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chaque catégorie d'élèves, d'après leur avancement, se trouvait réduit au-dessous de ce qui eût été nécessaire.

543. L'ENSEIGNement secondaIRE LIBRE. Ce fut l'enseignement privé qui profita de ces divers défauts. Dans la plupart des départements, des maîtres particuliers, profitant de la liberté d'enseignement garantie par la constitution (1), ouvrirent des écoles, soit pour combler la lacune entre les écoles primaires et les écoles centrales, soit pour remplacer les anciens collèges. Et comme dans ces établissements privés l'enseignement religieux et moral correspondait le plus souvent aux vues des familles, celles-ci y envoyaient de préférence leurs enfants.

Après le 18 fructidor, le Directoire fit la guerre à ces institutions comme il l'avait faite aux écoles primaires libres. L'arrêté du 27 brumaire an VI, que nous avons signalé précédemment (2), décida que les citoyens non mariés et ne faisant pas partie de l'armée, qui désiraient obtenir une place quelconque dépendant du gouvernement ou un avancement dans leur carrière, devaient joindre à leur requête un certificat de fréquentation d'une des écoles centrales de la République." Dans un gouvernement républicain, disait une proclamation de l'administration municipale de Bruxelles, les amis de la République ont seuls droit aux emplois, et n'est pas ami de la République celui-là qui ne l'est point de ses institutions (3). „

Les établissements libres d'enseignement moyen furent, en outre, soumis à l'inspection tracassière des municipalités et tenus, comme les écoles primaires, libres de participer à la célébration des décadis (4). A la suite de ces mesures, des arrêtés de suppression frappèrent de divers côtés les établissements privés (5).

(1) Voir plus haut, no 488.

(2) Voir plus haut, no 528.

(8) Du 19 brumaire an VIII, dans la collection HUYGHE, t. XXIV, p. 410.

14) Arrêtés du 17 pluviôse an VI et lois du 17 thermidor et du 13 fructidor an VI. Voir plus bas, no 566.

(5) CHABOT et CHARLÉTY, ouv. cité, p. 47; ALLAIN, ouv. cité, p. 106; V. PIERRE, L'École sous la Révolution, Paris, 1881.- Voir aussi plus bas, no 545.

§ 3. L'opposition à la loi scolaire dans les

départements réunis (1)

544. LES ÉCOLES PRIMAIRES ET CENTRALES. La loi du 3 brumaire an IV fut publiée dans les départements belges au début de l'année 1797, en vertu d'un arrêté du Directoire en date du 7 pluviose an V (26 janvier), et les autorités se mirent aussitôt à l'œuvre pour en assurer l'exécution (2).

Les écoles centrales ne tardèrent pas à être organisées, mais, bien moins encore que dans le reste de la France, elles obtinrent la confiance des familles. Dans le département des Deux-Nèthes, en janvier 1798, l'école, au témoignage du commissaire du Directoire, ne comptait" pas dix élèves „. Le 20 vendémiaire an VII (10 octobre 1798), nouvelles plaintes du commissaire: " A Anvers, écrit-il, l'administration a le désagrément de voir l'école centrale déserte, et il n'y a guère de fréquentés que les cours de dessin; encore est-ce dans une école spéciale et parce que les professeurs sont indigènes., A Bruges, " on compte surtout à l'école centrale, écrit le commissaire le 25 messidor an VI, les fils de quelques militaires et de fonctionnaires publics „. A Bruxelles et à Namur, les commissaires du Directoire près le département constatent les mêmes résultats. "La cause en est, écrit le 2 vendémiaire an VII le commissaire près le département de Sambre-et-Meuse, dans l'éloignement des habitants pour les institutions républicaines.

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L'organisation des écoles primaires rencontra plus de

(1) D'après les comptes décadaires et autres rapports des commissaires du Directoire près les départements, que j'ai consultés aux Archives nationales, à Paris, et utilisés pour mon étude déjà citée sur l'Esprit public en Belgique pendant la domination fran çaise. Sur l'état de l'enseignement en Belgique avant la Révolution, voir JUSTE, Essai sur l'histoire de l'instruction publique en Belgique, Bruxelles, 1844, et MATTHIEU, Histoire de l'enseignement populaire en Hainaut, Mons, 1896.

(2) Sur le régime auquel furent soumis, avant la création des écoles centrales, les collèges dépendant des pouvoirs publics dans les départements réunis, voir un arrêté du département de la Dyle, dans la Coll. HUYGHE, t. VI, p. 218.

difficultés que celle des écoles centrales, parce qu'on ne pouvait se passer ici du concours des administrations municipales. Cette organisation éprouve "des retards désolants,, écrit le 25 messidor an VI le commissaire central du département de la Lys, retards qu'il faut attribuer "tant à l'indifférence qu'apportent plusieurs administrations municipales dans l'établissement de ces institutions qu'aux prétentions opiniâtres d'une foule d'anciens instituteurs fanatiques, qui sous prétexte qu'ils tiennent des écoles particulières non salariées continuent d'empoisonner l'esprit de leurs élèves de principes antirépublicains . D'ailleurs, là même où il n'y avait pas d'instituteurs" fanatiques, jouissant de la confiance des parents, les écoles primaires officielles n'avaient aucun succès: Les pères et mères laissent plutôt leurs enfants à l'abandon que de les envoyer dans les écoles de la République écrit le 27 nivôse an VI le commissaire des Deux-Nethes. Dans leur opposition aux écoles primaires, les masses populaires se montrèrent aussi persévérantes que les classes aisées dans leur hostilité aux écoles centrales. Au début du Consulat, Doulcet de Pontécoulant, nommé préfet de la Dyle quelques semaines après le 18 brumaire, décrivait comme suit la situation dans le département de la Dyle: "Les écoles primaires sont en général présidées par l'ignorance; beaucoup sont déshonorées par l'immoralité et la crapule, toutes sont environnées de préventions défavorables. Les écoles privées pourraient suppléer à la nullité des écoles primaires, mais la plupart sont dirigées par des catéchistes superstitieux, (1).

