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La loi du 9 frimaire an VI frappa à son tour d'inéligibilité les ex-nobles.

19. RÈGLES PARTICULIÈRES A LA FORMATION DU CORPS LÉGIS. LATIF EN L'AN IV. Le mode de formation du Corps législatif dont nous venons d'esquisser les grandes lignes fonctionna en germinal an V, en germinal an VI et en germinal an VII, pour le renouvellement triennal des Conseils. Des règles différentes présidèrent à la première formation du Corps législatif en l'an IV (1). C'est ainsi que les assemblées primaires se constituèrent d'après le système qui avait prévalu pour la nomination de la Convention (suffrage universel, sauf l'exclusion des domestiques à gages). Ces assemblées se réunirent le 20 fructidor et jours suivants, à la fois pour nommer les électeurs et pour voter sur l'acceptation de la constitution.

Les élections dans les assemblées électorales (qui se réunirent à partir du 20 vendémiaire) se firent également dans des conditions spéciales : ces assemblées élurent les membres des Conseils sans les répartir elles-mêmes entre le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. La distribution des élus entre les deux assemblées se fit par les élus euxmêmes (2), dans une séance spéciale tenue le 5 brumaire an IV, lors de la première réunion du Corps législatif : un tirage au sort entre les députés mariés ou veufs désigna ceux qui devaient faire partie du Conseil des Anciens.

Enfin, l'application des membres de l'un et de l'autre Conseil aux divers départements de la République, se fit dans chaque Conseil, le 1er nivôse an IV (3).

20. DES CAUSES QUI EMPÊCHERENT LE FONCTIONNEMENT norMAL DES ÉLECTIONS. Le décret des deux tiers et les élections de l'an IV. Quoi qu'il en soit de ces divergences dans le mécanisme électoral, celui-ci, aussi bien en l'an IV que les années suivantes, eût permis à la volonté nationale de se manifester dans des conditions parfaites de sincérité et de

(1) Elles furent établies par les décrets des 5 et 13 fructidor an III, ainsi que par l'art. 1er du décret du 25 fructidor an III. (2) Décret du 30 vendémiaire an IV.

(3) Idem, art. 24.

liberté, si une série de mesures violentes n'était venue en enrayer le fonctionnement normal. Parmi ces mesures il faut signaler, (indépendamment des conditions arbitraires d'accès aux assemblées primaires et électorales ou d'éligibilité dont nous avons parlé), le décret dit des deux tiers sur la réélection forcée des conventionnels, le coup d'État du 18 fructidor, et, enfin, les invalidations arbitraires d'élections.

La réélection obligée des conventionnels (1) affecta grave. ment la liberté des électeurs de l'an IV. En voici l'origine. Après avoir voté la constitution de l'an III, les Conventionnels s'étaient préoccupés des moyens propres à assurer pour l'avenir la continuation de leur politique qu'ils savaient condamnée par la nation. Ils tinrent à présider eux-mêmes au premier fonctionnement de la constitution: “ en quelles mains, disait un rapport (2) de Baudin (des Ardennes), sera remis ce dépôt sacré (celui de la constitution)? Vous avez construit le vaisseau par qui sera-t-il lancé? Qui sera chargé de le mettre à la voile et quel pilote dirigera d'abord le gouver nail?...,, L'abdication prématurée de la Constituante--qui avait décidé (3) qu'aucun de ses membres ne pourrait faire partie de la Législative a montré qu'un législateur novice n'est pas capable de faire marcher une constitution: "Vous saurez vous dévouer à-de nouveaux dégoûts et de nouveaux périls pour préserver la France des maux qui la menacent. L'intérêt national et la constitution nous font un devoir de retenir les deux tiers de la Convention dans le Corps législatif., En conséquence, un décret du 5 fructidor (4) avait décidé que les deux tiers au moins des membres des Conseils devraient être choisis par les électeurs, parmi les membres sortants de la Convention. Cette violence faite au corps électoral provoqua à Paris l'insurrection du 13 vendémiaire an IV. L'intervention de l'armée, commandée en premier par le représentant Barras, en second par le général Bonaparte, sauva la Convention.

(1) Voir sur ce point SCIOUT, ouv. cité, t. 1, pp. 323 et suivantes, et AULARD, ouv. cité, pp. 573-575.

(2) Cité par M. AULARD, Histoire politique citée, p. 573.

(3) Décret des 16 mai-17 juin 1791.

(4) Complété par les décrets du 13 fructidor an III et du 30 vendémiaire an IV.

Forcés de choisir les deux tiers de leurs élus parmi les conventionnels, les électeurs ne purent émettre de choix entièrement libre que pour le troisième tiers; ils eurent soin de l'exercer de manière à témoigner d'une façon éclatante de leurs sentiments (1): " Le véritable caractère de ces élections, dit M. Aulard, ce fut une protestation générale contre la politique de la Convention s'obstinant à se survivre, contre le décret des deux tiers, contre l'influence que les Montagnards avaient reprise depuis quelque temps sur cette assemblée. Anti-jacobines, anti-anarchistes, anti-terroristes, comme on disait alors, voilà ce que furent ces élections de l'an IV (2)..

