardèrent pas à être faits, principalement sous la direction du ministre des finances Ramel (4),.

(1) STOURM, ouv. cité, t. II, p. 341.

(2) Sur d'autres papiers dépréciés qui circulèrent à cette époque, comme les bons de réquisition, voir STOURM, ouv. cité, t. II, pp. 344 et suiv., 352 et suiv.

Ramel fut ministre

(3) Cité par STOURM, ouv. cité, t. II, p. 434. (4) STOURM, ouv. cité, t. II, pp. 432 et suiv. des finances de pluviose an IV (février 1796) à thermidor an VII (juillet 1799). Sur le détail des efforts faits par le pouvoir exécutif et les Conseils pour mettre de l'ordre dans les finances de la Répu blique, il faut consulter les documents indiqués par M. STOURM, Bibliographie historique des finances de la France au XVIIIe s., Paris, 1895, pp. 246-301.

pour mettre de l'ordre dans les finances de la République en dressant des budgets réguliers. A la chute du Directoire, ces efforts n'avaient d'ailleurs abouti qu'à des résultats partiels. Les dépenses afférentes à certains départements ministériels avaient pu, dans une certaine mesure, être dégagées du chaos (1). Les recettes et les dépenses annuelles commençaient à être supputées sur des bases plus sérieuses, mais l'équilibre général des recettes et des dépenses était loin d'être atteint et des budgets réguliers n'étaient pas encore dressés (2). La gestion finale du Directoire en l'an VII, pour autant qu'il a été possible de l'établir présenta, dit M. Stourm, un découvert de trois cent cinquante à quatre cents millions (3). Le coup d'État du 18 fructidor et la crise qui s'ensuivit avaient eu naturellement les plus fâcheuses conséquences au point de vue du rétablissement de l'ordre dans les finances de l'État.

§ 2. Le contrôle des budgets et des comptes (4)

367. L'EXÉCUTION DES Budgets et leS COMMISSAIRES DE LA TRÉSORERIE. Dans l'exécution des lois de finances, la consti

(1) Voir, par exemple, la loi du 10 prairial an V fixant les dépenses du ministère de l'intérieur et celle du 13 prairial an V relative aux dépenses du ministère des finances, pour l'an V; la loi du 3 fructidor an VI relative aux dépenses pour l'armée, en l'an VII; la loi du 12 frimaire an VII relative aux dépenses du ministère des finances pour l'an VII, etc., etc. Coll. HUYGHE et Bulletin des Lois.

(2) Cfr. l'article 7 de la loi du 16 brumaire an V, relative aux dépenses ordinaires et extraordinaires de l'an V; les articles 4 in fine, 13, 64, 90 et 94 de la loi du 9 vendémiaire an VI relative aux fonds nécessaires pour les dépenses générales, ordinaires et extraordinaires de l'an VI, ainsi que la loi du 22 frimaire an VI relative aux dépenses de l'an VI; la loi du 26 fructidor an VI relative aux fonds nécessaires pour les services ordinaires et extraordinaires de l'an VII, dont l'art. 5 était conçu comme suit: "Il sera incessamment pourvu, par des lois particulières, à l'insuffisance des perceptions mentionnées dans l'article précédent pour remplir les six cents millions.... (nécessaires aux services ordinaire et extraordinaire de l'an VII) ..

(3) STOURM, ouv. cité, t. II, pp. 441 et 443.

(4) STOURM, Le budget, Paris 1896, pp. 44, 481, etc.; BESSON, Le contrôle des budgets en France et à l'étranger, Paris 1899, pp. 239 et

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