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§ 5. Les conseils de prud'hommes

950. ORGANISATION. Une loi du 18 mars 1806 avait décidé l'établissement à Lyon d'un conseil de prud'hommes dont elle réglait la composition et les fonctions. Le mode de nomination des membres du conseil devait être fixé par un règlement d'administration publique (1). La loi permettait, en outre,au Gouvernement d'établir un conseil de prud'hommes dans d'autres villes de fabrique, s'il le jugeait convenable : la composition de ces conseils pouvait être différente selon les lieux, mais leurs attributions devaient être les mêmes (2). Le 11 juin 1809, le Gouvernement décréta sur le mode de nomination des conseils, un règlement général qui précisait en même temps les détails d'exécution de la loi organique. Un avis du Conseil d'Etat en date du 20 février 1810 donna une nouvelle rédaction à ce règlement.

Comme beaucoup de règlements de l'époque (3), ce règlement avait déjà empiété sur les attributions du pouvoir législatif. Des empiètements plus importants résultèrent des décrets du 3 août et du 5 septembre 1810 qui vinrent préciser à plusieurs égards et étendre à d'autres les pouvoirs de juridiction des conseils de prud'hommes.

951. Il ne fut établi dans les départements belges sous l'Empire que deux conseils de prud'hommes: celui de Gand érigé par un décret du 28 août 1810, et celui de Bruges érigé par un décret du 1er mars 1813. Leur ressort coïncidait avec celui du tribunal de commerce des mêmes villes (4).

(1) Voir le décret du 3 juillet 1806 portant règlement sur le mode de nomination des membres destinés à composer le conseil de prud'hommes de la ville de Lyon. Ce règlement fut modifié par un décret du 8 novembre 1810.

(2) Cfr. les décrets du 20 juin (Rouen) et du 27 septembre 1807 (Nimes), du 2 février (Avignon) et du 1er avril 1808 (Aix-la-Chapelle), du 7 août 1810 (Roubaix), etc. Bulletin des lois et Coll. HUYGHE, t. V, VI, VII, XJ, etc.

(3) Voir plus haut, no 827.

(4) Coll. HUYGHE, t. XI, p. 24, et t. XVII, p. 56.

952. Composition. Les conseils de prud'hommes se composaient de cinq à quinze membres dont les uns devaient être pris parmi les marchands-fabricants et les autres " parmi les chefs d'atelier, contre-maîtres ou principaux ouvriers.. C'était une des prescriptions formelles de la loi du 18 mars 1806 que la majorité des membres appartînt au groupe patronal. “ Afin de remplacer, disait l'art. 18 du décret du 11 juin 1809, les prud'hommes qui viendraient à mourir ou à donner leur démission pendant l'exercice de leurs fonctions, il sera nommé deux suppléants, l'un d'eux devait être choisi parmi les patrons, l'autre parmi les ouvriers.

Le conseil choisissait, tous les ans, un président et un vice-président. Un secrétaire, nommé à la majorité absolue et révoqué à la majorité des deux tiers par les membres du conseil, devait avoir soin des papiers et tenir la plume. pendant les séances, (1).

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953. Fonctionnement. Dans l'exercice de leurs attributions, les conseils de prud'hommes siégeaient tantôt en bureau particulier, tantôt en bureau général. Le bureau particulier se composait de deux membres, un patron et un ouvrier. Le bureau général, dont tous les membres faisaient partie, ne pouvait prendre de délibérations que dans une séance où les deux tiers au moins de ses membres se trouvaient présents (2).

954. Traitement. Les fonctions des prud'hommes patrons étaient, aux termes de l'art. 30 de la loi du 18 mars 1806, purement gratuites. La loi organique et les décrets d'exécution ne s'expliquaient pas sur l'indemnité qui aurait pu être allouée aux prud'hommes ouvriers.

955. NOMINATION. Les prud'hommes étaient nommés par élection, dans une assemblée générale des patrons et ouvriers, présidée par le préfet ou par un fonctionnaire désigué

(1) Art. 25 du règlement général du 11 juin 1809 (rédaction du 20 février 1810).

(2) Sur la procédure, voir le règlement du 11 juin 1809, rédaction du 20 février 1810.

par lui. Pour pouvoir faire partie de l'assemblée électorale, les patrons devaient exercer depuis six ans dans leur état. Les faillis étaient exclus. Quant aux ouvriers, ils ne faisaient. partie de l'assemblée électorale que s'ils avaient, depuis six ans, la qualité de contre-maîtres, chefs d'atelier ou principaux ouvriers, s'ils savaient lire et écrire et s'ils n'étaient pas "rétentionnaires de matières données à employer par les ouvriers „,.

Pour la première année de la création du conseil, la liste des votants devait être dressée par les maires. Dans la suite, on ne devait être admis à voter que si l'on s'était fait inscrire sur un registre ad hoc ouvert à l'hôtel de ville. Nul ne pouvait être inscrit que sur la présentation de sa patente. Les réclamations sur le droit d'assistance à l'assemblée étaient tranchées par le préfet avec recours au Conseil d'Etat.

L'élection avait lieu au scrutin individuel, à la majorité absolue des suffrages.

