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II. L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE SOUS LE Régime de la LOI
DU 3 BRUMAIRE AN IV.

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522. CARACTÈRE GÉNÉRAL. PAS D'OBLIGATION SCOLAIRE. Liberté d'enseignement. De même que la Convention avait élaboré la constitution de l'an III en s'inspirant des leçons de l'expérience, de même en réorganisant une dernière fois le régime de l'instruction publique elle tint compte avant tout des difficultés qu'avait soulevées l'exécution même des lois antérieures sur la matière. Le projet que Daunou lui présenta au nom de la Commission des onze (1) et du Comité d'instruction publique, sacrifiait définitivement ce que les combinaisons précédentes avaient présenté d'utopique pour l'époque.Les auteurs de la loi s'étaient en outre efforcés d'éviter les dangers que certains projets antérieurs avaient fait redouter. Talleyrand, disait Daunou, avait voulu centraliser l'instruction publique entre les mains de " bureaux ministériellement littéraires Condorcet instituait en quelque sorte une église académique „. Cependant les auteurs du projet nouveau avaient "trouvé du plaisir et de la gloire à s'emparer des richesses qu'avaient déjà répandues sur cette matière les hommes célèbres qui s'en étaient occupés... Nous n'avons laissé que Robespierre, qui nous a aussi entretenus d'instruction publique, et qui, jusque dans ce travail, a trouvé le secret d'imprimer le sceau de sa tyrannie stupide, par la disposition qui arrachait l'enfant des bras de son père, qui faisait une dure servitude du bienfait de l'éducation, et qui menaçait de la prison, de la mort, les parents qui auraient pu et voulu remplir eux-mêmes le plus doux devoir de la nature, la plus sainte fonction de la paternité. „ Caractérisant ensuite l'esprit général du projet qu'il était chargé de défendre et que la Convention vota sans discussion, Daunou continuait en ces termes : " Pour nous, nous avons cru devoir rechercher d'abord quelles étaient les limites naturelles de la loi dont nous avons à vous présenter le projet et nous avons aperçu ces limites dans les droits individuels que la

(1) Voir plus haut, no 1. On trouvera le rapport de Daunou dans HIPPEAU, ouv. cité, pp. 470 et suiv.

constitution nous ordonnait de respecter. Nous nous sommes dit liberté d'éducation domestique, liberté des établissements particuliers d'instruction. Nous avons ajouté : liberté des méthodes instructives, car dans l'art de cultiver les facultés de l'homme, il existe un nombre presque infini de détails secrets qui sont tout à fait inaccessibles à la loi...

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523. LES ÉCOLES OFFICIELLES. Le programme de l'enseignement primaire. La loi du 3 brumaire an IV, désirant sans doute faciliter l'établissement des écoles (le rapporteur ne s'explique pas sur la question), avait notablement réduit le programme de l'enseignement primaire." Dans chaque école primaire, disait l'art. 5 du titre I, on enseignera à lire, à écrire, à calculer et les éléments de la morale républicaine., Les filles devaient en outre être "formées aux travaux manuels de différentes espèces utiles et communes (1).

"

La morale que le gouvernement faisait enseigner dans les écoles publiques était une morale purement rationaliste. "Vous devez écarter de vos instructions, disait une circulaire du ministre de l'intérieur François (de Neufchâteau) adressée aux professeurs de l'enseignement moyen (2), tout ce qui appartient aux dogmes et aux rites des cultes ou sectes quelconques. La constitution les tolère sans doute, mais leur enseignement n'est pas l'enseignement public, et ne peut jamais l'être. La constitution est fondée sur les bases de la morale universelle c'est donc cette morale, de tous les temps, de tous les lieux, de toutes les religions, c'est cette loi gravée sur les tables du genre humain, qui doit être l'âme de vos leçons, l'objet de vos préceptes et le lien de vos études, comme elle fait le nœud de la société. „

524. Nombre et emplacement des écoles. Au lieu de fixer d'une façon précise, comme la loi du 27 brumaire an III, le nombre des écoles, la loi du 3 brumaire s'en référait sur ce

(1) Art. 2 d'une autre loi du 3 brumaire an IV (no 1203, dans le Bulletin des lois).

(2) Circulaire du 17 vendémiaire an VII aux professeurs des écoles centrales, publiée par extrait dans FLEURIGEON, Manuel adminis tratif, t. II, pp. 266 et suiv. Cfr. plus haut, no 468, in fine.

point aux autorités locales. "Il sera établi, disait l'art. 1 du titre I, dans chaque canton de la République une ou plu sieurs écoles primaires, dont les arrondissements seront déterminés par les administrations de département (1)., En se contentant par motifs d'économie d'une école par mille habitants, la loi précédente avait abouti à la suppression des trois quarts des écoles existantes et ce résultat avait soulevé de nombreuses protestations.

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Chaque école primaire, disait une autre loi du 3 brumaire an IV (2), sera divisée en deux sections, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles en conséquence, il y aura un instituteur et une institutrice. 19

525. Organisation administrative. Nomination des instituteurs, surveillance, etc. Les instituteurs étaient nommés par l'administration départementale, sur la présentation des municipalités. Les candidats étaient préalablement examinés par un jury d'instruction. Ils ne pouvaient être destitués que par le concours des mêmes administrations, de l'avis d'un jury d'instruction et après avoir été préalablement entendus.

