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Ces élections eurent un caractère protestataire nettement accentué. Malgré les abstentions et les intimidations, écrit M. de Lanzac, les élections traduisirent presque partout le vœu public atteints dans leur fortune, blessés dans leurs croyances, violentés dans leur liberté, les Belges aspiraient à être affranchis des fonctionnaires qu'on leur avait imposés et à redevenir leurs propres maîtres; ils saisirent avec avidité l'occasion qui se présentait.

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"Le cri de ralliement, écrivait le commissaire du Directoire près le département des Forêts, fut, dans toutes les assemblées primaires et particulièrement dans l'assemblée électorale point de Français ni d'origine ni d'opinion! Tous ceux connus par leur attachement à la Révolution furent exclus; les parents d'émigrés, les prêtres, les anciens baillis et justiciers des ci-devant seigneurs, les hommes de loi, tous ennemis du régime actuel, dominèrent dans cette assemblée et tous ceux qui étaient connus pour aimer le gouverne. ment furent exclus (1). „

Quoique les élections eussent eu ce caractère dans la plupart des départements belges, la loi du 19 fructidor, votée au lendemain du coup d'État dont nous avons parlé, n'annula pour la Belgique que les seules élections du département des Deux-Nèthes, élections qui avaient déjà été validées régulièrement au mois de juillet précédent. Dans ce département, les électeurs, réunis en assemblée électorale, ne parvenant pas à se mettre d'accord sur une question de vérification de pouvoirs, s'étaient divisés en deux groupes qui élurent chacun leurs députés. Les Conseils avaient validé au mois de juillet les élus du groupe le plus nombreux qui étaient des opposants au Directoire. Postérieurement à l'annulation de cette élection par la loi du 19 fructidor, une loi du 29 vendémiaire an VI (20 octobre 1797), proclama les opérations du second groupe seules valables et invita ses élus à siéger immédiatement.

(1) POULLET, Quelques notes sur l'esprit public en Belgique pendant la domination française (1795-1814) (extrait du Messager des Sciences historiques, 1894 et suiv.), Gand, 1896, p. 17.

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Les vainqueurs de l'an V c'est-à-dire les modérés, les antifrançais — ne prirent guère de part aux élections législatives de l'an VI et de l'an VII, sauf dans le département des Forêts. Le serment de haine à la royauté les tenait éloignés de l'urne électorale. Ces élections furent d'ailleurs caracté risées par une pression gouvernementale plus énergique que celle qui se manifesta dans le reste de la France (1). On vit les agents du gouvernement, les commissaires du Directoire,se présenter aux suffrages de leurs administrés pour être envoyés à un des deux Conseils. Ils réussirent, en général, à se faire élire, et en cas d'échec, à se faire proclamer élus par le Corps législatif, grâce à la tactique des "scissions Les partisans du Directoire avaient, en effet, reçu pour consigne, lorsqu'ils s'apercevraient que les opérations électorales allaient tourner en leur défaveur, de faire scission." Je conseillerai, écrivait au ministre de la Police le commissaire du Directoire près l'administration centrale de l'Escaut, je conseillerai aux commissaires des cantons d'engager leurs compatriotes à faire scission partout où ils prévoient ne pouvoir l'emporter. Par ce moyen, nous sommes sûrs d'avoir de bonnes élections ou d'en avoir de doubles; dans ce dernier cas ce serait au Corps législatif de juger de la validité de l'un ou de l'autre choix, et il faut croire qu'il rendrait justice aux patriotes; en agissant de même à l'assemblée électorale, c'est un moyen infaillible de l'emporter. „

25. VALIDATION DES POUVOIRS. Aux termes de la constitution (art. 57), les députés nouvellement élus entraient en fonctions le 1er prairial de chaque année. Les Conseils ne vérifiaient pas indépendamment les pouvoirs de leurs membres. C'était au Corps législatif tout entier qu'appartenait cette vérification (art. 43, C. III). Les procès-verbaux des élections, tant aux Anciens qu'aux Cinq-Cents, étaient trans mis au Conseil des Cinq-Cents: la résolution prise par

(1) AULARD, Hist. politique citée, p. 587; LANZAC DE LABORIE, ouv. cité, t. I, pp. 154 et suiv., 278 et suiv.; DARIS, ouv. cité, t. III, p. 277, et t. IV, pp. 56 et 103; POULLET, Quelques notes sur l'esprit public, etc.,

ceux-ci était soumise à l'approbation des Anciens, comme en matière de loi ordinaire.

C'est que le Corps législatif n'avait pas seulement à valider les élections pour les Conseils mais toutes les opérations des assemblées électorales: élections des juges, des administrateurs de département, des hauts jurés, etc. Très sommaire lors de la première formation des Conseils, en l'an IV (1), la procédure de la validation des pouvoirs fut réglée par la loi du 30 floréal an V (2), que modifia plus tard celle du 12 pluviose an VI.

