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causes diverses empêchèrent les catholiques de jouir en paix de la liberté déjà si restreinte qu'admettait la loi du 7 vendémiaire an IV. Tout d'abord, une partie des autorités religieuses condamna, à l'instar des serments antérieurs, la déclaration de soumission; d'autres, celles de Paris notamment, adoptèrent une attitude différente (1). Mais la cause fondamentale des difficultés qui surgirent fut l'article 10 de la loi du 3 brumaire an IV votée par la Convention, la veille même de sa séparation, et qui remettait en vigueur les lois de 1792 et de 1793 contre les prêtres sujets à la déportation ou à la réclusion (2). Sur la foi des lois du 3 ventôse et du 11 prairial an III (3), les prêtres insermentés étaient rentrés en foule (4) et avaient repris, grâce à l'appui des populations et à la tolérance des autorités locales, l'exercice de leur ministère. Le culte s'était ainsi réorganisé presque partout lorsque survinrent les journées de vendémiaire. La Convention rendit le clergé réfractaire responsable du soulèvement provoqué par le décret des deux tiers, et décréta, le 3 brumaire (5), l'exécution dans les vingt-quatre heures des lois rendues en 1792 et en 1793 contre les prêtres qui n'avaient pas prêté le serment à la constitution civile ou le serment civique de liberté et d'égalité. Les municipalités exigèrent dès lors de tout ministre du culte qui se présentait pour faire la déclaration de soumission prescrite par la loi du 7 vendémiaire, qu'il fournit préalablement la preuve qu'il n'avait pas été astreint aux serments antérieurs ou qu'il les avait prêtés. Par le fait, la grande masse du clergé fran

(1) Voir à cet égard dans la Révolution française, année 1903, t. 39, une étude de MATHIEZ sur les divisions du clergé réfractaire; MÉRIC, Histoire de M. Emery, Paris, 1885; DELARC, L'Église de Paris pendant la Révolution, Paris, 1895-1897; SICARD, L'ancien clergé de France, t. III, pp. 295 et suiv., etc. Le Pape n'a pas condamné la déclaration de soumission.

(2) Voir plus haut, p. 322, note 1.

(3) Voir plus haut, no 466.

(4) SCIOUT, Le Directoire, t. I, pp. 118, 122.

(5) Voir plus haut, no 20. — Ce fut cette même loi du 3 brumaire an IV (no 1193 dans le Bulletin des lois), qui frappa d'inéligibilité aux fonctions publiques diverses catégories de personnes : Cfr. plus haut, nos 18, 99, 116, 227, 260, etc.

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çais (1) se trouva dans l'impossibilité de profiter de la loi du 7 vendémiaire an IV et les fidèles furent, dans une foule de régions, privés de leurs ministres. Réduits à se cacher, les prêtres insermentés ne pouvaient, en effet, exercer le culte qu'au prix des plus grands périls.

Il est vrai qu'un certain nombre d'autorités locales fermèrent les yeux; que d'autres délivrèrent aux réfractaires des certificats de complaisance, constatant qu'ils étaient en règle avec les anciens serments, et les admirent à la déclaration de soumission; que d'autres y admirent les prêtres constitutionnels rétractés, dont elles feignaient d'ignorer la rétractation. Mais la situation de ces prêtres n'en était pas moins des plus précaires : si, à la suite d'une dénonciation, la vérité venait à se faire jour, il y allait de leur vie. Le 8 ventôse an IV, le Directoire, en exécution de la loi du 14 février 1793, avait même décidé d'accorder une prime de cent livres pour la capture d'un prêtre réfractaire.

