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de fixer le régime légal des réunions. D'une part, en effet, elle prononçait l'interdiction formelle de toute réunion d'autorités constituées, et, d'autre part, elle décrétait des mesures sévères contre les attroupements." Plusieurs autorités constituées, disait l'art. 367, ne peuvent jamais se réunir pour délibérer ensemble; aucun acte émané d'une telle réunion ne peut être exécuté. Tout attroupement armé, disait l'art. 365, est un attentat à la constitution; il doit être dissipé sur-le-champ par la force. Tout attroupement non armé, ajoutait l'art. 366, doit être également dissipé, d'abord par voie de commandement verbal, et, s'il est nécessaire, par le développement de la force armée „ (1).

"

457. Quant au législateur ordinaire, il n'édicta pas de règles nouvelles en ce qui concerne le droit de réunion proprement dit. En fait, sous le Directoire comme sous la Convention, l'exercice de ce droit continua à être annihilé par les lois terroristes et par les lois et arrêtés sur les sociétés s'occupant de questions politiques (2). Eu théorie, cependant, le droit pour les citoyens de se réunir pour examiner des questions politiques, continua à être affirmé, notam. ment par l'arrêté du Directoire du 24 ventôse an VI (14 mars 1798). "Toute société dite cercle constitutionnel, disait l'art. 2 de cet arrêté, ou réunie sous toute autre dénomination collective, qui fera collectivement un acte quelconque, ou dont les membres en faisant leur pétition individuelle, relateront leur prétendue qualité de membres, ou feront mention de leur réunion en société ou cercle, sera fermée. Une réunion ordinaire, formée en dehors de tout cercle ou société,

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(1) Sur les attroupements et leur dispersion, voir la loi des 26 juillet-3 août 1791, celle du 1er germinal an III, celle du 27 germinal an IV, art. 5 et suiv., et celle du 28 germinal an VI, art. 175, nos 8o et 9o, ainsi que l'arrêté du Directoire du 13 floréal an VII, ch. II, ch. III et ch. IV. — Voir plus haut, nos 238, 263, 413, 421 et 432.

(2) Voir plus haut, no 455. — Il faut se rappeler aussi que la loi qui interdisait les associations professionnelles (voir plus haut, no 444), défendait même aux artisans et ouvriers de se réunir pour discuter leurs intérêts professionnels. Cfr. la loi des 19-22 juillet 1791 sur la police correctionnelle, titre II, art. 26.

n'était donc pas interdite par elle-même. Seulement, comme nous l'avons déjà dit, ces sortes de réunions n'étaient guère en usage, et, en tout état de cause, les participants s'exposaient au danger de se voir appliquer les lois terroristes.

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CHAPITRE III

LES RAPPORTS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT (1)

458. La constitution du 5 fructidor an III consacrait en termes catégoriques le principe de la séparation de l'Église et de l'État. Son article 354 s'exprimait comme suit: “ Nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi. — Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'un culte. La République n'en salarie aucun.

La première constitution de la Révolution, celle du 3 septembre 1791, avait déjà consacré la liberté des cultes, mais le principe de la séparation des cultes et de l'État était nouveau. La Convention ne l'admit que dans les derniers temps de son existence. Il était sans précédent dans l'ancien régime comme dans l'histoire de la Révolution elle-même. La thèse de l'État laïque, la conception d'une organisation politique et sociale indifférente à tout culte, était complètement étrangère aux hommes de 1789. Tout en ayant solen

(1) EDM. DE PRESSENSÉ, L'Église et la Révolution française (17891802), Paris, 1890; L. SCIOUT, Histoire de la Constitution civile du Clergé (1790-1801), Paris, 1881 ; A. Debidour, Histoire des rapports de l'Eglise et de l'Etat en France de 1789 à 1870, Paris, 1898; CHÉNON, L'Eglise et la Révolution (1789-1799), dans le tome VII de l'Histoire générale de MM. LAVISSE et RAMBAUD, Paris, 1896; Aulard, Histoire politique de la Révolution française, Paris, 1901; EDME CHAMPION, La séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1794, Paris, 1903; AULARD, Les origines de la séparation de l'Eglise et de l'État, dans la Révolution française, année 1905, t. XLIX; ID., La séparation de l'Eglise et de l'Etat (application du régime 1794-1802), dans les Études et leçons sur la Révolution française, 2me série, Paris, 1906, pp. 135 et suiv.; SICARD, L'ancien clergé de France, 3 vol., Paris, 898-1903.

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nellement proclamé la liberté des opinions "même religieuses (1), les Constituants n'en avaient jamais conclu à un devoir qui s'imposerait à l'État de se montrer neutre à l'égard de l'idée religieuse elle-même et de se conduire pratiquement comme s'il était athée. L'Assemblée législative, qui succéda à la Constituante, resta, dans une large mesure, fidèle à son système. Et la Convention elle-même n'aboutit au régime de la séparation qu'après des tentatives diverses, s'inspirant d'un point de vue radicalement différent.

Un examen rapide de la ligne de conduite suivie, en matière religieuse, par ces diverses assemblées, mettra ce fait en pleine lumière.

§ 1. Les rapports de l'Église et de l'État pendant la
Révolution, avant la constitution de l'an III.

