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703. Responsabilité pénale. Le principe de la responsabilité pénale des ministres était nettement formulé dans la constitution de l'an VIII. Il y formait la contre-partie de l'irresponsabilité des Consuls et plus tard de l'empereur." Si la loi politique, écrivait Bonnin en 1812, a rendu le prince inattaquable en matière de gouvernement, elle n'a pas voulu laisser pour cela les personnes et les propriétés sans garantie contre les actes qu'il peut faire. En supposant toujours dans le prince de bonnes intentions, elle a laissé à l'État un moyen de faire cesser les abus de pouvoir, les vexations qui pourraient en résulter, en rendant les ministres responsables des actes qu'il fait, puisque les ministres sont les agents du prince, agents avec lesquels il gouverne. Obligé de voir par eux, il n'agit que d'après leurs rapports, et le plus souvent que d'après leurs vues ; et s'il agit mal, ce sont eux qui sont réellement coupables: aussi ce sont eux qui sont responsables. Le prince est bien l'âme qui leur donne le mouvement, mais aussi il reçoit d'eux les documents nécescessaires pour connaître et pour apprécier les besoins de l'État. Les fausses directions qu'il peut prendre et recevoir, les excès de pouvoir qu'il peut commettre, sont des fautes ou des crimes qui sont considérés leur être alors personnels,, (1).

L'art. 72 de la constitution précisait comme suit les cas de responsabilité: "Les ministres sont responsables: 1o de tout acte du Gouvernement signé par eux, et déclaré inconstitu tionnel par le Sénat; 2o de l'inexécution des lois et des règlements d'administration publique ; 3o des ordres particuliers qu'ils ont donnés, si ces ordres sont contraires à la constitution, aux lois et aux règlements.,

La poursuite, l'instruction et le jugement des cas de responsabilité étaient soumis à des règles de procédure particulières que l'art. 73 de la constitution formulait comme suit: “Dans les cas de l'article précédent, le Tribunat dénonce le ministre par un acte sur lequel le Corps législatif délibère dans les formes ordinaires, après avoir entendu ou appelé le dénoncé. Le ministre mis en jugement par un décret du Corps

(1) Principes d'administration publique cités, t. I, p. 145.

législatif, est jugé par une Haute Cour sans appel et sans recours en cassation. 19

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Les délits privés des ministres, c'est-à-dire ceux étrangers à leurs fonctions, étaient au contraire soumis aux règles du droit commun, sauf que la poursuite même était subordonnée à l'autorisation du Conseil d'État. Les ministres, disait l'art. 71 de la constitution de l'an VIII, prévenus de délits privés, emportant peine afflictive ou infamante, sont considérés comme membres du Conseil d'État. „ Il fallait dès lors . pour les poursuivre l'autorisation de ce Corps (1).

II. LES ATTRIBUTIONS DES MINISTRES

704. NOTION GÉNÉRALE. La constitution de l'an VIII conservait aux ministres leur caractère général d'agents à la fois principaux et nécessaires du Gouvernement pour l'exécution des lois et l'administration des intérêts généraux. Les ministres, disait l'art. 54, procurent l'exécution des lois et des règlements d'administration publique. Aucun acte du Gouvernement, ajoutait l'art. 55, ne peut avoir d'effet s'il n'est signé par un ministre.

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Il convient de rappeler ici cependant que par l'arrêté organique du Conseil d'État (2), le Gouvernement avait enlevé aux ministres, mais quant à l'instruction seulement, " diverses parties d'administration, pour les attribuer à des conseillers d'État (art. 7). Plus tard, l'administration de certains services publics fut même entièrement confiée à des conseillers d'État : les cultes, par exemple (3).

705. DROITS DE NOMINATION. Sous le Consulat et plus tard sous l'Empire, l'intervention des ministres dans la nomination des autorités publiques inférieures et des fonctionnaires de toutes catégories prit une grande extension. C'est que les droits de nomination du Gouvernement s'étaient eux-mêmes considérablement accrus, comme nous avons déjà eu l'occa

(1) Cfr. plus haut, no 693.

(2) Voir plus haut, no 693, et plus bas, nos 708 et suiv. (3) Arrêté du 15 vendémiaire an X.

sion de le dire (1). Or, c'était généralement sur la proposition même des ministres que le Gouvernement exerçait ses prérogatives à cet égard. Quant aux droits de nomination qui appartenaient directement aux ministres, ils furent eux aussi étendus par des lois particulières, ou en vertu d'arrêtés du Gouvernement.

706. POUVOIRS DE DIRECTION ET DE CONTRÔLE. ContenTIEUX, ETC. La constitution de l'an VIII maintenait au profit des ministres leurs pouvoirs traditionnels de direction immédiate et de contrôle à l'égard des autorités locales." Les administrations locales, disait l'art. 59, établies soit pour chaque arrondissement communal, soit pour des fractions plus étendues du territoire, sont subordonnées aux ministres (2). En matière de contentieux administratif, les ministres conservérent également dans une large mesure leurs attributions antérieures, mais leurs décisions pouvaient être déférées au Conseil d'Etat (3).

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707. DE L'Exercice de LEURS FONCTIONS PAR LES MINISTRES.

