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tion publique. Celui-ci commença par adopter un projet qui s'inspirait, dans une large mesure, des idées admises par le Comité de la Législative. Mais ce projet soumis à la Convention, d'abord dans sa partie relative à l'enseignement primaire (1), puis dans ses grandes lignes (2), fut mal accueilli. On dénonça dans la société savante qui devait avoir la direction et la surveillance de l'enseignement public, une corporation plus redoutable que toutes celles que l'on venait de supprimer. "Vous repousserez avec une juste indignation, disait un orateur (3), la conception monstrueuse de cette Société nationale qui ne serait bonne tout au plus qu'à introduire dans l'État une régie nationale, un gouvernement autocratique pour les sciences et les arts, un séminaire, un sacerdoce littéraire qui nous ramènerait le collège des prêtres de Memphis., Il ne sortit de ces premiers débats que les dispositions très générales et très vagues des décrets du 12 décembre 1792 et du 30 mai 1793 relatifs à l'enseignement primaire (4).

507. Au moment où la discussion allait reprendre, de nouvelles influences s'étaient fait jour au sein du Comité. Sous l'inspiration de Siéyès et de Daunou,il soumit à la Convention, le 27 juin 1793, par l'organe de Lakanal, un plan nouveau (5).

(1) Voir à cet égard le rapport de Lanthenas, dans GUILLAUME, Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de la Convention, t. I, pp. 68 et suiv.; 74 et suiv. La discussion de ce rapport à la Convention commença le 12 décembre 1792.

(2) Voir à cet égard le rapport et projet de décret déposé par Romme le 20 décembre 1792, dans GUILLAUME, ouv. cité, t. 1, pp. 201 et suiv.

(3) Guillaume, ouv. cité, t. I, p. xx. - Voir aussi pp. xvII et suiv. (4) Ces décrets décidaient que l'enseignement primaire formerait le premier degré de l'instruction ; qu'il aurait pour objet d'enseigner aux élèves "les connaissances élémentaires nécessaires aux citoyens pour exercer leurs droits, remplir leurs devoirs et administrer leurs affaires domestiques „ (12 décembre 1792); qu'il y aurait une école "dans tous les lieux qui ont depuis 400 jusqu'à 1500 individus,,; enfin, que les instituteurs seraient chargés de faire aux citoyens de tout âge, de l'un et l'autre sexe, des lectures et instructions une fois par semaine, (30 mai 1793).

(5) GUILLAUME, ouv. cité, t. I, p. 507. — Lakanal présenta l'exposé des motifs de ce projet, mais il ne fit pas imprimer cet exposé, esti

L'État d'après ce projet devait laisser à l'initiative privée l'organisation des degrés supérieurs de l'enseignement on empêcherait ainsi, selon Daunou, la constitution "d'une régie des progrès de l'esprit humain, une entreprise de perfectionnement de la raison humaine, (1). L'État ne devait s'occuper que de l'instruction primaire, et encore sans monopole. La haute direction et la surveillance des écoles" nationales, comme le projet les appelait, étaient confiées à une commission centrale d'instruction publique, nommée par le Corps législatif et assistée dans chaque district d'un bureau d'inspection qui nommait et destituait les instituteurs.

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508. Ce projet ayant suscité de nouvelles contradictions, surtout à raison de son caractère centralisateur (2), la Convention nomma le 3 juillet 1793 six commissaires chargés de lui présenter, sous huit jours, un nouveau projet.

509. Avant que cette commission n'eût arrêté son projet, la Convention fut saisie par Robespierre d'un plan d'éducation nationale trouvé dans les papiers de Michel Lepeletier. Au lieu de simples écoles primaires, Lepeletier proposait de créer des maisons d'éducation nationale, où les enfants seraient élevés en commun, de l'âge de cinq ans à celui de douze pour les garçons et de onze pour les filles. Les pères, mères ou tuteurs qui soustrairaient leurs enfants à l'éducation commune, perdraient les droits. de citoyen et seraient soumis à une double imposition directe. "Sous la sainte loi de l'égalité, disait l'exposé des motifs (3), tous recevront mêmes vêtements, même nourriture, même instruction, mêmes soins... Ils seront couchés durement, leur nourriture saine

mant que ce document ferait double emploi avec les explications données par Siéyès dans le Journal d'instruction sociale. M. GUILLAUME, ouv. cité, t. I, pp. 567 et suiv., reproduit les articles de Sièyès. (1) Daunou, Essai sur l'instruction publique, Paris, 1793.

