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être même avant celle-ci, s'établissent dans le royaume magyar des habitudes de représentation nationale et provinciale qui se transforment en traditions et en lois. Mais si la formation des institutions anglaises et hongroises est contemporaine, leur développement procède, à leurs débuts tout au moins, d'un principe différent. L'organisation politique de l'Angleterre, à la différence de l'organisation administrative, est centralisée à Londres dans le parlement; les Assemblées de comté n'existent que peu ou pas. Il n'en est pas de même en Hongrie la pierre angulaire des institutions hongroises avant 1848, c'était l'organisation provinciale, la constitution des comitats. La diète de Pesth ne procédait que des assemblées de provinces.

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L'assemblée comitale comprenait un nombre excessif de membres tous les nobles de la province, les veuves ou leurs mandataires, les députés des villes et des couvents, et les honoratiores, vaste catégorie de capacitaires : professeurs, médecins, avocats, etc. Une pareille assemblée, dont la plupart des membres l'étaient de droit, ne comportait pas de dissolution à proprement parler. Elle se réunissait tous les trois mois et avait des fonctions multiples : nomination des fonctionnaires et magistrats, vote du budget, administration de la province, nomination des délégués à la diète de Pesth 3.

Jusqu'à la fin du xvie siècle, la Diète réunissait tous les nobles et présentait un caractère exclusivement militaire. Vers 1575, elle se divisa en deux Chambres, la Table des magnats et la Table des députés. La Table des magnats réunissait les membres du haut clergé, les grands dignitaires du royaume et tous les nobles de

1. Les institutions constitutionnelles de Hongrie (anonyme), Bruxelles, 1860. L'origine des comitats est fort ancienne; quelques historiens hongrois veulent la faire remonter aux marches établies par Charlemagne; il est certain qu'au XIV siècle, le royaume avait déjà cette division, et, en partie, cette organisation. 2. V. Paul Matter, La Constitution hongroise; Schuler Libloy, Das hungarische Staatsrecht, p. 73.

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3. Elle se survivait par deux commissions, nommées par elle-même l'une de ces commissions recevait toutes les plaintes contre les abus du pouvoir exécutif et rédigeait un rapport qu'elle renvoyait à la diète; l'autre examinait toutes les propositions tendant à introduire un progrès dans l'administration, la justice, les travaux publics, le commerce. L'assemblée du comitat en délibérait et communiquait ses projets de réforme aux autres assemblées comitales.

l'aristocratie tirée; elle comportait ainsi sept ou huit cents membres, une cinquantaine assistaient aux séances. La Table des députés se composait des délégués des comitats et des villes; ces délégués avaient un caractère de plénipotentiaires; on peut les comparer aux députés envoyés par les cantons suisses au conseil des États; l'assemblée comitale leur donnait un mandat impératif, et chaque comitat, non chaque représentant, avait une voix.

La nature même de la Table des magnats, Chambre héréditaire, excluait le droit de dissolution. Quant à la Table des députés, si elle était par nature susceptible d'une dissolution, son caractère d'assemblée plénipotentiaire en rendait l'application difficile. Il n'y avait plus alors un appel au pays, mais tout au plus une consultation des assemblées comitales. Aussi, l'usage de ce droit ne parait-il pas avoir été réglementé par la loi ou les traditions, et il semble avoir été employé surtout comme une mesure de coercition par des monarques forts et autoritaire contre des diètes gênantes.

Par une lente transformation, le pouvoir se porta toujours plus à la Diète. Les lois de 1848, qui forment la constitution actuelle de la Hongrie, ont consacré définitivement cette évolution. Le 14 mars, dans un de ces mouvements d'enthousiasme auxquels les grandes assemblées se laissent parfois entraîner, la diète vote un programme libéral transformant la condition sociale de la nation et apportant au régime politique vieilli les modifications des idées nouvelles 1. Le régime parlementaire est définitivement organisé; la Table des magnats demeure sans modifications, mais la Table des Députés devient une assemblée nationale nommée directement par les électeurs; chaque député jouit d'une voix; le mandat impératif des assemblées comitales est remplacé par la délégation directe des électeurs.

Le roi a le droit de dissoudre la Table des députés; mais il doit, en ce cas, ordonner immédiatement de nouvelles élections, de façon

1. Le régime moderne de la Hongrie date tout entier de 1848; un ministère se constitua au mois de mars sous la présidence du comte Batthyanyi, et comprenant les meilleurs esprits de la Hongrie, Deak, Paul Esterhazy, Kossuth...; il rédigea et soumit à la diète un ensemble de lois s'étendant à presque toute l'organisation sociale régime constitutionnel, administratif, social, judiciaire et financier.

que la nouvelle diète se réunisse dans les trois mois qui suivent la séparation de la précédente 1.

L'assemblée de comitat perd la majeure partie de ses attributions; elle cesse, sauf sur certains points secondaires (hygiène, etc.), d'être une assemblée parlementaire. Le pouvoir royal a le droit de prononcer sa dissolution à condition de faire procéder dans un bref délai à de nouvelles élections.