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Le Directoire ne cessait, d'ailleurs, d'inviter les autorités départementales et locales à surveiller sans se lasser les prêtres attachés à Rome. Les agents directs du Directoire, ses commissaires près les administrations locales, étaient spécialement incités à surveiller les fanatiques c'est-à-dire les catholiques romains et leurs prêtres. "Ils cherchent à renouer leurs trames, disait une instruction de frimaire an IV. Déjouez leurs perfides projets. Par une surveillance active, continuelle, infatigable, rompez leurs mesures, entravez leurs mouvements, désolez leur patience; enveloppez-les de votre surveillance; qu'elle les inquiète le jour, qu'elle les trouble la nuit; ne leur donnez pas un moment de relâche; que sans vous voir ils vous sentent à chaque instant, (2).

Le Directoire s'efforça également d'obtenir des Conseils législatifs de nouvelles mesures contre le clergé, mais sans

(1) Cfr. SCIOUT, Le Directoire, t. I, p. 116 et t. III, pp. 148-150; ID., Histoire de la constitution civile du clergé, t. IV, p. 396.

(2) Instruction citée par SCIOUT, La Constitution civile, t. IV, p. 441; cfr. ID., Le Directoire, t. I, pp. 454, 474 et suiv.; AULARD, Histoire politique citée, pp. 652-653.

y réussir. La loi du 14 frimaire an V abrogea même l'art. 10 de la loi du 3 brumaire an IV. Le Directoire n'en considéra pas moins les lois de 1792 et de 1793 comme maintenues. Après les élections de l'an V, hostiles comme nous l'avons dit au parti conventionnel (1), le dissentiment entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ne fit que s'accentuer. La majorité nouvelle s'était préoccupée immédiatement de faire réellement jouir les catholiques de la liberté que leur promettait la constitution. Camille Jordan et Royer Collard, entre autres, plaidèrent éloquemment leur cause et obtinrent le vote de la loi du 7 fructidor an V qui abolit les lois de 1792 et de 1793 et décida que les ecclésiastiques atteints par elles rentraient dans tous les droits de citoyen français. Un grand pas était fait dans la voie du retour à une liberté religieuse réelle, lorsque le coup d'État de fructidor rouvrit l'ère des persécutions

violentes.

476. L'ANCIEN CULTE CONSTITUTIONNEL. Après les lois de ventôse et de prairial an III, l'ancienne église constitutionnelle s'était également réorganisée, sans rencontrer d'ailleurs dans la masse des fidèles plus d'adhésions qu'auparavant. Les autorités, au début, et pour faire contrepoids à l'Église catholique romaine, se montrèrent assez impartiales, voire même bienveillantes à son égard. Mais quand le Directoire vit l'église schismatique combattre le mariage des prêtres et le divorce et rester fidèle à la célébration du dimanche, il ne lui épargna pas non plus les vexations administratives.

C'est ainsi que le clergé de l'évêché constitutionnel de Versailles ayant condamné dans un synode tenu le 28 nivôse an IV (18 janvier 1796) le mariage des prêtres, le Directoire fit interdire la réunion qui devait se tenir le 25 février sui. vant pour l'élection d'un évêque (2). "Une association qui professe ces principes subversifs doit être rangée, dit l'arrêté du Directoire, parmi celles que prohibe l'art. 360 (3) de l'acte

(1) Voir plus haut, no 21.

(2) SCIOUT, Le Directoire, t. I, p. 487; ID., La Constitution civile,

t. IV,

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(3) Voir plus haut, no 451.

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constitutionnel. Vers la même époque, l'administration départementale de l'Eure empêcha le clergé constitutionnel du diocèse de se réunir pour élire un évêque, cette réunion devant avoir pour résultat d'établir un culte exclusif et dominant (1)..., de ressusciter une prétendue hiérarchie et de prétendus pouvoirs méconnus par les lois „ (2).