(2) Cependant la commission centrale, au lieu de dépendre du pouvoir exécutif, comme dans le projet de Talleyrand, ou d'être indépendante de toute autorité publique, comme dans le système de Condorcet, ne dépendait dans ce projet que du pouvoir législatif. (3) GUILLAUME, ouv. cité, t. II, pp. 38, 42, 43 et 52.

mais frugale; leur vêtement commode mais grossier... Dans l'emploi de la journée tout le reste sera accessoire, le travail des mains sera la principale occupation... Il est une foule d'emplois laborieux dont les enfants sont susceptibles. Je propose que tous soient exercés à travailler à la terre... On peut encore leur faire ramasser et répandre les matériaux sur les routes; les localités, les saisons, les manufactures voisines de la maison d'institution offriront des ressources particulières... Ainsi, depuis cinq ans jusqu'à douze, c'està-dire dans cette portion de la vie si décisive pour donner à l'être physique et moral la modification, l'impression, l'habitude qu'il conservera toujours, tout ce qui doit composer la République, sera jeté dans un moule républicain. „

La Convention n'admit ni ne repoussa entièrement ce projet. Le 13 août, elle décréta le principe de la création de maisons d'éducation nationales mais où l'envoi des enfants serait simplement facultatif.

510. En attendant, l'organisation générale de l'enseignement public restait toujours en suspens. La Commission nommée le 3 juillet s'était partagée en deux fractions égales, les uns voulant organiser l'enseignement public à tous les degrés, les autres n'admettant l'intervention de l'État que pour l'enseignement primaire. Pour les départager, la Courvention porta à dix (1) le nombre de ses membres (16 septembre 1793). La majorité se décida alors pour la première solution et formula un projet s'inspirant, comme celui qu'avait adopté le Comité d'instruction publique dans les premiers mois de son existence, des idées de Condorcet (2). Romme fut chargé des fonctions de rapporteur qu'il conserva même après le 6 octobre, lorsque la Commission d'instruction fut réunie au Comité d'instruction publique.

La discussion publique put, enfin, être abordée. La Convention abrogea d'abord par un décret du 28 vendémiaire

(1) Et non à neuf.-Cfr. GUILLAUME, ouv. cité, t.V, pp. x11 et 622-627. (2) Voir plus haut, no 506. Le projet fut déposé le 1er octobre 1793 et complété dans des séances ultérieures (vendémiaire et brumaire an II). Cfr. GUILLAUME, ouv. cité, t. II, pp. 536, 673 note 2, 679 et 688.

an II (19 octobre 1793) la loi du 13 août relative aux maisons d'éducation commune. Le 30 vendémiaire, elle vota un décret sur le programme des écoles et leur distribution entré les communes; le 5 brumaire, une série d'articles traitant de l'enseignement et des maisons d'école (1); le 7 brumaire, un décret relatif à la nomination et au traitement des instituteurs et des institutrices; le 9 brumaire enfin, un décret sur la surveillance des écoles (2). Le décret du 7 brumaire chargeait de la nomination des instituteurs et institutrices les pères de famille, les veuves mères de famille et les tuteurs, qui devaient choisir entre les candidats dont les aptitudes et la moralité avaient été reconnues, après examen public, par la Commission d'éducation du district. Cette Commission d'éducation, composée de cinq membres, était elle-même nommée par le directoire du district, sur présentation des communes. Aucun ci-devant noble, aucun ecclé. siastique et ministre d'un culte quelconque, ne pouvait être nommé instituteur, ni aucune ci-devant religieuse institu trice (3). Quant à la surveillance des écoles, elle était attribuée, pour la partie relative aux mœurs et à la conduite des instituteurs et des élèves ainsi qu'à l'enseignement, à un inspecteur, appelé magistrat des mœurs, élu comme les instituteurs par les pères de famille; il rendait compte à la Commission d'éducation du district; la surveillance des bâti. ments d'école et du mobilier relevait de la commune et du district.