459. LA CONSTITUANTE ET LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. Divisés sur la question de la liberté des cultes, les cahiers de 1789 s'accordaient assez généralement pour demander d'importantes réformes dans l'organisation ecclésiastique de la France. L'Assemblée constituante, qui s'était attribué le droit de réformer l'État, prétendit également réorganiser la société religieuse, sans le concours de l'Église. De là, après la confiscation des biens ecclésiasti ques (2), la célèbre loi des 12 juillet-24 août 1790 établissant la constitution civile du clergé. Cette loi, comme on le sait, bouleversait les circonscriptions diocésaines existantes, supprimait un certain nombre d'évêchés et de paroisses et prescrivait un nouveau mode de nomination pour les curés et les évêques.

Élus au suffrage populaire, les évêques et les curés devaient recevoir l'institution canonique de leurs supérieurs ecclésiastiques en cas de refus, ils pouvaient, aux termes du décret complémentaire des 15-24 novembre 1790, en appeler au tribunal civil. Un article de la loi des 12 juillet-24 août 1790

(1) Art. 10 de la Déclaration des droits de 1789.

(2) Décret des 2-4 novembre 1789. Voir sur ce décret, les études du chanoine DE BECKER, citées plus haut, p. 245, note 2.

disait en termes formels: "Le nouvel évêque ne pourra s'adresser au pape pour en obtenir aucune confirmation; mais il lui écrira comme au chef visible de l'Église universelle, en témoignage de l'unité de foi et de la communion qu'il doit entretenir avec lui. „ Les évêques, avant leur consécration, et les curés, après leur institution, devaient prêter le serment de fidélité à la constitution civile (1). Cette obligation fut étendue plus tard aux évêques et curés conservés en fonctions (2), aux prédicateurs (3), aux ecclésiastiques remplissant des fonctions publiques dans l'enseignement (4) ou ailleurs, tels que les desservants des prisons et des hôpitaux (5).

460. Le culte catholique se trouvait ainsi étroitement lié à l'État. Malgré des sollicitations réitérées, la Constituante s'était cependant toujours refusée à proclamer la religion catholique, religion dominante ou religion de l'Etat (6). Une telle déclaration eût constitué, dans l'opinion de la majorité des constituants, comme une menace à l'égard des dissidents et eût blessé l'égalité religieuse. Mais jamais l'Assemblée, dont les membres, selon l'expression de Mirabeau," savaient que Dieu est aussi nécessaire aux hommes que la liberté, (7), ne considéra que le principe de la tolérance religieuse et de la liberté des cultes imposât aux pouvoirs publics le caractère de neutralité et de laïcité que l'on prétend quelquefois en déduire aujourd'hui.

Dans plusieurs décrets solennels, elle affirma "son attachement au culte catholique, apostolique et romain, (8). On

(1) Art. 21 et 38 titre If du décret des 12 juillet- 24 août 1790. Le serment visait bien la constitution civile du clergé et non pas uniquement la constitution politique du royaume Cfr. Sciout, La constitution etc., t. I, pp. 398 et suiv.; t. II, pp. 56 et suiv. (2) Décret des 27 novembre-26 décembre 1790.

(3) Décret des 5 février-27 mars 1791.

(4) Décret du 22 mars 1791.

(5) Décret des 15-17 avril 1791.

(6) SCIOUT, Histoire de la Constitution civile du clergé, I, pp. 154 et suiv.

(7) Séance du 26 novembre 1790.

(8) Par exemple, le décret du 13 avril 1790.

lit dans l'instruction des 21-26 janvier 1791 sur la constitu. tion civile, la déclaration suivante : "Les représentants des Français, fortement attachés à la religion de leurs pères, à l'Église catholique dont le pape est le chef visible sur la' terre, ont placé au premier rang des dépenses de l'État celles de ses ministres et de son culte ; ils ont respecté ses dogmes, ils ont assuré la perpétuité de son enseignement. Convaincus que la doctrine et la foi catholiques avaient leur fondement dans une autorité supérieure à celle des hommes, ils savaient qu'il n'était pas en leur pouvoir d'y porter la main, ni d'attenter à cette autorité toute spirituelle ; ils savaient que Dieu même l'avait établie et qu'il l'avait confiée aux pasteurs pour conduire les âmes, leur procurer les secours que la religion assure aux hommes, perpétuer la chaîne de ses ministres, éclairer et diriger les consciences.

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Je n'ai pas à apprécier ici ni la portée réelle, ni la sincérité de pareilles déclarations. Ce serait évidemment fausser l'histoire que de les comparer aux professions d'attachement à l'Église et au Pape, formulées dans nos congrès catholiques contemporains. Les Constituants entendaient bien se réser ver le droit de statuer eux-mêmes et sans recours sur leur propre orthodoxie." Nous sommes une convention nationale, avait déclaré Camus, nous avons assurément le pouvoir de changer la religion, mais nous ne le ferons pas „ (1).

D'ailleurs, à côté des déclarations que je viens de rappeler, l'Assemblée constituante posa des actes qui mon trent nettement que pour les auteurs mêmes de la Déclaration des droits de l'homme, la liberté de conscience n'impliquait pas la laïcité de l'État (2). Le 4 février 1790, Louis XVI avait promis à la Constituante d'accepter la constitution qu'elle élaborait : l'Assemblée décida, le 9 février, de se rendre en corps à un Te Deum, célébré à NotreDame en action de grâces pour cet heureux événement. Le

(1) SCIOUT, ouv. cité, t. I, p. 197.

(2) Voir, entre autres, les faits cités par le Dr ROBINET : Le mou vement religieux à Paris pendant la Révolution (1789-1801), t. I, pp. 105 et suiv. (Collection de documents relatifs à l'Histoire de Paris pendant la Révolution française, publiée sous le patronage du Conseil municipal).

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