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477. LE CULTE DES THEOPHILANTHROPES (3). L'époque du Directoire vit naître et se développer un culte nouveau, celui des théophilanthropes. Sa création correspondait à un sentiment très répandu dans le parti de la Révolution, même chez ceux qui s'associaient à la persécution violente dirigée contre l'Église catholique romaine. C'est que la généralité des hommes de la Révolution étaient loin d'être athées. Des divergences philosophiques graves les séparaient sans doute. Mais qu'ils se réclamassent de Jean-Jacques Rousseau ou de Voltaire, ils s'accordaient tout au moins dans une commune disposition à adhérer à une religion purement naturelle. Et cette religion, la majorité d'entre eux ne la concevaient pas sans un certain caractère social et public. "Faut-il des dogmes et un culte religieux? se demandait le directeur La Révellière-Lépeaux dans un discours prononcé à l'Institut le 12 floréal an V (4). Je crois qu'il est impossible qu'un peuple puisse s'en passer. Autrement il se jettera dans les superstitions les plus grossières, parce qu'il trouvera toujours des charlatans pour effaroucher son imagination et vivre à ses dépens. Il y a plus: sans quelques dogmes et sans aucune apparence de culte extérieur, vous ne pouvez ni inculquer dans l'esprit du peuple les principes de la morale, ni la lui faire pratiquer., Le culte de la Raison, là où il fut marqué

(1) Voir plus haut, no 467.

(2) Cité par SCIOUT, La Constitution civile, t. IV, p. 477.

(3) Sur la théophilanthropie, voir l'ouvrage documenté de MATHIEZ, La Théophilanthropie et le culte décadaire (1796-1801), Paris, 1903; ID., Les origines des cultes révolutionnaires (1789-1792), Paris, 1904; ID., Protestants et Théophilanthropes, dans la Révolution française, année 1903, t. 44, p. 386.

(4) Discours reproduit au tome III de ses Mémoires, pp. 7 et suiv., et souvent erronément indiqué comme prononcé en l'an VI.

de tendances déistes (1), mais surtout le culte de l'Être suprême avaient cherché à organiser d'une façon effective la religion naturelle. Sous le Directoire, un nouvel essai fut tenté, mais par l'initiative privée cette fois. Un simple libraire de Paris, Chemin, aidé de quelques adeptes en lança l'idée au début de l'an V et qualifia de théophilanthropie le culte nouveau.

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“La dénomination de théophilanthropes, disait Chemin dans le Manuel des théophilanthropes (2), nous parut heureuse en ce que les partisans d'aucun culte ne pouvaient la rejeter, puisque la base de tous est l'amour de Dieu et du prochain. La théophilanthropie qui avait ses dogmes (la croyance à Dieu et à l'immortalité de l'àme), ses rites et ses cérémonies, obtint assez vite quelques adhésions dans le monde politique, et, sinon l'adhésion, du moins la haute protection du directeur La Révellière-Lépeaux. Cette protection lui valut l'appui, tantôt public, tantôt secret du gouvernement. "Je me chargeai, écrit La Révellière dans ses Mémoires (3), de faire sentir au Directoire que cette institution pouvait avoir les plus heureux résultats politiques. Le Directoire en jugea ainsi, et donna des ordres au ministre de la police Sotin pour protéger les fondateurs de cette nouvelle institution, et pour leur accorder, sur les fonds de la police les très modiques secours (4) dont ils pouvaient avoir besoin pour la célébration d'un culte aussi simple et aussi peu dispendieux., La constitution défendait, cependant, à la République de salarier aucun culte (5), mais le Directoire passa outre parce qu'il entrait dans sa politique de se montrer favorable à toute institution qui contribuerait à anéantir l'influence de la religion catholique romaine en effaçant les anciennes impressions et en leur substituant des impressions nouvelles plus

(1) Voir plus haut, no 464.

(2) Cité par MATHIEZ, La théophilanthropie, etc., p. 91.

(3) T. II, p. 167.

(4) Voir à cet égard dans la Révolution française, année 1904, t. 47, p. 65, une note de M. MATHIEZ, Subventions du Directoire aux théophilanthropes.

(5) Voir plus haut, nos 458 et 471.

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