956. Éligibilité. Pour pouvoir être élu prud'homme, il fallait réunir les conditions requises pour être admis dans l'assemblée électorale et être âgé de 30 ans. Indépendamment de ces conditions générales, les membres du conseil devaient appartenir à l'une ou l'autre des professions prévues par les décrets d'érection. C'est ainsi que des neuf membres du conseil de prud'hommes de Bruges, quatre devaient appar. tenir à l'industrie de la fabrication d'étoffes de laine, trois à à la fabrication des toiles de lin, et deux à diverses autres industries.

Le mandat des prud'hommes avait une durée de trois ans. Ils se renouvelaient par tiers tous les ans.

957. ATTRIBUTIONS. Les conseils de prud'hommes avaient des attributions variées. Les unes avaient un caractère purement administratif et se rattachaient à l'exécution des lois et règlements relatifs à la police de l'industrie. Nous n'avons pas à y insister. Les autres avaient un caractère judiciaire. Comme autorités judiciaires (1), les conseils de prud'

(1) Voir la loi du 18 mars 1806, art. 6 et suiv., et le décret du 3 août 1810.

hommes étaient d'abord institués 66 pour terminer, disait l'art. 6 de la loi du 18 mars 1806, par la voie de conciliation, les petits différends qui s'élèvent journellement soit entre des fabricants et des ouvriers, soit entre des chefs d'atelier et des compagnons ou apprentis A cet effet, le bureau particulier, composé d'un patron et d'un ouvrier, tenait tous les jours une séance.

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958. Si le bureau particulier n'était pas parvenu à concilier les parties, il les renvoyait devant le bureau général. Celui-ci, en vertu du décret du 3 août 1810, tranchait la contestation, quelle que fût la quotité de la somme dont elle était l'objet. En vertu de la loi originaire, le conseil n'aurait pu trancher les contestations que lorsque la demande ne dépassait pas la somme de soixante francs.

Les jugements des prud'hommes étaient définitifs et sans appel, si la condamnation n'excédait pas cent francs en capital et accessoires. Au-dessus de cent francs, les décisions étaient sujettes à l'appel devant le tribunal de commerce, et, à défaut de tribunal de commerce, devant le tribunal civil de première instance.

959. Les conseils de prud'hommes avaient également une juridiction disciplinaire, que le décret du 3 août 1810 réglait comme suit: "Tout délit, disait l'art. 4, tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier, tout manquement grave des apprentis envers leurs maîtres pourront être punis par les prud'hommes d'un emprisonnement qui n'excédera pas trois jours, sans préjudice de l'exécution de l'art. 19, titre V de la loi du 22 germinal an XI (1) et de la concurrence des officiers de police et des tribunaux. „

$6. Les avocats et les officiers ministériels (2)

960. Parallèlement aux réformes introduites dans l'organisation judiciaire, le Consulat et l'Empire donnèrent une

(1) Voir plus bas, no 985.

(2) HIVER, ouv. cité, pp. 539 et suiv.; DUCHAINE et PICARD, Manuel pratique de la profession d'avocat en Belgique, Bruxelles, 1869;

organisation nouvelle à la défense devant les tribunaux ainsi qu'aux officiers ministériels. La loi du 27 ventôse an VIII rétablit les avoués; celle du 25 ventose an XI réorganisa le notariat; celle du 22 ventôse an XII rétablit l'ordre des avocats; des dispositions diverses enfin s'occupèrent des huissiers.

961. LES AVOCATS. Lors de la discussion au Tribunat de la loi du 27 ventôse an VIII, un membre de cette assemblée avait demandé pourquoi cette loi, muette sur le rétablissement du barreau, ne donnait pas au moins l'espoir de son rétablissement prochain: " Cet antique barreau, disait-il (1), dont les débris sont maintenant dispersés, qui les réunira? Dans quelle perspective le montrera-t-on à la jeunesse ardente et pleine d'émulation? Y entrera-t-elle sans épreuves, sans stage, sans les règles de cette discipline sévère qui fit du barreau un exemple vivant de délicatesse et de talent? Il fut satisfait à ce vœu par la loi du 22 ventôse an XII sur les écoles de droit. Aux termes des art. 24, 29, 31 et 38 de cette loi, nul ne pouvait, à partir du 1er vendémiaire an XVII, exercer les fonctions d'avocat près les tribunaux sans avoir justifié du diplôme de licencié en droit. Avant d'entrer en fonctions, les avocats devaient prêter le serment de ne rien dire ou publier, comme défenseurs ou conseils, de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l'État et à la paix publique, et de ne jamais s'écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques. Un tableau des avocats devait être dressé, et un règlement d'administration publique devait déterminer la formation de ce tableau et la discipline du barreau.

962. Ce règlement fut seulement décrété le 14 décem bre 1810. Le préambule du décret motivait dans les termes suivants le rétablissement de l'ordre : " Lorsque nous nous occupions, disait-il, de l'organisation de l'ordre judiciaire et des moyens d'assurer à nos cours la haute considération qui

DUVIVIER, Le rétablissement de l'ordre des avocats sous Napoléon I, dans la Belgique judiciaire, t. XL (1882), p. 1, etc.

(1) Cité par HIVER, ouv. cité, d'après le Moniteur, p. 754.

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