Ce régime nouveau ne devait entrer en vigueur que dix-huit ans plus tard. La diète dissoute; la Hongrie en révolution, envahie par les armées russes et autrichiennes; la constitution abrogée, remplacée par le régime du sabre; le royaume magyar mis au rang d'une simple province; les tentatives de conciliation de M. Goluchowski; les nouvelles brutalités de M. de Schmerling; la dissolution de l'assemblée provinciale de Pesth en 1861, tout devait échouer devant la résistance opiniâtre des Hongrois 2. La sagesse de FrançoisJoseph et du comte de Beust devait seule aboutir. A la fin de 1865, la Diète de Pesth est reconstituée. A la suite des événements de 1866, les lois constitutionnelles de 1848 entrent en vigueur.

Depuis trente ans, le roi de Hongrie a été appelé, à deux reprises, à user de sa prérogative de dissoudre la Table des députés. La première dissolution n'avait qu'une importance de partis; elle portait, non sur une grande question politique, mais sur le morcellement des groupes à la Table des députés. Le comte Szapary, chef du cabinet, n'était pas arrivé à faire voter, en son entier, un projet de loi sur l'organisation des comitats. Cet insuccès ébranla tellement sa situation, que le 4 janvier 1892 il provoqua la dissolution de la seconde Chambre; un décret royal convoqua la nouvelle assemblée pour le 28 janvier 3. Les élections donnèrent au cabinet une majo

1. Article 5, loi IV de 1848, modifiée par la loi I de 1886. Les deux chambres devant être réunies en même temps, la dissolution de l'une entraîne la prorogation de l'autre.

2. Cette résistance prit une forme juridique très intéressante. Dans les traités entre la Maison d'Autriche et la Hongrie, il a été invariablement stipulé que rien ne pourrait se faire sans la diète; que la Hongrie serait à jamais dirigée par des ministres hongrois suivant les lois votées par la diète. Donc tout ce qu'a pu faire la couronne depuis 1848 est nul de plein droit; aussi en 1866, aucun texte n'a-t-il mis en vigueur les lois de 1848, elles ont été réputées en exercice depuis leur vote.

3. Annuaire de législation étrangère, 1892, p. 408.

rité peu compacte et M. Szapary dut se retirer dans le courant de l'année 1892.

La seconde application de la prérogative royale a été faite le 3 octobre 1896 dans des circonstances particulièrement intéressantes. Le compromis de 1867 était près de son terme; renouvelé à plusieurs reprises, il allait à nouveau expirer. La Hongrie voulait le renouveler sans modification; la Cislethanie, au contraire, exigeait une augmentation de la quote-part hongroise dans les dépenses communes; le développement pris par les affaires financières et commerciales du royaume magyar rendaient légitime cette réclamation, mais le Parlement de Pesth s'y montrait formellement opposé. Le baron Banffy, chef du cabinet hongrois, comprit qu'il importait d'en appeler au pays et obtint de François-Joseph la dissolution de la seconde table; les élections du mois de novembre établirent qu'il avait sagement agi.

La diète de Croatie a reçu une vie autonome en 18701. Le roi a le droit de la proroger ou de la dissoudre avant l'expiration de la période législative; mais, en ce cas, il doit être procédé aussitôt à de nouvelles élections, et la nouvelle diète doit se réunir trois mois au plus tard après la dissolution de la précédente 2.

1. Certaines affaires sont communes à la Hongrie et à la Croatie, et dépendent des pouvoirs législatif et exécutif de Pesth; la diète d'Agram envoie 29 députés à la Table des députés et 2 députés à la Table des magnats; le cabinet hongrois comprend un ministre pour la Croatie. D'autres affaires appartiennent exclusivement à la Croatie; ce sont l'administration intérieure, les cultes, l'instruction publique et la justice à tous les degrés; pour ces affaires, le pouvoir législatif appartient exclusivement à la diète croate, l'exécutif à un ban (gouverneur) nommé par la couronne.

2. Article 3 de la loi croate II de 1870.

CHAPITRE XI

LES MONARCHIES PARLEMENTAIRES MODERNES

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I. La Belgique. II. La Hollande. - III. L'Italie. - IV. L'Espagne et le Portugal. V. Les petites monarchies de la péninsule des Balkans.

La constitution anglaise a eu une singulière fortune: adoptée par le gouvernement français en 1814, elle est devenue le type du régime libéral, réclamé par tous les peuples opprimés, acclamé à chaque révolution. Chacun des États nouveaux qui se sont formés dans le courant du XIXe siècle, l'ont copiée plus ou moins fidèlement, et les révolutions de 1830 et 1848 ont abouti à son adoption par plusieurs gouvernements jusqu'alors absolus. A l'heure actuelle, dans les pays de représentation sans responsabilité ministérielle devant les Chambres, les partis libéraux luttent pour acquérir le régime anglais, mais se heurtent à une résistance perpétuelle de la royauté.

Par cela même que les différentes monarchies parlementaires dérivent de la constitution anglaise, leur étude présente peu d'intérêt. Elles se confondent forcément avec le type dont elles dérivent, et l'étude du régime d'Angleterre, sur lequel nous avons insisté, nous dispensera de longues dissertations. Il importe simplement d'examiner dans quelles conditions le droit de dissolution a été accordé au monarque dans chacun de ces États, et quel rôle y a joué son

exercice.

I

Au lendemain de la révolution qui faisait de la Belgique un État indépendant, le congrès national réuni à Bruxelles adopta à une

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