Cette dernière loi fut faite avec l'intention de faciliter éventuellement, dans un but de parti, l'annulation ou la modification des verdicts du corps électoral. Les élections de l'an VI paraissaient devoir être défavorables à la majorité qui avait sanctionné le coup d'État de fructidor. Elle voulut se réserver un moyen commode de se maintenir néanmoins au pouvoir. A cet effet, la loi du 12 pluviôse an VI décida que la vérification des pouvoirs ne se ferait plus en prairial, lors de l'entrée en fonctions des députés nouvellement élus, et avec leur concours, mais qu'elle se ferait en floréal, avant leur entrée en fonctions, sans leur concours, par le Corps législatif même qui venait d'être partiellement renouvelė. Ainsi les députés exclus par le corps électoral se trouvaient chargés de prononcer sur la validité des élections des candidats du parti opposant qui venaient de les battre!

Combiné avec la tactique des scissions dans les assemblées électorales, ce système permettait à la majorité fructidorienne de se maintenir indéfinitivement. Lorsque ses partisans voyaient les opérations de l'assemblée électorale prendre une tournure défavorable, ils s'en séparaient, faisaient scission, et procédaient dans un autre local à des élections dont ils réclamaient la validation de préférence à celle de l'assemblée mère.

(1) Cf. Loi du 30 vendémiaire an IV, art. 17, et KUSCINSKI, Les Députés au Corps législatif de l'an IV à l'an VII, Paris, 1905, pp. ш et suivantes.

(2) Au Bulletin des Lois, et dans HUYGHE, t. XII, p. 241.

26. Les élections de l'an VI ayant tourné contre la majorité fructidorienne, elle ne se contenta pas des facilités que lui offrait la loi du 12 pluviose an VI, pour en corriger les résultats. Par la célèbre loi du 22 floréal an VI, elle prononça en bloc sur les pouvoirs des divers élus (la loi de pluviôse exigeait une vérification séparée par assemblée électorale) : les opérations électorales furent annulées dans sept départements dont les élus déplaisaient; dans vingt-trois départements, le Corps législatif fit choix entre les scissions" sans autre règle, dit M. Aulard (1), que la sympathie inspirée aux auteurs de la loi par les opinions ou les personnes des élus; dans le reste de la France, il invalida quarante-huit députés (2).

En l'an VII, il y eut encore de nombreuses scissions, mais le Corps législatif rentra dans la légalité et valida les opérations des assemblées-mères (3).

27. En Belgique, la loi du 22 floréal an VI corrigea en tout ou en partie les élections dans cinq départements sur neuf: ceux de la Dyle, des Forêts, de Jemmappes, de la Lys et de l'Ourthe (4).

En l'an VII (5), il y eut encore des scissions dans la Dyle, l'Escaut, la Meuse inférieure, les Deux-Nèthes et Sambre-et-Meuse; mais le Corps législatif valida systématiquement les opérations des assemblées-mères, sauf dans le département des Deux-Nèthes où les opérations des deux assemblées furent annulées.

(1) Histoire politique citée, p. 591.

(2) Le texte de la loi du 22 floréal ne se trouve pas reproduit dans la Pasinomie. On le trouvera dans la Révolution française, t. XXXVIII, pp. 428-460, où il a été publié par M. Aulard avec des notes. Voir sur le coup d'Etat de floréal, SCIOUT, ouvrage cité, t. III, pp.462 et suiv., et KUSCINSKI, ouvrage cité, pp. 216 et suivantes. (3) AULARD, Histoire politique, p. 591.

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(4) On trouvera la partie de la loi de floréal relative aux départe ments belges dans la Collection Hayez, t. XI, p. 233. (5) SCIOUT, ouv. cité, t. IV, p. 327.

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§ 3. Le fonctionnement des Conseils

28. DES SESSIONS. En principe, le Corps législatif était permanent.

Il pouvait toutefois s'ajourner à des termes qu'il désignait (art. 59, C. III).

Ce principe tendait à assurer l'indépendance complète du pouvoir législatif (1). L'Assemblée constituante l'avait déjà inscrit dans la constitution de 1791.

L'un des Conseils ne pouvait s'ajourner au delà de cinq jours sans le consentement de l'autre (art. 127, C. III).

29. RÈGLEMENT D'ORDRE INTÉRIEUR DES CONSEILS. La constitution elle-même réglait bon nombre de points qui figurent aujourd'hui dans les règlements des Chambres. La Convention vota pour compléter ces dispositions la loi du 28 fructidor an III (2). Les Conseils réglèrent, en outre, chacun pour leur compte, certains détails d'application (3).

Résumons rapidement les principales règles constitutionnelles ou légales (4).

30. Des Séances. Les séances des Conseils étaient publi ques. "La publicité de vos délibérations, disait Boissy d'Anglas (5),ne résulte pas seulement de ce que quelques citoyens en sont les témoins, ce qui la constitue surtout, c'est celle des procès-verbaux et des écrits des journalistes: c'est par la communication des pensées qui résulte de la liberté de la

(1) ESMEIN, Droit constitutionnel cité, p. 543.

(2) Le texte de cette loi ainsi que l'exposé des motifs, par La Revellière-Lépeaux, se trouvent au Moniteur, no 361, 1er jour complémentaire de l'an III.

(3) Voir plus bas, no 34, note 2.

(4) Voir, pour la comparaison, le règlement du 29 juillet 1789, à l'usage de l'Assemblée constituante, celui du 18 octobre 1791, à l'usage de l'Assemblée législative et celui du 28 septembre 1792 à l'usage des séances de la Convention nationale, reproduits à leur date, dans la Pasinomie.

(5) Discours préliminaire cité, p. 44.

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