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Le premier projet soumis à la Convention au nom du Comité d'instruction publique par Romme, le 20 décembre 1792 (1), s'inspirait, comme nous l'avons déjà dit, des vues de Condorcet et réclamait sous le nom de lycées la création d'universités proprement dites. "Les lycées, disait Romme dans son rapport, seront l'école des gens instruits; ils embrasseront les sciences, les arts et les lettres dans toute leur étendue. C'est de là que sortiront des ingénieurs, des médecins pour la France, des professeurs pour les différentes branches d'enseignement des instituts (2) et des hommes qui cultiveront la science par goût, en reculeront les bornes et en deviendront comme les conservateurs (3). „

550. Dans le vote improvisé du 15 septembre 1793 dont elle suspendit l'exécution dès le lendemain (4), la Convention s'était ralliée à cette conception large et élevée du rôle de l'enseignement supérieur (5). Ce fut cependant le système opposé, celui des écoles spéciales, qui prévalut définitivement. Déjà le plan présenté par Romme, le 1er octobre 1793 (6), au nom de la commission d'instruction, s'en rapprochait bien davantage que celui du 20 décembre 1792. Et dans la suite, la Convention qui, avant octobre 1793, avait déjà admis certaines applications isolées du système des écoles spéciales, ne fit que s'engager de plus en plus dans cette voie (7).

Le triomphe définitif du système des écoles spéciales paraît pouvoir être attribué à la circonstance que ceux d'entre

(1) Voir plus haut, no 506.

(2) Les établissements d'enseignement moyen du degré supérieur portaient dans le projet de Romme, comme dans celui de Condorcet, le nom d'instituts.

(3) Rapport de Romme dans GUILLAUME, ouv. cité, t. I, p. 212. (4) Voir plus haut, no 531.

(5) Voir le décret du 15 septembre dans GUILLAUME, ouv. cité, t. Il, pp. 409, 414 et suiv.

(6) Voir plus haut, nos 510 et 531.

(7) Je ne rappelle que pour mémoire la loi du 7 ventôse an III sur les écoles centrales: quoique présentées comme des établissements destinés à la science, les écoles centrales ne pouvaient être et ne furent dans la réalité que des écoles d'enseignement moyen. - Voir plus haut, no 533.

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les Conventionnels qui voulaient en principe abandonner à l'initiative privée l'organisation des degrés supérieurs de l'enseignement (1) admettaient cependant que l'État orga nisât certains établissements spéciaux destinés, notamment, aux professions indispensables à la vie sociale. C'est ainsi que le projet Lakanal du 27 juin 1793 prévoyait la conservation éventuelle des écoles militaires, des muséums, des observatoires (2); que Daunou, dans son Essai sur l'instruction publique, de juillet 1793 (3), admettait des écoles de santé, des écoles militaires, des écoles d'art social (pour les sciences juridiques et politiques), etc.; que le projet Bouquier du 18 frimaire an II et surtout celui du 24 germinal an II (4), tout en repoussant les écoles de droit, comme tendant à ressusciter la chicane et son cortège..., à créer une Sorbonne de légistes, dont les docteurs fourrés ou non fourrés parviendraient bientôt à substituer aux lois leurs opinions hétéroclites (5) „, admettaient des écoles de médecine, des écoles militaires, une école des ponts et chaussées, etc.

Ce fut par des applications isolées que l'organisation de l'enseignement supérieur sur la base d'écoles spéciales se fit admettre tout d'abord. Le 10 juin 1793, la Convention avait transformé l'ancien Jardin du Roi en Muséum d'histoire naturelle et elle en avait fait une grande école spéciale des sciences de la nature; le 29 septembre 1793, elle maintenait l'École de peinture et de sculpture du Louvre; le 21 ventôse an II (11 mars 1794), elle votait la création d'une école pour les travaux publics: organisé par le décret du 7 vendémiaire an III (28 septembre 1794) sous le nom d'École centrale des travaux publics, cet établissement porta, à partir du décret du 15 fructidor an III, le nom d'École polytechnique; le 19 vendémiaire an III (10 octobre 1794), la Convention créait le

(1) Voir plus haut, no 531.

(2) Voir les art. 46 et 47 de son projet, dans Guillaume, ouv. cité, t. Il, p. 512. Cfr. aussi ibid., l'exposé des motifs, pp. 570 et 577.

(3) Cet essai est reproduit dans GUILLAUME, ouv. cité, t. I, pp. 581 et suiv.

(4) GUILLAUME, ouv. cité, t. III, pp. 60 et 571. Voir plus haut, p. 364 note 2, nos 510 et 531.

(5) Rapport de Bouquier, dans GUILLAUME, ouv. cité, t. III,

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Conservatoire des Arts et Métiers que le rapporteur définissait un musée et une école pour l'industrie „; le 9 brumaire an III (30 octobre 1794), la Convention décidait la création des Ecoles normales, que nous avons déjà signalée; le 14 frimaire an III (4 décembre 1794), elle érigeait les Ecoles de santé de Paris, de Montpellier et de Strasbourg; le 10 germinal an III (30 mars 1795), c'était le tour de l'Ecole spéciale des langues orientales; le 7 messidor an III (24 juin 1795), elle créait le Bureau des Longitudes, où se donnaient des cours d'astronomie; le 25 messidor an III, enfin, l'Assemblée décrétait formellement le maintien du Collège de France; etc. (1).

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En organisant dans le décret du 3 brumaire an IV le degré supérieur de l'instruction sous la forme d'écoles spéciales,,, la Convention ne fit en définitive que généraliser le système dont elle avait déjà consacré à de fréquentes reprises des applications isolées.

