Page images
PDF
EPUB

se trouvaient exposés à des poursuites judiciaires, à la déten tion préventive et à la mise sous scellés de leurs presses. Le commissaire du gouvernement Bouteville écrivait le 4 brumaire an V (24 octobre 1796) au ministre de la police, à propos d'une poursuite de presse: "On tient pour certain que l'auteur trouverait grâce devant le jury. Une détention de quelque temps est la seule réprèssion possible: l'instruction n'est pas poussée avec une grande célérité pour que du moins cette peine soit subie, (1).

440. MESURES PROHIBITIVES CONTRE LA PRESSE PÉRIODIQUE APRÈS LE 18 FRUCTIDOR. Les lois du 27 et du 28 germinal ne produisirent pas les résultats qu'espéraient leurs auteurs. Le jury avait continué à se montrer indulgent en matière de délit de presse (2). Aussi après le coup d'État de fructidor, le Directoire qui attribuait à l'influence des journaux le triomphe de l'opposition modérée aux élections de l'an V, résolut-il de recourir à d'autres moyens. Il obtint des Conseils le droit qu'il leur avait déjà vainement demandé auparavant (3) — de prendre à l'égard de la presse les mesures prohibitives temporaires que semblait autoriser l'article 355 de la constitution. Les journaux, les autres feuilles périodiques et les presses qui les impriment sont, disait l'art. 35 de la loi du 19 fructidor, mis pendant un an sous l'inspection de la police qui pourra les prohiber., Mais les vainqueurs de fructidor ne se contentèrent pas de cette mesure. Trois jours après, la loi du 22 fructidor an V ordonna la déportation des proprié. taires, entrepreneurs, directeurs, auteurs, rédacteurs de quarante-deux journaux, parmi lesquels un certain nombre de journaux belges (4).

[ocr errors]

441. La loi qui mettait les journaux sous l'inspection de la police ne pouvait avoir, aux termes de l'art. 355 de la

(1) Rapport cité par M. VERHAEGEN, Essai sur la liberté de la presse en Belgique, etc. Cfr. Lanzac de LABORIE, ouv. cité, t. I, p. 91. (2) SÖDERHJELM, ouv. cité, t. II, p. 77.

(3) SÖDERHJELM, t. II, pp. 83 et suiv.

(4) La loi du 22 fructidor an V n'est pas reproduite dans la Pasinomie. On la trouvera dans la Coll. HUYGHE, t. XV, p. 357.

constitution, de force que pour un an. Elle fut prorogée, pour une nouvelle année, par la loi du 9 fructidor an VI, et ne fut abrogée que le 14 thermidor an VII. Un arrêté du Directoire, en date du 23 brumaire an VI, décidait que la suppression d'un journal ne pouvait être prononcée par le ministre de la police et par les administrations centrales ou municipales qu'avec l'approbation du Directoire. Comme la loi du 19 fructidor an V ne donnait pas au Directoire le droit de censure préventive, mais simplement le droit de supprimer un journal, il arriva souvent que les journaux supprimés reparaissaient sous un autre nom, ce qui entraînait de nouveaux arrêtés de suppression (1)." On peut dire, écrit M. Aulard (2), qu'une sérieuse opposition politique, par la voie de la presse, est devenue impossible à partir du 18 fructidor an V. Tout journal indépendant est supprimé ; tout journaliste indépendant est sous le coup de la déportation. Parfois, on avertit les journaux avant de les supprimer; le plus souvent on les supprime sans avertissement préalable. L'idéal du Directoire, c'était d'arriver à rédiger les principaux journaux... En nivôse an VI, il envoya des instructions politiques détaillées à de nombreux journaux et il fit, dans la suite, rédiger pour eux des articles dont les minutes subsistent, (3).

442. La révocation de l'article 35 de la loi du 19 fructidor an V décrétée par celle du 14 thermidor an VII, ne rendit pas à la presse la liberté que promettait la constitution. A défaut d'armes légales, le Directoire recourut à des mesures arbitraires pour réduire au silence la presse d'opposition. Sous couleur d'exécuter la loi du 22 fructidor an V, un arrêté du 16 fructidor an VII ordonna la déportation d'une cinquan

(1) Voir pour la Belgique des exemples dans VERHAEGEN, ouv. cite, passim, et dans DARIS, ouv. cité, t. III, p. 184.

(2) AULARD, ouv. cité, p. 618.

(3) AULARD, ouv. cité, p. 618; MATHIEZ, Le bureau politique du Directoire, dans la Revue historique, 1903, t. LXXXI, p. 52. - Le Directoire dès son avènement subventionna largement les journaux qui lui étaient favorables, spécialement en Belgique : Söderhjelm, ouv. cité, t. II, pp. 53 et suiv.; VERHAEGEN, ouv. cité, passim ; etc.

taine de journalistes (1). Quant aux opposants qu'il ne pouvait atteindre à titre de rédacteurs ou propriétaires des journaux proscrits le 22 fructidor, le Directoire les décréta d'arrestation, comme conspirateurs, en vertu de l'article 145 de la constitution (2).