Ce ne fut pas seulement la création d'un Conseil d'État qui avait eu pour effet d'amoindrir le rôle des ministres (4), ce fut encore l'institution des conseils d'administration établie par un arrêté des Consuls en date du 12 nivôse an VIII (5). "Le primidi de chaque décade, disait l'art. 1 de cet arrêté, il se tiendra un conseil général des finances; le quartidi, un conseil d'administration de la guerre; le sextidi, un conseil d'administration de la marine. Il y aura, ajoutait l'art. 2, le 8 de chaque mois, un conseil d'administration de la justice; le 18, un conseil d'administration des relations extérieures, et le 28, un conseil d'administration de l'intérieur et de la

(1) Voir plus haut, no 676.

(2) Voir au sujet de cet art. 59 l'observation faite plus haut, no 678. (3) Voir plus haut, no 697.— Sur les actes de gestion et le pouvoir réglementaire des ministres, voir plus haut, nos 79 et 80.

(4) Voir plus haut, no 699.

(5) Cet arrêté est reproduit dans la Correspondance de Napoléon Ier, Paris, 1860, t. VI, p. 75.

police générale.,, Les ministres devaient se faire accompagner pour les conseils d'administration, par les premiers. commis chargés de leur comptabilité, et par les chefs de division de leur département, lorsqu'ils avaient été désignés à cet effet. La veille des jours assignés à chacun de ces conseils, le secrétaire d'État prenait les ordres des Consuls pour la convocation des conseillers d'État qu'il serait jugé nécessaire d'y appeler. "Ces divers conseils, disait l'art. final de l'arrêté, se tiendront chez le premier Consul, à neuf heures et demie du soir. „

$ 4. Les conseillers d'État

chargés de diverses parties d'administration

:

708. "Cinq conseillers d'État, disait l'art. 7 de l'arrêté du 5 nivôse an VIII organique du Conseil d'Etat, sont spécialement chargés de diverses parties d'administration, quant à l'instruction seulement ils en suivent seulement les détails, signent la correspondance, reçoivent et appellent toutes les informations, et portent aux ministres les propositions de la décision que ceux-ci soumettent aux Consuls. Les parties d'administration qui furent ainsi partiellement détachées des attributions ministérielles étaient les bois et forêts et anciens domaines; les domaines nationaux; les ponts et chaussées, canaux de navigation et cadastre; les sciences et les arts; les colonies.

Ce système reçut en l'an X une nouvelle extension (1). Un arrêté des Consuls du 17 ventôse an X, attacha deux conseillers d'État au ministère de l'intérieur et décida que l'un deux aurait sous sa direction tout ce qui concernait l'instruction publique, l'autre tout ce qui concernait l'établissement et la perception des octrois, l'administration des communes, le budget de leurs recettes et de leurs dépenses et la régularisation de leur comptabilité. Les bureaux nécessaires aux attributions de ces conseillers étaient placés sous leur surveillance et leur direction immédiate.

(1) Cfr. plus haut, nos 699 et 704, in fine.

709. L'attribution à des conseillers d'Etat de parties d'administration générale ne fut pas sans donner lieu à des tiraillements entre ces fonctionnaires et les chefs des départements ministériels. "Il y avait depuis longtemps, écrit Thibaudeau (1), une guerre déclarée entre Roederer et Chaptal. Le conseiller d'État chargé de l'instruction publique appartenait au ministère de l'intérieur, ne voulait pas cependant travailler avec le ministre et prétendait n'avoir de rapports qu'avec le premier Consul. Lorsque Bonaparte demandait à Chaptal des renseignements sur l'instruction publique, celui-ci répondait: "Adressez-vous au citoyen "Roederer, il ne me rend aucun compte „. Bonaparte se fachait alors contre Roederer... Cependant le premier Consul fatigué de ces tiraillements et au fond attaché à Roederer chargea le Consul Lebrun de le réconcilier avec Chaptal... Roederer persista à dire que comme conseiller d'État chargé de l'instruction publique, il ne voulait pas consentir à travailler avec le ministre, qu'il y travaillerait comme membre d'un conseil (2) si l'on voulait en créer un pour cette partie de l'administration. Chaptal consentit à cet arrangement. „

710. Les conseillers d'État chargés d'une partie d'administration n'avaient pas voix délibérative au Conseil d'État dans les affaires contentieuses touchant à leur administration (3).

711. Le Gouvernement chargeait quelquefois aussi les conseillers d'Etat de missions dans les départements. C'est ainsi qu'au début de l'an IX, une enquête générale ayant été ordonnée sur la situation de la France, un certain nombre de conseillers d'État furent chargés de présider à cette enquête et de parcourir à cet effet les divisions militaires entre lesquelles était parlagé le territoire de la République (4).

(1) Mémoires sur le Consulat, pp. 330-332.

(2) Voir plus haut, n° 707.

(3) Art. 12 de l'arrêté organique du Conseil d'Etat, en date du 5 nivôse an VIII.

(4) Une partie de leurs rapports a été publiée par F. ROCQUAIN, L'état de la France au 18 brumaire d'après les rapports des con

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