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roi et la famille royale, lorsque les princes de la famille ne sont pas. revêtus d'emplois publics » (art. 75).

Le pouvoir exécutif appartient au roi; il n'a qu'un droit de veto conditionnel le projet adopté par trois Storthings ordinaires prend force de loi malgré l'opposition du monarque 1. Enfin le roi n'a pas le droit de dissolution: la constitution méfiante de 1814 n'a pas voulu lui donner ce mode d'action sur le Parlement, redoutant pour les députés norvégiens un coup de main du monarque suédois.

Le roi gouverne à l'aide d'un ministre d'État et d'un conseil d'État qui jusqu'au 1884 n'avait nullement le caractère d'un ministère. Ses membres étaient de simples conseillers du roi; ils ne pouvaient être députés au Storthing ou même assister à ses séances, restaient en fonctions tant qu'ils gardaient la confiance du monarque et n'avaient souci des opinions du Parlement. Ce système de séparation présentait maints désavantages et était une gêne autant pour le gouverne ment que pour les députés : le premier y perdait toute influence sur la représentation nationale, les seconds tout contrôle effectif et direct sur la politique du conseil d'État; on était donc d'accord sur ses inconvénients, mais on différait sur son remplacement.

Le gouvernement, frappé des avantages que présenterait pour lui le droit de dissolution, n'aurait voulu admettre la responsabilité ministérielle qu'à condition de voir ce droit inscrit dans la constitution. Le Storthing voulait la responsabilité des ministres devant les Chambres, mais écartait le droit de dissolution. A trois reprises, il vota une résolution attribuant aux conseillers du roi le droit de prendre part aux délibérations du Storthing: et comme le monarque refusait de sanctionner les décisions du Storthing, il prétendit qu'ils valaient comme loi d'État, le veto royal étant sans force devant un triple vote. Le pouvoir exécutif soutint que ce principe ne s'appliquait pas à la revision constitutionnelle, le pouvoir législatif s'irrita, vota en 1883 la mise en accusation des conseillers d'État qui furent déchus de leurs fonctions. Enfin le roi céda, changea son conseil et en 1884 la constitution fut partiellement revisée et donna « au ministre et aux conseillers d'État le droit d'assiter aux séances du

1. Cette éventualité s'est présentée à quatre reprises dans le courant du siècle.

Storthing ou de ses deux subdivisions, mais sans prendre part au vote» (article 74). Du droit de dissolution, il n'était mot.

Depuis lors et malgré cette revision, le régime parlementaire ne s'est pas entièrement introduit en Norvège; le gouvernement n'a pas encore admis, en théorie tout au moins, la responsabilité ministérielle, le droit de la majorité au Parlement de forcer le cabinet à se retirer. En 1894, lors d'un conflit entre le ministère conservateur de M. Stang et les radicaux en majorité au Storthing, le Roi n'ayant pu s'entendre avec les chefs de la majorité pour la formation d'un nouveau conseil, a prié M. Stang et ses collègues de rester aux affaires bien qu'ils fussent mis en minorité au Parlement '. Pourtant le régime parlementaire tend à s'établir insensiblement. Les élections générales de l'automne 1897 ayant été défavorables au ministère Hagerup, M. Steen a été chargé, dès la rentrée du Parlement, de fournir un nouveau cabinet. M. Steen est le chef reconnu de la gauche et tous ses efforts seront d'accroître encore les droits du Storthing '.

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Il est encore souvent question, dans les projets ou les espoirs de revision, du droit de dissolution; « le parti conservateur considère son absence comme un mal auquel il faut remédier 3 » et ne désespère pas de le faire inscrire dans la constitution; il aura peut-être du mal, les races du Nord sont tenaces dans leurs traditions et dans le peuple norvégien la tendance n'est pas à augmenter les pouvoirs de la couronne; malgré tout, il existe une certaine défiance envers un roi plus suédois que norvégien; la masse du peuple redoute une fusion plus intime des deux monarchies et résiste à créer de nouveaux droits en faveur de la royauté, par crainte qu'elle en use pour amoindrir l'autonomie de la Norvège.

1. Sentupéry, L'Europe politique, pp. 1013 et 1015.

2. Voyez un article très documenté sur le nouveau ministère norvégien, dans le Journal des Débats du 19 février 1898.

3. M. Montan, loc. cit.

CHAPITRE XIII

LES RÉPUBLIQUES FÉDÉRATIVES

Les États-Unis de l'Amérique du Nord. I. Constitution fédérale des ÉtatsUnis. Principe d'indépendance des pouvoirs. — Le Congrès. Le Président. Les conflits. II. Constitutions particulières des États. - III. Cons

titutions dérivées de ce type.

La Suisse. I. Le droit fédéral.
Hambourg, Lubeck et Brême.