CHAPITRE II

LE RÉGIME DES ASSOCIATIONS ET DES RÉUNIONS

§ 1. Le droit d'association

443. LES ANTÉCÉDENTS. Ni la déclaration des droits de 1789, ni la constitution du 3 septembre 1791 ne s'occupaient du droit d'association. Le pouvoir législatif jouissait dès lors d'une liberté d'action complète au point de vue de la réglementation de cette matière. Les décrets qu'il porta ne s'inspirèrent d'aucun système général. Très hostile à certaines associations, comme les associations professionnelles et les associations religieuses, le législateur de la Révolution se montra, par contre, à l'origine du moins, très favorable aux associations qui s'occupaient de questions politiques. Il importe d'examiner séparément les règles qui furent décrétées à l'égard de chacune de ces catégories d'associations.

444. Les associations professionnelles (3). La loi des 2-17 mars 1791 n'avait pas seulement aboli les corporations, jurandes et maîtrises ainsi que leurs privilèges officiels :

(1) Voir dans SÖDERHJELM, ouv. cité, t. II. p. 180, le texte de cetarrêté.

(2) Voir dans SÖDERHJELM, ouv. cité, t. II, pp. 183 et suiv., de nombreux exemples.

(3) E. LEVASSEUR, Histoire des classes ouvrières en France depuis 1789, Paris, 1903; MARTIN ST-LÉON, Histoire des corporations de métiers, Paris, 1897; etc.

l'Assemblée constituante n'admit même pas que les groupements professionnels se reformassent à titre privé, comme associations libres. "L'anéantissement de toutes les espèces de corporations des citoyens du même état et profession, disait la loi des 14-17 juin 1791, étant une des bases fondamentales de la constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit. Les citoyens d'un même état ou profession, ajoutait l'art. 2, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers et compagnons d'un art quelconque, ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nommer ni président, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs. „ Les contrevenants devaient être condamnés à cinq cents livres d'amende, et suspendus pendant un an de l'exercice de tous droits de citoyens actifs et de l'entrée dans les assemblées primaires. Même à l'époque du triomphe de la politique démocratique et montagnarde, cette loi fut inflexiblement appliquée par le Comité de Salut public (1).

445. Les congrégations religieuses (2). Dès le début de la Révolution, le législateur se montra hostile à certaines catégories de congrégations religieuses, celles qui faisaient des vœux perpétuels. Dans leur ensemble cependant, les cahiers ne réclamaient pas la suppression radicale des ordres monastiques et un rapport de Treilhard à la Constituante, en date du 17 décembre 1789, concluait non à interdire les vœux, mais simplement à ne pas en reconnaître les effets civils. Mais l'Assemblée ne suivit pas le rapporteur, et, le 13 février 1790, elle déclara que les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on faisait des vœux perpétuels étaient et demeureraient supprimés en France, sans qu'il pût en

(1) AULARD, Histoire politique citée, p. 452. — Cfr. aussi un arrêté du Directoire, en date du 16 fructidor an IV (2 septembre 1796).

(2) AULARD, La Révolution française et les congrégations, Paris, 1905; voir en outre les ouvrages cités plus bas, pp. 316 et suiv., dans le chapitre relatif au régime des cultes.

être établi de semblables à l'avenir. Il ne s'agissait pas, d'ailleurs, d'une suppression générale immédiate de tous les cou vents de l'espèce. Car les religieux et les religieuses actuels, qui ne voulaient pas se séculariser, pouvaient continuer à mener la vie monastique. Un certain nombre de maisons religieuses devaient être maintenues à cette fin (1). "Au surplus, ajoutait la loi des 13-19 février 1790, il ne sera rien changé, quant à présent, à l'égard des maisons chargées de l'éducation publique et des établissements de charité, et ce jusqu'à ce qu'il ait été pris un parti sur ces objets. „

Il est permis de conjecturer que sans les complications de la guerre civile et de la guerre religieuse qui affectèrent si profondément le cours de la Révolution, les congrégations enseignantes ou charitables, et spécialement les congrégations séculières, c'est-à-dire celles où on ne faisait pas de vœux perpétuels, auraient échappé, en tout ou en partie, à la suppression. Telle semble même être l'opinion de M. Aulard qui écrit dans un ouvrage récent: “La Constituante n'avait pas touché à ces congrégations séculières. Plusieurs étaient fort populaires, comme la célèbre congré gation de l'Oratoire.... Si les hommes de la Révolution en vinrent à traiter les congrégations religieuses en ennemis, c'est pour les mêmes motifs que ceux qui amenèrent leur brouille avec l'Église catholique en général, c'est-à-dire à cause de la constitution civile du clergé et en particulier à cause du serment imposé aux ecclésiastiques lors de l'application de cette constitution. Les "patriotes, avaient commencé la Révolution d'accord avec une grande partie du clergé ; ils avaient espéré la continuer, l'achever par l'établissement d'une église vraiment gallicane, vraiment nationalisée. Au contraire, c'est cette entreprise qui, en échouant, amena la rupture définitive entre l'Eglise et la Révolution et forma les circonstances d'où sortirent la guerre civile, la guerre étrangère, les violences, les malheurs, l'avortement partiel de la Révolution, (2).

(1) Sur l'application, voir le décret des 8-14 octobre 1790, articles 12 et suiv.

(2) AULARD, ouv. cité, pp. 30 et 33.

« PreviousContinue »