Dans chaque département, il devait être établi un certain nombre de jurys d'instruction dont les membres, au nombre de trois, étaient nommés par l'administration du département (3). C'était cette administration également qui arrêtait, sous l'approbation du Directoire, les règlements relatifs au régime des écoles primaires. Ces règlements déterminaient les jours et heures de classe, les congés, l'âge d'admission des élèves, la discipline intérieure, etc. D'après le règlement des écoles primaires du département de la Dyle (4), la langue française seule pouvait y être enseignée. “Les dictées, disait

(1) Voir dans la Coll. HUYGHE, t. XVI, p. 360, l'arrêté de l'administration centrale du département de la Dyle, du 13 vendémiaire an VI, décrétant l'établissement de 220 écoles primaires dans le département et indiquant leur emplacement.

(2) No 1203, dans le Bulletin des lois.

(3) Voir, au sujet des jurys d'instruction du département de la Dyle, divers arrêtés dans la Coll. HUYGHE, t. XII, pp. 296, 318 et 362. (4) Voir ce règlement, en date du 14 floréal an VI, dans la Coll. HUYGUE, t. XVIII, p. 336.

l'art. 7, les exemplaires d'écriture ne pourront être rédigés en idiome flamand, ni extraits d'autres ouvrages que de ceux dont l'usage aura été approuvé pour les écoles primaires. Il ne pourra également y être fait de lecture que dans des ouvrages approuvés. „

La surveillance immédiate des écoles primaires était dévolue aux administrations municipales, qui devaient y maintenir l'exécution des lois et des arrêtés des administrations supérieures. D'après le règlement arrêté pour le département de la Dyle, les administrations municipales étaient “tenues de faire au moins deux fois par mois, et à des époques imprévues, la visite des écoles primaires de leur arrondissement (1).

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526. Traitement des instituteurs. Gratuité de la fréquentation. Au point de vue de la gratuité de l'accès aux écoles et du traitement des instituteurs, la loi du 3 brumaire an IV introduisait des réformes capitales, que l'on s'étonne à première vue de voir le rapport passer sous silence. Il aura sans doute paru trop dur au rapporteur de souligner le grave recul que ces réformes marquaient vis-à-vis des projets et des décrets antérieurs." Les instituteurs primaires, disait l'art. 8 du titre 1, recevront de chacun de leurs élèves une rétribution annuelle qui sera fixée par l'administration de département (2). L'administration municipale pourra, ajoutait l'art. 9, exempter de cette rétribution un quart des élèves de chaque école primaire, pour cause d'indigence.,, Il avait fallu supprimer la gratuité, parce que l'État se trouvait dans l'impossibilité de satisfaire aux charges financières que lui imposaient les traitements prévus par la loi du 27 brumaire an III (3).

La République ne garantissait plus aux instituteurs qu'un

(1) Art. 16 du règlement cité dans la note précédente.

(2) Le règlement de la Dyle (voir plus haut, p. 372, note 4), fixa cette rétribution à 2 francs par mois pour Bruxelles, à 1 franc pour Louvain, Tirlemont, etc., et à 75 ou 50 centimes pour les autres

communes.

(3) En assignats, sans doute, ces traitements n'imposaient pas une charge bien lourde, mais en brumaire an IV les assignats touchaient à leur fin. Voir plus haut, no 365.

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logement, avec le jardin y attenant ou une indemnité de logement, et une pension de retraite. Elle fournissait, en outre, le local d'école.

En vue de faciliter le recrutement du personnel enseignant, la loi permettait aux instituteurs de cumuler traitement et pensions. Il arriva souvent qu'on confia à l'instituteur les fonctions de secrétaire de la municipalité.

527. L'application de la loi. L'exécution de la loi du 3 brumaire an IV suscita, même dans les départements de l'ancienne France, beaucoup de difficultés. Les autorités locales eurent des peines infinies à se procurer des instituteurs capables et moraux. Une foule de communes restèrent privées de toute école. Quant aux écoles qu'il fut possible d'organiser, elles furent souvent peu fréquentées : les unes n'inspiraient pas confiance à la majorité des familles à cause de l'absence d'enseignement religieux, les autres parce que l'instituteur, compromis dans les discordes civiles, était en butte à l'hostilité d'une partie des habitants.

528. LES ÉCOLES PRIVÉES. Dans son texte, la loi du 3 brumaire an IV était muette au sujet des écoles privées. Mais le rapport de Daunou, nous l'avons dit, d'accord avec l'art. 300 de la constitution, proclamait de la façon la plus formelle leur droit à l'existence. Le peu de confiance qu'inspiraient les écoles officielles provoqua la création d'un grand nombre d'écoles privées, et les enfants en âge d'école s'y rendirent de préférence aux autres. Après le coup d'État de fructidor, le Directoire commença à se préoccuper de cette situation et à prendre des mesures pour enrayer ce mouvement." Les citoyens mariés, disait un arrêté du 27 brumaire an VI (17 novembre 1797), qui solliciteront une place de quelque nature qu'elle soit, militaire ou autre, seront tenus, s'ils ont des enfants en âge de fréquenter les écoles nationales, de joindre à leur pétition l'acte de naissance de ces enfants, et des certificats des dites écoles, (relatifs à leur assiduité à en fréquenter les leçons). Quelques mois plus tard, un arrêté

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