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faits, comme le moyen approprié pour maintenir la confiance entre les divers organes de la souveraineté nationale (1).

72. Les changements ministériels furent assez fréquents à l'époque directoriale (2). Quelques-uns n'eurent aucun caractère politique; il en fut autrement de ceux qui précédèrent le coup d'État de fructidor et de ceux qui suivirent celui de prairial. La politique triomphante voulut s'assurer dans les ministères de dociles instruments pour faire prévaloir ses vues; elle imposa aux ministres en qui elle n'avait pas confiance, leur démission (3).

73. Responsabilité pénale. De nombreux textes consacraient le principe de la responsabilité pénale des ministres, aussi bien pour faits de leurs fonctions que pour infractions de droit commun. Ceux qui s'occupaient de la responsabilité des ministres dans l'exercice de leurs fonctions appartenaient les uns à la constitution même, les autres à la loi organique des ministères (4).

"Les ministres sont respectivement responsables, disait l'art. 152 de la constitution, tant de l'inexécution des lois que de l'inexécution des arrêtés du Directoire.

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"Les ministres, disait de son côté la loi du 10 vendémiaire an IV, sont responsables: 1o de tous délits par eux commis contre la sûreté générale et la constitution; 2o de tout attentat à la liberté et à la propriété individuelle ; 3° de tout emploi de fonds publics sans un décret du Corps législatif et une décision du Directoire exécutif, et de toutes dissipations de deniers publics qu'ils auraient faites ou favorisées.,,

Pour la qualification de ces divers délits et pour les peines à y appliquer, la loi organique des ministères renvoyait au Code pénal (5).

(1) Mémoires de BARRAS, t. II et t. III, passim, spécialement t. II, pp. 438-439, 443, 471, 474, et t. III, pp. 156 et 474.

(2) Cfr. AULARD, Histoire politique, p. 603, et Mémoires de BARRAS, t. III, p. XXI.

(3) Mémoires de BARRAS, t. II, pp. 471, 475; t. III, pp. 156, 474.

(4) Loi du 10 vendémiaire an IV.

(5) Voir le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV, art. 618 et suiv. et 640.

Aucun ministre en fonctions ou hors de fonctions, ajoutait l'art. 12 de la loi organique, ne peut pour fait de son administration être traduit en justice, en matière criminelle, que sur la dénonciation du Directoire exécutif. A part la nécessité de cette dénonciation, les ministres étaient soumis aux règles ordinaires, tant au point de vue de la poursuite de leurs délits que de la juridiction appelée à en connaître. "Pour eux, dit M. Dupriez, point de mise en accusation par le Corps législatif, point d'intervention de la Haute Cour de justice. C'est là une procédure réservée aux membres du Directoire et des Conseils (1). „

Lorsqu'il s'agissait d'infractions étrangères à leurs fonctions, les ministres étaient entièrement soumis au droit

commun.

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74. Responsabilité civile. Les ministres étaient également responsables civilement. Tout ministre, disait l'art. 13 de la loi organique, contre lequel il est intervenu un acte d'accusation sur une dénonciation du Directoire exécutif, peut être poursuivi en dommages-intérêts par les citoyens qui ont éprouvé une lésion résultant des faits qui ont donné lieu à l'acte d'accusation.

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75. Causes de justification. L'art. 640 du Code de brumaire admettait les ministres mis en accusation" à prouver que leur signature a été surprise; et, en conséquence, disaitil, les auteurs de la surprise seront poursuivis ; et s'ils sont convaincus, ils seront condamnés aux peines que le ministre aurait encourues

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§ 2. Les attributions des ministres

76. Les ministres étaient les principaux agents du Directoire exécutif pour l'exécution des lois et l'administration des intérêts généraux. Sous les ordres de celui-ci, ils avaient la direction immédiate des services publics compris dans leur

(1) DUPRIEZ, Les Ministres, etc., t. I, p. 284.

département. Nous n'avons pas à décrire ici les branches d'administration qui se rattachaient à chacun des ministères: la répartition en fut faite, comme nous l'avons déjà dit (1), par la loi du 10 vendémiaire an IV, modifiée par diverses lois subséquentes. En vue de l'accomplissement de leur mission, les ministres possédaient, à l'égard de leurs subordonnés, des pouvoirs, d'ailleurs restreints, de nomination, et des pouvoirs plus étendus de direction et de contrôle, dont il importe d'esquisser les traits essentiels. Ils n'avaient pas à l'égard des citoyens le pouvoir réglementaire proprement dit. Mais ils étaient les représentants de l'État pour les actes qu'entraîne la gestion des services publics, et ils avaient dans leurs attributions le contentieux administratif.

