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mels, par le décret du 18 floréal. Mais la plupart des représentants en mission continuèrent à n'en tenir aucun compte. Le travail officiel de déchristianisation alla même en s'aggravant et c'est à partir de ce moment, d'après M. Aulard, qu'il fut procédé à la fermeture du plus grand nombre d'églises (1). Le culte de l'Être suprême n'eut qu'une destinée éphémère également.

Après la chute de Robespierre (9 thermidor an II, 27 juillet 1794), il languit, et disparut sans que la Convention ait abrogé formellement le décret du 18 floréal.

466. DERNIÈRE Attitude de la Convention: LA SÉPARATION de l'Église et de L'ÉTAT. Pour la troisième fois, la tentative faite par l'État de remplacer la foi traditionnelle par un culte officiel nouveau échouait. La Convention déclara bientôt qu'elle renonçait à patronner une religion quelconque. Le décret du deuxième jour des sans-culottides an II (18 septembre 1794) relatif aux pensions ecclésiastiques, affirma pour la première fois le principe que "la République française ne paie plus les frais ni les salaires d'aucun culte, (art. 1er). Par le fait même, la Constitution civile du clergé, qui subsistait toujours en droit, se trouvait abolie, et le régime de la séparation de l'Église et de l'État commençait.

Le système nouveau s'introduisit ainsi dans les institutions républicaines d'une façon incidente, à l'occasion du règlement d'une question de finances, et sans que la Convention prit en même temps l'ombre d'une mesure quelconque pour assurer aux cultes la jouissance effective de la liberté que leur garantissaient et la constitution de 1791 et la constitution dite Montagnarde de 1793. Dans le fait, le culte catholique orthodoxe et le culte constitutionnel continuèrent, comme au temps de la Terreur, à être proscrits par les représentants en mission ou par les diverses autorités locales (2).

(1) Histoire politique, pp. 481, 486. Cfr. aussi GAZIER, Études sur l'histoire religieuse de la Révolution française, Paris, 1887.

(2) Sciout, ouv. cité, t. IV, pp. 270 et suiv.; AULARD, Hist. politique, pp. 532 et suiv.

Cette situation ne tarda pas à soulever des protestations générales (1). Profitant de l'accalmie politique, les populations réclamaient avec insistance le droit de pratiquer leur culte. Le mouvement de résurrection religieuse devint bientôt irrésistible, dit M. Aulard (2), et la Convention se décida à rendre au catholicisme un peu de liberté légale par le décret du 3 ventôse an III (21 février 1795), voté sur le rapport de Boissy d'Anglas

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Ce décret fixait les règles générales de police que les fidèles devaient observer dans l'exercice des cultes. Il abrogeait, en termes formels, tous décrets antérieurs et arrêtés des représentants en mission contraires à ses dispositions. Il ne rendait d'ailleurs pas aux cultes l'usage des églises. "La République, disait l'article 3 du décret, ne fournit aucun local, ni pour l'exercice du culte, ni pour le logement des ministres. Mais les fidèles réclamèrent l'usage de leurs temples et la Convention se résigna, peu après, à donner une certaine satisfaction au vœu de l'opinion. Le décret du 11 prairial an III (30 mai 1795) mit, sous certaines conditions, les églises non aliénées à la disposition des fidèles : ils devaient les entretenir et les réparer à leurs frais; les églises devaient servir non seulement pour l'exercice des cultes, mais encore pour la tenue des assemblées ordonnées par la loi; et nul ne pouvait y exercer le ministère d'un culte à moins qu'il ne se fût fait décerner acte devant la municipalité de sa soumission aux lois de la république. Quelques mois plus tard, la Convention, par le décret du 20 fructidor an III (6 septembre 1795), imposa la déclaration de soumission même aux ministres des cultes qui exerçaient dans les maisons particulières (3).

(1) Voir à cet égard un opuscule du conventionnel Baudin, réimprimé par M. AULARD, dans La Révolution française, 1891, t. 20, p. 69; et un travail de M. BLUM, La mission d'Albert dans la Marne, paru dans la même revue, année 1902, t. 43, p. 430.

(2) Hist. politique, pp. 536-537.

(3) Le but de la Convention en imposant cette déclaration était de favoriser l'ancien culte constitutionnel. Voir SCIOUT, Histoire de la constitution civile, t. IV, pp. 391 et suiv., 431, 433. La licéité de la déclaration était controversée parmi les catholiques.

A ce moment, la constitution nouvelle était déjà promulguée la Convention y avait inserit, ainsi que nous l'avons dit, le principe de la séparation de l'Église et de l'État. Avant de se séparer définitivement, l'Assemblée revisa une dernière fois les lois relatives à l'exercice et à la police des cultes. Ce fut l'objet du décret organique du 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795), qui fixa le régime légal des cultes jusqu'au Concordat.

§ 2. L'organisation légale des cultes sous le régime
de la séparation

467. IDÉE GÉNÉRALE. La législation des cultes (1), léguée par la Convention au Directoire et qui subsista jusqu'au Concordat, s'inspirait d'une pensée manifestement hostile aux religions. Dans son rapport sur la loi du 3 ventôse an III (2), Boissy d'Anglas était parti de l'idée que la religion est en elle-même une erreur, une absurdité, le produit de l'ignorance" c'est à la philosophie à éclairer l'espèce humaine, disait il, et à bannir de dessus la Terre les longues erreurs qui l'ont dominée., En séparant l'État et les cultes, en “expulsant la religion de l'organisation politique, de la France, la Convention a remporté le triomphe "qui consolide le mieux la démocratie qu'elle a jurée „. La sagesse commande toutefois au législateur de tenir compte de la renaissance religieuse qui se manifeste: loin d'étouffer ce mouvement, la persécution violente ne ferait que le fortifier. C'est indirectement que l'État doit agir. La crédulité, la barbarie de quelques idiomes, les violences des Jacobins, "ont paru ranimer en plusieurs lieux la ferveur d'un culte qui s'éteint, d'un culte qui n'a pu se soutenir contre la raison, quand celle-ci était perséculée, et qui succombera sous ses efforts quand elle sera secondée et dirigée par le gouvernement lui-même „.