Pas plus que les précédents, ce projet ne devait devenir définitif. Lorsque le 14 brumaire la Convention fut saisie de la coordination des articles votés et de leur répartition entre un certain nombre de titres, elle décida qu'ils seraient préalablement revisés (4). Mais le Comité d'instruction.

(1) Voir ces décrets dans GUILLAUME, ouv. cité, t. II, pp. 679 et 688. (2) Voir le texte dans GUILLAUME, ouv. cité, t. II, pp, 718-721. (3) L'incapacité des ex-nobles, etc., n'a plus été reproduite dans aucun décret ultérieur. Elle a été considérée comme abrogée par la loi du 29 frimaire an II et par les lois ultérieures. Cfr. GUILLAUME, ouv. cité, t. V, p. xxvii.

(4) Cette revision au sujet de laquelle la généralité des auteurs donnent des renseignements inexacts avait d'abord été confiée à

publique ne se contenta pas de soumettre à l'Assemblée, par l'organe de Romme, le texte coordonné et revisé des dispositions votées (1), il lui soumit en même temps, par l'organe de Bouquier, un projet tout nouveau qui devint la loi du 29 frimaire au II, la première qui ait reçu une exécution réelle, quoiqu'éphémère (2).

511. Loi du 29 frimaire an II (19 décembre 1793) (3). La loi du 29 frimaire an II organisait l'instruction primaire sur la base d'un système que nous qualifierions aujourd'hui de système de la liberté subsidiée. "L'enseignement est libre. Il sera fait publiquement „, disaient les articles 1 et 2 de la loi. Les citoyens et citoyennes qui voulaient user de la liberté d'enseigner étaient tenus de faire une déclaration d'ouverture d'école à la municipalité et de produire un certificat de civisme et de bonnes mœurs. Chaque école devait recevoir de la République un subside calculé d'après le nombre d'enfants qui la fréquentaient : l'article 4 en fixait le montant à 20 francs par élève pour les instituteurs et à 15 francs pour les institutrices." Vous avez chargé votre Comité d'instruction, disait Bouquier dans son rapport (4), de reviser le décret relatif à l'organisation des premières écoles. Il a rempli sa tâche; mais en s'en acquittant, il a vu que le

une commission de six membres, qui semble être restée inactive; le 19 brumaire, la Convention chargea le Comité d'instruction publique de la même mission. GUILLAUME, ouv. cité, t. III, pp. xv, xx et xxv. (1) Voir le texte dans GUILLAUME, ouv. cité, t. II, p. 849, et une rectification t. III, p. xvi. Sur la différence entre ce projet et celui de décembre 1792, voir ibid., t. III, p. xvI.

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(2) Le Comité d'instruction arrêta le 27 brumaire an II, le texte coordonné du projet Romme, et le 11 frimaire an II, le texte du projet Bouquier. Ils furent soumis à la Convention le 18 frimaire. GUILLAUME, Ouv. cité, t. III, pp. xvi et suiv.

(3) Sur l'application de la loi il faut consulter GUILLAUME, Procèsverbaux cités, t. IV, pp. XL et suiv. et BABEAU, L'école de village sous la Révolution, pp. 93-116. — Il va sans dire qu'à cette époque de discordes civiles aiguës, la nécessité de certificats de civisme et la surveillance de tous les citoyens, c'est-à-dire des sociétés popu. laires, n'étaient pas de nature à permettre une application impartiale et loyale du système de la liberté subsidiée.

(4) GUILLAUME, ouv. cité, t. III, pp. 56 et suiv.

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