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Les commissaires du Directoire, dans l'exécution de la loi sur l'instruction publique, n'eurent pas seulement à combattre l'hostilité des administrations municipales et celle des parents, ils rencontrèrent d'autres obstacles dans l'ensemble de la population. Nombreux furent ceux qui se refusèrent à collaborer à l'exécution de la loi du 3 brumaire an IV. Il en résulta des difficultés très grandes pour la formation des jurys scolaires: "L'administration centrale, écrit le commissaire des Deux-Nèthes en messidor an VI, vient de nommer les jurys

(1) Rapport du 20 germinal an VIII (10 avril 1800).

pour l'établissement des écoles primaires. La plupart des citoyens nommés ont donné leur démission., Le recrutement des instituteurs n'était pas toujours facile non plus (1). Ces fonctionnaires étaient d'ailleurs mal vus des populations: "Parmi le petit nombre d'instituteurs nommés dans les campagnes jusqu'à ce moment, écrivait le commissaire de la Dyle le 30 décembre 1798, la plupart sont en fuite et personne ne se présente plus pour exercer ces fonctions.

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545. LES ÉCOLES PRIVÉES. A l'opposé des écoles officielles, les établissements privés, là où il avait pu s'en établir, recueillaient la grande majorité des enfants en âge d'école. Dans leurs rapports au pouvoir central, les commissaires du Directoire près les départements belges se plaisaient souvent à indiquer les remèdes qui pourraient être apportés à cette situation. Aux yeux du plus grand nombre, la contrainte est le seul remède efficace. "Pour faire fleurir nos écoles nationales, écrivait en nivôse an VI le commissaire des DeuxNèthes, il faut faire fermer toutes les écoles particulières et faire exécuter très strictement le sage arrêté du Directoire exécutif qui oblige les pères à envoyer leurs enfants aux écoles (2). "

La fermeture des écoles privées, c'est le but que tous les commissaires poursuivent. Mais ils ne sont pas d'accord sur les moyens à employer. Plusieurs préfèrent arriver indirectement au but, de manière à rester fidèles au texte de la constitution qui proclame la liberté d'enseignement. C'est l'avis du commissaire de la Lys qui proposait d'imposer aux instituteurs privés comme aux autres le serment de haine à la royauté. Je suis assuré, en effet, écrit-il le 29 thermidor an VI, qu'ils ne balanceraient pas entre la cessation de leurs fonctions et la prestation du serment de haine à la royauté.,, Ainsi les autorités constituées en seront“ débarrassées

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Mais la plupart se prononcent pour des mesures de coercition directe. "Il faudrait, écrivait le 9 nivôse an VII le

(1) Cfr. pour le département de la Dyle, la Coll. HAYEZ, t. VII, pp. 275,282,283, 286; Lanzac, ouv. cité, t. 1. p. 294.

(2) Voir plus haut, nos 528 et 543.

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commissaire de Sambre-et-Meuse, que le gouvernement obligeât les parents à envoyer leurs enfants aux écoles primaires. Mallarmé, de la Dyle, est sur ce point d'accord avec son collègue de Namur. Ce fut pour lui l'occasion d'un rapport véhément: " Tant que l'on tolérera d'autres écoles publiques, écrit-il, que celles primaires ou centrales, d'autres instituteurs ou institutrices que ceux ou celles choisis par l'administration, on n'aura ni écoles, ni écoliers, ni maîtres. Le fanatisme, les anciens préjugés exercent un empire si absolu sur les esprits qu'on ne peut pas s'attendre à voir fréquenter les écoles primaires sans d'autres mesures que celles qu'on a suivies jusqu'à présent. Pourquoi ne défendrait-on pas aux ex-moines, aux prêtres insermentés de remplir les fonctions d'instituteur? Pourquoi surtout ne prendrait-on pas la mesure suivante, de défendre que les fonctions d'instituteur ou institutrice soient exercées par d'autres que ceux admis par l'administration centrale ? N'en aurait-on pas le droit ?, Il démontre aussitôt que oui: "Si tous les citoyens pris individuellement font partie du souverain, les enfants de ces mêmes citoyens ne sont-ils pas la propriété la plus précieuse de la patrie et n'a-t-elle pas le droit d'indiquer exclusivement ceux qui dirigeront ces jeunes plantes?,, (1)

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Quant au Commissaire du département de Jemmapes, il ne se borne pas à disserter. sur les intérêts de ces jeunes plantes,, il passe des paroles aux actes (2). "J'ai fait fermer, écrit-il le 2 thermidor an VI, des maisons d'éducation particulières dont les professeurs n'enseignaient pas à leurs élèves les principes de la morale républicaine, et qui au contraire empoisonnaient leur cours des principes d'une intolérance monastique., De cette manière, il est parvenu à fournir quelques élèves aux écoles officielles: "Cette mesure a obtenu de très heureux effets. Elle a détruit l'influence de quelques magisters et obligé des pères de famille à confier l'éducation de leurs enfants à des instituteurs primaires.,

(1) Compte mensuel du 10 fructidor an VI (27 août 1798).

(2) Voir dans la Coll. HAYEZ, t. XI, p. 272, un arrêté ordonnant la fermeture d'une école privée à Louvain (14 prairial an VI). Cfr. DARIS, ouv."cité, t. III, p. 215.

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