(1) SCIOUT, ouv. cité, t. IV, pp. 298 et suiv., 432 et suiv.

(2) La loi du 7 vendémiaire an IV n'ayant abrogé formellement ni celle du 3 ventôse, ni celle du 11 prairial, on considéra comme maintenues en vigueur toutes leurs dispositions qui n'étaient pas en contradiction avec celles de la loi du 7 vendémiaire.

Tout en se séparant des cultes, l'État n'entendait donc pas garder à leur égard une attitude de neutralité. Il se réservait de contrecarrer l'influence des idées religieuses, notamment par le moyen de l'instruction publique à laquelle une loi du 27 brumaire an III venait, enfin, de donner une organisation, qui fut éphémère d'ailleurs (1). Seule, l'instruction publique peut" en développant la raison, renverser les préjugés et les erreurs, c'est-à-dire la religion. " Bientót, ajoutait Boissy d'Anglas, on ne connaîtra que pour les mépriser, ces dogmes absurdes, enfants de l'erreur et de la crainte, et dont l'in fluence sur l'espèce humaine a été si constamment nuisible...; bientôt la religion de Socrate, de Marc-Aurèle et de Cicéron sera la religion du monde. „

En se laissant guider par des considérations de l'espèce, l'Etat ne pouvait évidemment admettre qu'une liberté des cultes étriquée, voire même dérisoire. “Que toutes cérémo nies soient assez libres, disait le rapporteur, pour qu'on n'y attache plus aucun prix, pour que votre police surtout en puisse surveiller sans cesse les inconvénients et les excès; que rien de ce qui constitue la hiérarchie sacerdotale ne puisse renaître au milieu de vous sous quelque forme que ce soit. Mettez au rang des délits publics tout ce qui tendrait à rétablir ces corporations religieuses que vous avez sagement détruites. Qu'il n'y ait aucun prêtre avoué parmi vous, aucun édifice destiné au culte, aucun temple, aucune dotation; en un mot, en respectant toutes les opinions, ne laissez renaître aucune secte. Les cultes quels qu'ils soient n'auront de vous aucune préférence; vous n'adopterez point celui-ci, pour persécuter celui-là, et ne considérant la religion que comme une opinion privée, vous ignorerez ses dogmes, vous regarderez en pitié ses erreurs, mais vous laisserez à chaque citoyen la liberté de se livrer, à son gré, aux pratiques de celle qu'il aura choisie.

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468. Sauf qu'elle tolérait, dans une certaine mesure, avec le décret du 11 prairial, l'usage des églises non aliénées, la loi du 7 vendémiaire (2) ne s'inspirait guère d'un point de

(1) Voir plus bas le chapitre IV du présent livre.

(2) SCIOUT, ouv. cité, t. IV, pp. 432 et suiv.

vue plus large que celle du 3 ventôse. Son préambule affirmait, il est vrai, que les dispositions légales relatives à l'exercice des cultes ne pouvaient avoir pour but qu'une surveillance renfermée dans des mesures de police et de sûreté publique,. Mais il ajoutait aussitôt que, par applica tion de cette idée, il était nécessaire de " prévoir, arrêter ou punir tout ce qui tendrait à rendre un culte exclusif ou dominant et persécuteur, tel que les actes des communes en nom collectif, les dotations, les taxes forcées, les voies de fait relativement aux frais des cultes, l'exposition des signes particuliers en certains lieux, l'exercice des cérémonies et l'usage des costumes hors des enceintes destinées aux dits exercices, et les entreprises des ministres relativement à l'état civil des citoyens „.

La loi du 7 vendémiaire soumettait en conséquence l'exercice des cultes à un ensemble de mesures préventives, réglementaires et répressives, aussi minutieuses que sévères, qui montrent clairement, qu'en dépit de quelques disposi· tions protectrices, le législateur s'inspirait d'une pensée hostile à l'influence religieuse.

L'État n'était cependant pas officiellement athée. L'intitulé de la constitution de l'an III portait, en effet, que le peuple français la proclamait" en présence de l'Etre suprême „. Et le ministre de l'intérieur, François (de Neufchâteau), disait dans sa circulaire du 10 fructidor an VI relative à la célé bration de la fête de la fondation de la République : "L'édifice républicain repose sur la base de toutes les religions, sur la morale la plus pure, la croyance d'un Dieu juge des bons et des méchants, la tolérance universelle, et la pratique des vertus, considérée en raison comme l'essentiel des cultes et le plus digne hommage à la Divinité,, (1)

(1) La circulaire est reproduite dans la Coll. HAYEZ, t. XII, pp. 94 et suiv. — Cfr. en outre le discours solennel prononcé par le président du Directoire (La Révellière), le 1er vendémiaire an VI, à la fête de la fondation de la République (Moniteur du 5 vendémiaire): ce discours était une invocation à la Divinité et une sorte de prière adressée au Souverain arbitre des destinées de l'univers „; cfr. également la circulaire du ministre François (de Neufchâteau) du 30 frimaire an VII (Coll. HAYEZ, t. XIII, p. 167); etc.

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