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Les temps modernes n'ont connu que deux républiques unitaires, ce que l'on a appelé finement des Républiques consolidées, et c'est la France qui leur en a fourni le double exemple; en 1848, sous l'influence des idées de M. de Tocqueville et par crainte du pouvoir exécutif, on s'est attaché à rendre indépendants les pouvoirs exécutif et législatif, si indépendants que l'un a écrasé l'autre; en 1875, par une transaction entre deux partis, on a introduit dans le régime républicain les institutions parlementaires, et vingt-trois ans d'exercice ont prouvé tout au moins la viabilité de cette combinaison. Nous n'avons pas à revenir sur ces deux exemples de république unitaire, elles ont été seules en leur genre: les républiques d'Espagne ou d'Italie n'ont vécu qu'un moment. Les institutions de la Convention et du Directoire ont été si troublées de coups d'État qu'elles n'ont jamais eu qu'un caractère provisoire; nous n'aurons qu'un mot à dire en terminant des petites républiques allemandes. Dans les États fédératifs, au contraire, la République s'est établie à plusieurs reprises, et a longuement duré; les États-Unis de l'Amérique du Nord depuis cent ans, la Suisse depuis des siècles, y sont fermement attachés et, par imitation des premiers, tous les États de

l'Amérique du Sud ont adopté ce régime 1. Type américain ou type suisse, toutes ces républiques ont refusé au chef du pouvoir exécutif le droit de dissoudre les assemblées législatives, et les causes de ce refus sont puisées dans la nature même de leurs institutions.

LES ÉTATS-UNIS.

I

Pour comprendre exactement les institutions américaines, il est indispensable de se pénétrer de cette idée que le gouvernement des États reste le droit commun, le gouvernement fédéral n'est que l'exception. Il ne s'agit pas d'un État unitaire, il s'agit d'une confédération où la règle commune est l'indépendance des États particuliers. Pour avoir perdu ce point de vue, de nombreux auteurs ont faussement apprécié l'ensemble des institutions américaines, et les rapports de la confédération avec les États. « Il faut dire, remarque très justement M. Boutmy, non que les constitutions des États sont le complément de la constitution fédérale, mais que la constitution fédérale est le complément des constitutions des États. Ces dernières sont la base de l'édifice même, dont l'autre est seulement le couronnement... Les vraies analogues de nos constitutions d'Europe par l'essence et par le genre, ce sont les constitutions des États particuliers, les seules qui créent des pouvoirs généraux de gouvernement, les seules d'où émanent dans leur ensemble le droit civil, le droit criminel, le droit administratif, la législation industrielle ... » On comprend de suite l'influence qu'aura ce principe sur les rapports du Président de la Confédération avec le Congrès.

Sans doute, dans le courant de ce siècle, une tendance s'est produite à centraliser les pouvoirs publics dans le gouvernement fédéral, à augmenter en fait sinon en droit ses attributions: bien des hommes. politiques, membres du Congrès, s'efforcent de substituer au régime

1. Pour être complet, il serait nécessaire d'ajouter les Provinces Unies de Hollande, mais leur étude ne présenterait qu'un intérêt historique et sortirait du cadre de ce travail.

2. Boutmy, Études de droit constitutionnel, p. 109 et 111.

P. MATTER.

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fédéral les institutions d'une République unitaire. Leur but «< est de miner... les pouvoirs réservés aux États..., pour concentrer de plus en plus le pouvoir souverain dans le Congrès des États-Unis1». Jusqu'ici ces efforts ont été presque vains, et pour longtemps encore, ils se heurteront à la résistance des États, à l'esprit de la race, et à la disposition géographique du pays. Le gouvernement des États est demeuré la règle commune; le gouvernement de la Confédération s'étend seulement aux pouvoirs qui lui sont confiés par disposition spéciale.

Un principe régit les institutions fédérales, c'est la séparation des pouvoirs, leur parfaite indépendance les uns envers les autres 2. C'est là véritablement le caractère fondamental du gouvernement américain, et ce qui lui donne sa physionomie propre. Les constitutions européennes pratiquent elles aussi, dans une certaine mesure, ce principe de la séparation des pouvoirs; mais à tous moments les exceptions abondent, le pouvoir exécutif prend part au législatif par l'initiative, la discussion des lois; le pouvoir législatif à l'exécutif par la responsabilité ministérielle. Ici rien de tel: la constitution. américaine, sous l'influence de Montesquieu, s'est efforcée de tenir les pouvoirs aussi séparés qu'il était possible. « Les routes qu'elle leur a tracées sont invariablement parallèles; elles ne se croisent jamais. >>

Trois pouvoirs, législatif, exécutif, judiciaire; trois organes, le Congrès, le Président, la Cour suprême, voilà l'organisation qu'adopte la convention de Philadelphie . Du pouvoir judiciaire, il ne nous appartient pas de parler ici; s'il dépend des deux autres par sa nomination, il en est entièrement indépendant par l'inamovibilité, par les fonctions, par les traditions. Il n'a donc aucune influence sur les conflits qui pourraient éclater entre eux; tout au plus devonsnous constater qu'ayant le droit de déclarer inconstitutionnelles les lois votées par le Congrès, il peut parer aux inconvénients d'assem

1. Ezra Seaman, Système du Gouvernement américain, p. 38; Saint-Girons, Séparation des Pouvoirs, p. 298.

2. Cpr. Fuzier Hermann, La séparation des pouvoirs; comte de Chambrun, Le pouvoir exécutif aux États-Unis.

3. C'est l'ordre même que suit la constitution des États-Unis dans ses trois premiers articles.

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