7. DROITS DE NOMINATION. Les droits de nomination des ministres étaient assez restreints. Bon nombre d'agents du pouvoir exécutif, en effet, étaient élus, notamment ceux chargés de l'administration des intérêts généraux dans les subdivisions du territoire. Quant à ceux qui étaient à la nomination du pouvoir exécutif, le Directoire nommait et révoquait luimême les principaux d'entre eux, tels les commissaires du Directoire près les administrations départementales et municipales, etc. Les prérogatives ministérielles, en cette matière, se bornaient à un droit de présentation. Mais les ministres nommaient les employés de leurs bureaux. Ils pouvaient révoquer les employés qu'ils nommaient.

Ils pouvaient, d'après l'art. 194 de la constitution, suspendre les administrations de département pour que la suspension devînt définitive, il fallait la confirmation formelle du Directoire (2).

78. POUVOIRS DE DIRECTION ET DE CONTRÔLE. Les ministres avaient à l'égard de leurs subordonnés des pouvoirs de direction et de contrôle. "Les ministres, disait l'art. 149, correspondent immédiatement avec les autorités qui leur sont

(1) On peut consulter à cet égard l'Almanach national. (2) Voir plus haut, no 57.

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subordonnées. Ils leur adressaient les instructions et les ordres nécessaires pour l'exécution des lois et arrêtés.

Ils avaient également un droit de contrôle sur les actes de leurs subordonnés, et ils pouvaient réformer ces actes, soit d'office, soit sur la réclamation des particuliers." Les ministres peuvent annuler, chacun dans sa partie, disait l'art. 193 de la constitution, les actes des administrations de département; aucune annulation ne devenait définitive, toutefois, que par la confirmation formelle du Directoire. La décision du ministre était exécutoire provisoirement (1).

79. ACTES DE GESTION. Vis-à-vis des particuliers, les ministres étaient les représentants de l'État pour les actes qu'entraîne la gestion des services publics. En cette qualité, ils passaient les marchés qui engageaient l'État; quelquefois ces marchés étaient passés par des autorités inférieures, sauf l'approbation des ministres. Les ministres faisaient acquitter les dépenses résultant des engagements de l'État. Mais leurs ordonnances devaient être revêtues de l'approbation des commissaires de la Trésorerie nationale.

80. POUVOIR RÉGLEMENTAIRE. Les ministres n'avaient pas le droit de faire des règlements obligatoires pour les citoyens, sauf en vertu d'une délégation émanée du Corps législatif ou du Directoire (2). Mais ils faisaient certains règlements d'administration intérieure pour les bureaux ou pour les services placés sous leurs ordres.

81. CONTENTIEUX ADMINISTRATIF. L'Assemblée constituante avait supprimé successivement les diverses juridictions administratives de l'ancien régime; son intention n'avait jamais été cependant d'attribuer au pouvoir judiciaire, dont elle se défiait, la connaissance du contentieux de l'adminis

(1) Arrêté du 17 messidor an V.

(2) M. MOREAU, Le Règlement administratif, Paris, 1902, p. 78, cite comme exemples les arrêtés du 5 messidor an IV, art. 6, du 27 messidor an V, du 1er jour complémentaire an V, art. 20, ainsi que la loi du 19 vendémiaire an VI, article 30.

tration. Cette matière était considérée, dit M. Dareste (1), comme une dépendance de l'administration, et le principe de la séparation des pouvoirs, énergiquement proclamé par la loi même sur l'organisation judiciaire (2), prenait un sens que Montesquieu n'avait peut-être pas prévu. Il ne s'agissait plus de confier à deux personnes différentes les fonctions d'administrateur et celles de juge, mais bien de laisser l'administration seule juge en sa propre cause pour ne pas la subordonner aux tribunaux., La loi du 7 septembre 1790, d'abord, d'autres lois, ensuite, accordèrent en conséquence aux corps administratifs la connaissance d'un grand nombre de litiges où l'administration était en cause, et la loi des 27 avril-25 mai 1791, sur l'organisation du ministère, attribua, d'une façon générale, aux ministres réunis en Conseil d'État sous la présidence du Roi " l'examen des difficultés et la discussion des affaires dont la connaissance appartient au pouvoir exécutif, tant à l'égard des objets dont les corps administratifs et municipaux sont chargés sous l'autorité du Roi, que sur toutes les autres parties de l'administration générale, (art. 17, no 1).

Sous les régimes qui suivirent, le contentieux de l'administration continua à appartenir au pouvoir exécutif et à ses organes. L'article 203 de la constitution de l'an III renouvela la défense, déjà faite aux juges par la constitution de 1791 (3), de citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions, et la loi du 16 fructidor an III (2 septembre 1795) déclara à son tour: "Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration de quelque espèce qu'ils soient.

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Les ministres restèrent ainsi les juges de droit commun en matière de contentieux administratif (4). Seulement, comme

(1) DARESTE, La Justice administrative en France, 2e édition, Paris, 1898, p. 156.

(2) Loi des 16-24 août 1790, article 3: Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. „

(3) Article 3 du chapitre V.

(4) La question de savoir si le ministre, quand il prononce en matière contentieuse, est un véritable juge est depuis un certain

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