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CHAPITRE II

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LE GOUVERNEMENT

662. Tandis que la constitution de l'an III confiait au Directoire le pouvoir exécutif,, celle de l'an VIII confiait aux Consuls "le gouvernement, (art. 39). C'était à dessein que l'expression le gouvernement avait été substituée à celle de pouvoir exécutif. L'expérience avait condamné la rigoureuse séparation des pouvoirs qui caractérisait le régime tombé le 19 brumaire (1), et montré la nécessité d'étendre les attributions de l'Exécutif. Appelés à partager avec le Tribunat et le Corps législatif l'exercice du pouvoir législatif, ayant seuls l'initiative des lois, les Consuls étaient bien autre chose qu'une simple autorité exécutive : ils étaient, dans toute la force du terme, chargés du gouvernement de la République.

Dans l'exercice de quelques-unes de leurs attributions, la constitution leur imposait l'intervention du Conseil d'Etat. D'autre part, l'art. 55 de la constitution disait : aucun acte du Gouvernement ne peut avoir d'effet s'il n'est signé par un ministre., Les Consuls, le Conseil d'Etat et les Ministres formaient ainsi les trois rouages fondamentaux du pouvoir central. Sauf la création du Conseil privé, il en fut encore ainsi après l'établissement du Consulat à vie. La proclamation de l'Empire entraîna des modifications plus importantes.

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663. LES TROIS CONSULS. Tout en confiant le gouvernement de la République à trois Consuls, la constitution ne leur attribuait pas des pouvoirs identiques. " Chacun d'eux, disait

(1) Voir plus haut, nes 6, 35, 37, 40, 59, 60, etc.

l'art. 39, est élu individuellement, avec la qualité distincte ou de premier, ou de second ou de troisième Consul. Le premier Consul, ajoutait l'art. 40, a des fonctions et des attributions particulières,, et l'art. 41 les énumérait. “ Dans les autres actes du Gouvernement, disait l'art. 42, le second et le troisième Consuls ont voix consultative: ils signent le registre de ces actes pour constater leur présence; et, s'ils le veulent, ils y consignent leurs opinions; après quoi, la décision du premier Consul suffit.,, "Par ces huit mots, écrit M. Vandal, le destin de la France s'accomplissait, l'unité de décision rentrait dans le Gouvernement après dix ans d'éclipse. On sauvait pourtant les apparences, on masquait encore la réalité, on sacrifiait pour la forme à l'une des idées fausses sur lesquelles la Révolution vivait, celle qui faisait consister la République dans la pluralité des chefs de l'Etat. Comme les arrêtés gouvernementaux seraient pris en séance consulaire et porteraient une triple signature, ils paraîtraient l'œuvre d'une collectivité, alors qu'en fait ils émaneraient d'un homme „ (1).

664. ÉLECTION DES CONSULS. L'art. 20 de la constitution attribuait au Sénat la nomination des Consuls.

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Mais ce mode de nomination ne fut pas suivi pour la première formation du Consulat, en l'an VIII. Les Consuls furent alors nommés par la constitution elle-même. La constitution, disait l'art. 39, nomme PREMIER CONSUL le citoyen Bonaparte, ex-consul provisoire; SECOND CONSUL, le citoyen Cambacérès, ex-ministre de la justice; et TROISIÈME CONSul, le citoyen Lebrun, ex-membre de la Commission des Anciens. C'était Bonaparte lui-même qui avait choisi ses collègues. Il était resté étranger, nous l'avons dit (2), à la formation du Corps législatif, du Tribunat et du Sénat, mais au sein des Commissions législatives tout le monde s'était accordé pour lui abandonner le choix du deuxième et du troisième Consuls. "Il parut à Bonaparte, dit M.Vandal, que Cambacérès et Lebrun, par le contraste même de leur passé

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(1) VANDAL, L'avènement de Bonaparte, t. I, p. 514. (2) Voir plus haut, nos 615, 630 et 648.

et de leurs tendances, se compléteraient l'un l'autre. Cambacérès avait marqué dans le vif de la Révolution et donné des gages." Il avait, en effet, voté la mort de Louis XVI, mais avec la restriction qu'il fallait examiner s'il n'y avait pas lieu de surseoir à l'exécution." Lebrun, continue M. Vandal, passait pour avoir conservé des préférences et surtout des attaches royalistes. Dans le gouvernement consulaire, il serait bon de placer, à côté d'un républicain assagi, un royaliste rallié. Par Lebrun, qui formerait son aile droite, et Cambacérès, qui formerait son aile gauche, Bonaparte se donnerait prise sur les deux moitiés de l'opinion; il lui serait plus facile de les attirer à soi dans un grand mouvement d'absorption, (1).

665. ÉLIGIBILITÉ. La constitution n'établissait, dans le chef des citoyens français, d'autre condition spéciale d'éligi. bilité aux fonctions consulaires que l'inscription sur la liste de notabilité nationale (art. 20) (2). Mais les sénateurs étant constitutionnellement et à jamais inéligibles à toute autre fonction (art. 18, C. VIII), le Sénat n'aurait pu élire au Consulat un de ses membres.