"

21. Les élections de l'an V et le coup d'État de fructidor. Le coup d'État de fructidor eut pour cause fondamentale le résultat des élections de l'an V (3). Ces élections avaient eu le même caractère que celles de l'an IV. L'un des deux tiers de conventionnels était sortant cette année (4). Sur deux cent et seize conventionnels sortants, onze seulement furent réélus! C'était pour le parti modéré une victoire complète, qu'il s'efforça aussitôt de mettre à profit en réagissant contre la politique conventionnelle, spécialement en matière religieuse. Mais la majorité du Directoire continuant à appartenir au parti conventionnel il en résulta, entre les Conseils et le Pouvoir exécutif, un conflit que la force trancha. Un coup d'État fut préparé où l'armée commandée par Augereau joua, comme en prairial et en vendémiaire (5), un rôle décisif. Le 18 fructidor (4 septembre), quarante députés aux Cinq-Cents, onze Anciens furent arrêtés à leur domicile tandis que le Palais législatif était occupé par l'armée. Ainsi“ épurés, et mutilés, les Conseils rendirent la célèbre loi du 19 fructidor, qui ordonnait la déportation de deux directeurs (Carnot, qui

(1) Voir une analyse détaillée des résultats dans SCIOUT, ouv. cité, t. I, pp. 377 et suivantes.

(2) Histoire politique citée, p. 578.

(3) Sur ces élections, voir AULARD, ouv. cité, p. 588, et SCIOUT, ouv. cité, t. II, pp. 317 et suivantes.

(4) Ainsi l'avait décidé le décret du 5 fructidor an III, article 15. Cfr. aussi la loi du 20 nivôse an V.

(5) Voir plus haut, nos 1 et 20.

put s'échapper, et Barthélemy) et celle de cinquante-trois députés et de diverses personnes étrangères aux Conseils; cette loi annulait, en outre, les opérations des assemblées primaires, communales et électorales de quarante-neuf dépar tements et privait de leurs droits de citoyen des milliers de personnes (1).

Les annulations d'élections et les déportations de députés enlevèrent aux Conseils cent septante sept députés. Comme la constitution n'admettait pas d'élections partielles entre les renouvellements annuels (2), le Corps législatif resta privé du quart environ de ses membres pendant plus de sept mois, c'est-à-dire jusqu'aux élections de germinal an Vl.

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22. Les élections de l'an VI et le coup d'État du 22 floréal an VI. Les élections de l'an VII et le coup d'État de prairial. Le parti conservateur, anticonventionnel et modéré, vainqueur aux élections de l'an V, ne prit guère de part aux élections de l'an VI: le serment de haine à la royauté écar tait des assemblées primaires et électorales la grande masse de ses partisans. Il en fut de même aux élections de germinal an VII. Des luttes très vives caractérisèrent toutefois ces élections. Les vainqueurs de fructidor n'avaient pas tardé à se diviser. Battue aux élections de l'an VI, la fraction la moins avancée, à laquelle appartenait le Directoire, se maintint en possession du pouvoir par un nouveau coup d'État : une loi du 22 floréal an VI (3), dirigée contre les démagogues, anarchistes, terroristes ou jacobins, comme on disait, vint annuler arbitrairement un grand nombre d'élections favorables à ce parti (4). Bon nombre de ces " anarchistes „ n'étaient, en réalité, ni plus ni moins violents que les Directeurs et leurs partisans.Seulement ils cherchaient à leur enlever le pouvoir.

Ils prirent leur revanche aux élections de l'an VII ; un dernier coup d'État, celui du 30 prairial, dirigé cette fois.

(1) Voir plus haut, nos 13 et 15.

(2) Voir no 8.

(3) Voir plus bas, no 25.

(4) Sur les élections de l'an VI, voir AULARd, Histoire politique citée, pp. 588 et suiv., SCIOUT, ouv. cité, t. III, pp. 434 et suivantes.

par le Législatif contre l'Exécutif, mit la majorité nouvelle en possession du pouvoir exécutif (1).

23. Pression gouvernementale. Une dernière cause contribua à fausser le jeu normal des élections, surtout en l'an VI et en l'an VII: la pression gouvernementale. Elle s'exerça par l'intermédiaire des commissaires du Directoire près des administrations départementales. Le Directoire y employa même une partie des fonds secrets: "Réveillère, Reubell lui-même, écrit le directeur Barras dans ses Mé moires, trouvent ce genre de mesure fort immoral en soi et surtout dans une république dont le principe est la vertu et qui ne doit jamais recourir à de pareilles infamies; mais les passions ne pratiquent pas aussi bien la morale qu'elles la célèbrent en paroles, et le Directoire, tout en rougissant, croit devoir arrêter une distribution d'argent qui sera faite dans le mode suivant aux préparateurs et machinateurs des élections nous en aurons, comme on dit vulgairement, pour notre argent (2). „

24. LES ÉLECTIONS EN BELGIQUE. Les départements belges ne furent pas appelés à prendre part aux élections pour la première formation des Conseils. Lors du décret d'annexion (9 vendémiaire an IV), les réunions des assemblées primaires avaient déjà eu lieu (20 fructidor an III et jours suivants). Le décret d'annexion (art. 9) décida en conséquence que les départements réunis ne participeraient qu'aux élections de l'an V (3).

(1) Sur les élections de l'an VII, voir AULARD, Histoire politique citée, p. 684, et SCIOUT, ouv. cité, t. IV, pp. 321 et suivantes.

(2) Suit l'état nominatif des fonctionnaires ou agents particuliers auxquels il a été remis des fonds sur ceux des dépenses secrètes pour manœuvrer les élections de l'an VI. Mémoires de Barras, publiés par Georges Duruy, Paris, 1896, tome III, pp. 194 et suiv. ; voir aussi p. 157.

(3) Sur l'ensemble des élections de l'an V, voir LAnzac de Laborie, La Domination française en Belgique, Paris, 1895, t. I, pp. 99 et suiv.; sur celles des départements de l'Ourthe et de la Meuse inférieure, voir DARIS, Histoire du diocèse et de la principauté de Liége (17241852), Liége, 1868, t. III, pp. 105 et suiv., et t. IV, p. 35.

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