II. L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR SOUS LE régime de la LOI
DU 3 BRUMAIRE AN IV.

551. PRINCIPES GÉNÉRAUX. La loi du 3 brumaire an IV se bornait à fixer les principes de l'organisation du haut enseignement. Elle renvoyait leur mise en œuvre à des lois particulières.

L'enseignement supérieur devait être réparti entre deux groupes d'établissements : les Écoles de service public et les Écoles spéciales.

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Daunou, le rapporteur de la loi du 3 brumaire, définissait comme suit les écoles spéciales: “ celles qui sont particulièrement consacrées à l'enseignement exclusif d'une science,

(1) D'autres établissements d'instruction encore, tels que les écoles vétérinaires, les écoles d'hydrographie, l'école de génie mili. taire (placée autrefois à Mézières et transportée provisoirement à Metz, en vertu du décret du 24 pluviose an II), le Conservatoire de musique, etc., furent maintenus, créés ou transformés par des décrets spéciaux. On en trouvera l'énumération dans GUILLAUME, ouv. cité, t. IV, pp. 164-169.

d'un art ou d'une profession, (1). D'après l'art. 1er du titre III de la loi, ces écoles devaient être consacrées à l'étude de l'un ou l'autre des objets suivants: 1° l'astronomie; 2o la géométrie, la mécanique ; 3° l'histoire naturelle; 4° la médecine; 5o l'art vétérinaire; 6° l'économie rurale; 7° les antiquités; 8° les sciences politiques; 9o la peinture, la sculpture et l'architecture; 10° la musique. “Il y aura de plus, disait l'art. 2 du même titre, des écoles pour les sourds-muets et pour les aveugles nés.

Le nombre et l'organisation de chacune de ces écoles devaient être déterminés par des lois particulières, sur le rapport du Comité d'instruction publique. "Le système des écoles spéciales, disait Daunou (2) pour justifier la combinaison adoptée, trop peu connu ou du moins trop peu pratiqué jusqu'ici, dirige plus immédiatement, plus activement les efforts de l'esprit vers des objets déterminés : il ranime sans cesse l'émulation, par le spectacle toujours utile d'un but toujours prochain; il écarte les séductions de la paresse, en retenant sous les yeux des élèves l'image du succès, de la réputation et de la fortune... Dans les écoles spéciales, les sciences seront plus raisonnablement et moins fanatiquement révérées. On ne leur érigera plus des autels; on appréciera leurs bienfaits. Ce n'est plus de la superstition qu'on aura pour elles, mais de la reconnaissance. Enfin, on ne peut pas calculer les heureux résultats d'un système qui doit tenir les sciences et les arts dans un perpétuel rapprochement, et les soumettre à une réaction habituellement réciproque de progrès et d'utilité. „

Quant aux écoles de service public, elles étaient définies par le décret du 30 vendémiaire an IV qui les organisait : "celles relatives aux différentes professions uniquement consacrées au service public, et qui exigent des connaissances particulières dans les sciences et les arts,.

552. LES ÉCOLES DE SERVICE PUBLIC. La loi du 30 vendémiaire an IV consacrait l'existence de neuf espèces d'écoles

(1) Le rapport de Daunou se trouve dans HIPPEAU, ouv. cité, t. I, pp. 470 et suiv.

(2) Rapport cité, dans HIPPEAU, ouv. cité, t. I, p. 480.

de service public et décrétait les règles générales de leur organisation. C'était d'abord l'Ecole polytechnique, établissement de haut enseignement dans toute la force du terme et qui ne devait pas tarder à devenir célèbre (1). Les élèves de cette école, après une, deux ou trois années d'études théoriques et scientifiques, se répartissaient ensuite, d'après la carrière qu'ils se proposaient d'embrasser, dans les diverses écoles d'application : les ingénieurs civils, à l'Ecole des ponts et chaussées; les élèves des mines, à l'Ecole des mines; les ingénieurs militaires, à l'Ecole du génie, à Metz; les constructeurs de vaisseaux, à l'Ecole des ingénieurs des vaisseaux; les jeunes gens se destinant à l'arme de l'artillerie, à l'Ecole d'artillerie de Châlons-sur-Marne; ceux, enfin, qui se destinaient au cadastre et aux administrations" qui avaient besoin de géographes,, à l'Ecole de géographes. Venaient, enfin, les écoles de marine et les écoles de navigation. Établies à Brest, Toulon et Rochefort, les écoles de marine étaient destinées à former les aspirants de la marine. Admis par voie de concours (2) et embarqués sur des corvettes d'instruc tion, les élèves s'y préparaient à subir les épreuves théoriques et pratiques qui ouvraient l'accès au grade d'enseigne de vaisseau (3). A la différence des écoles de marine, les écoles de navigation n'étaient pas une institution nouvelle : la loi du 3 brumaire an IV englobait sous ce nom les écoles de mathématiques et d'hydrographie destinées à la marine de l'Etat, et les écoles d'hydrographie destinées à la marine de commerce, que la Constituante avait établies dans une série de ports de France (4).

553. LES ÉCOLES SPÉCIALES. La loi du 3 brumaire s'était bornée, comme nous l'avons dit, à décréter le principe de l'organisation de l'enseignement supérieur sous la forme d'écoles spéciales, et avant de se séparer la Convention

(1) G. PINET, Histoire de l'École polytechnique, Paris, 1887.

(2) Loi des 30 juillet-4 août 1791, titre II, et loi du 30 vendémiaire an IV, titre X.

(3) Voir plus haut, no 415.

(4) Lois des 30 juillet-10 août 1791, des 20 septembre-14 octobre 1791.

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