666. RENOUVELLEMENT. En principe les Consuls étaient nommés pour dix ans et indéfiniment rééligibles, mais " pour cette fois, disait l'art. 39 de la constitution, le troisième Consul n'est nommé que pour cinq ans „.

667. FONCTIONNEMENT. Au point de vue du fonctionnement du Gouvernement, il y avait lieu de distinguer les attributions propres au premier Consul et celles qui appartenaient aux Consuls réunis.

Les Consuls exerçaient en conseil les attributions qui n'étaient pas particulières au premier Consul. Mais dans ce conseil le second et le troisième Consuls n'avaient, comme nous l'avons dit, que voix consultative.

(1) VANDAL, ouv. cité, p. 519. (2) Voir plus haut, no 610.

Un secrétaire d'Etat tenait le procès-verbal des séances (1). Le second et le troisième Consuls signaient le registre des actes du Gouvernement pour constater leur présence; s'ils le voulaient, ils pouvaient y consigner leurs opinions (art. 42, C. VIII) (2).

Quand il y avait lieu, le premier Consul était momentané. ment suppléé dans ses fonctions et attributions particulières par un de ses collègues (3).

668. PREROGATIVES. TRAITEMENT. IMMUNITÉS. Les Consuls étaient logés aux frais de la République et dans un même édifice. Le palais des Tuileries fut mis à leur disposition par la loi du 3 nivôse an VIII.

"Le traitement du premier Consul, disait l'art. 43 de la constitution, sera de cinq cent mille francs en l'an VIII. Le traitement de chacun des deux autres Consuls est égal aux trois dixièmes de celui du premier., Il s'élevait donc à 150.000 frs.

La loi du 3 nivôse mit à la disposition des Consuls la "garde actuelle du Corps législatif,, c'est-à-dire celle qui était à la disposition des Cinq-Cents et des Anciens (4). Les Consuls devaient fournir, en vertu de la même loi, une simple garde d'honneur au Sénat conservateur, au Corps législatif et au Tribunat (5).

669. Responsabilité. La constitution, dans son art. 69, disait en termes formels que les fonctions des Consuls ne

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(1) Arrêté du 4 nivôse an VIII nommant secrétaire d'Etat, Maret le futur duc de Bassano. Déjà sous le Consulat provisoire, Maret, par un arrêté du 20 brumaire an VIII, avait été nommé secrétaire général du Consulat „. Cfr. ERNOUF, Maret duc de Bassano, Paris, 1884.

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(2) M. AULARD a publié le Registre des délibérations du Consulat provisoire (20 brumaire-3 nivôse an VIII), Paris, 1894. Quant au registre des délibérations du Consulat décennal, il n'a pas encore été publié : on peut le consulter aux Archives nationales, AF.IV*, 4-15. (3) Voir dans la Révolution française, t. XLIII, 1902, p. 528, l'article de M. P. M., Cambacérès, son rôle comme remplaçant de Bonaparte.

(4) Voir plus haut, no 30.

(5) Voir plus haut, nos 619, 634 et 652.

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donnaient lieu à aucune responsabilité „. Elle ne s'occupait pas des infractions que les Consuls pouvaient commettre en dehors de l'exercice de leurs fonctions.

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670. La constitution de l'an VIII déléguait aux Consuls : 1o une part importante dans l'exercice du pouvoir législatif. Le Gouvernement formait l'une des branches de ce pouvoir. Seul il avait l'initiative des lois, et si la constitution ne lui accordait pas le droit de sanction, c'est que cette prérogative eût été sans objet, les autres branches du pouvoir législatif ne jouissant à l'égard des propositions du Gouvernement d'aucun droit d'amendement le Corps législatif devait les admettre ou les rejeter en bloc; le Gouvernement pouvait même retirer ses projets en tout état de la discussion (art. 25, 26 et 34, C.VIII). 2o Le Gouvernement avait une part importante dans ce que nous avons appelé le pouvoir de la bourse, puisque les recettes et les dépenses de l'Etat devaient, aux termes de l'art. 45 de la constitution, faire l'objet d'une loi annuelle, dont le Gouvernement avait seul l'initiative et que les autres branches du pouvoir législatif ne pouvaient amender. Le règlement des comptes n'appartenait ni au pouvoir législatif ni au Gouvernement, mais à une commission de comptabilité nommée par le Sénat (art. 89, C. VIII). 3° La constitution de l'an VIII déléguait au Gouvernement le pouvoir exécutif tout entier, sans les restrictions dont celle de l'an III avait entouré, en matière financière, l'action du Directoire (art. 44, 45, 54, 56, C. VIII) (1). 4° La constitution attribuait au premier Consul d'importants pouvoirs de nomination dans l'ordre judiciaire. Elle conférait à un Conseil d'Etat, placé “sous la direction des Consuls la fonction de "résoudre les difficultés qui s'élevaient en matière administrative,. Et cette prérogative fut interprétée comme attribuant au Gouvernement le droit de statuer en ce Conseil sur le contentieux administratif et sur les conflits d'attribution (art. 41, 52). 5o La constitution confiait aux Consuls la direction des relations extérieures.

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(1) Voir plus haut, nos 50 et 369-371.

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