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proposé un autre moyen pour détendre la situation. « Le droit de pétitionnement, le plus ancien des droits que reconnaît la constitution britannique, fournirait un moyen de conjurer la crise appréhendée. Il suffit de déclarer que, si les trois cinquièmes des collèges électoraux demandent la dissolution du parlement, le chef de l'État devra, dans un certain délai, dissoudre la Chambre basse, faute de quoi les pouvoirs de cette Chambre seront périmés à l'expiration du délai fixé. Les électeurs auraient, de cette manière, l'occasion de montrer si la majorité d'entre eux repousse la politique du ministère et les idées du parlement; l'opinion des collèges électoraux se formulerait ainsi distinctement, avec aisance et sans malentendus 1. >>>

Ce système a été d'ailleurs adopté par quelques cantons suisses'; mais s'il se comprend pour de très petits pays, où les électeurs sont peu nombreux, où les mœurs ne sont pas éloignées des réunions générales du peuple, il paraît impossible dans les grands États. L'Angleterre a connu, lors du mouvement populaire désigné sous le nom de chartisme, les inconvénients du pétitionnement national et le peu de garantie qu'il présente; il faudrait, pour le pratiquer, une éducation spéciale qu'aucun peuple ne possède, sauf peut-être les Américains pour des raisons très spéciales. Partout ailleurs, le système de M. Bagehot risquerait d'organiser « l'émeute à jet continu au profit d'aventuriers, entrepreneurs de pétitions 3».

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D'autres publicistes, enfin, voudraient ne confier le droit de dissolution au chef de l'État qu'après consultation des électeurs sur l'opportunité de son application; on aboutirait à cette conséquence singulière de deux consultations successives sur le même objet. Une consultation des électeurs est toujours, dans un grand pays, l'occasion d'une perturbation générale, et il faut éviter de la multiplier sans motif. Ces systèmes, issus de pensées prudentes, ne sont donc guère que des utopies.

Mais s'il paraît dangereux de confier le droit de dissolution aux électeurs ou aux assemblées, on ne peut leur refuser le droit de demander

1. Sir W. Bagehot, loc. cit., p. 10 et suiv.

2. Voyez infra, p. 261.

3. Saint-Girons, Séparation des Pouvoirs, p. 485; Esmein, Éléments de Droit Constitutionnel, p. 276.

au chef de l'État d'en faire usage; il y a là une faculté parfaitement licite, qui peut être exercée par les uns et les autres; l'histoire anglaise en présente de nombreux exemples. A plusieurs reprises, par voie de meetings et de pétitions, le peuple anglais a réclamé du monarque un renouvellement des Communes, et sa demande a exercé une influence certaine sur la décision royale. De même le Parlement s'est opposé à l'exercice du droit de dissolution, mais en général sans succès, et les hommes politiques les plus sages déconseillent toujours ce procédé, comme déconsidérant devant le pays ceux qui l'emploient. Enfin il sera parfois nécessaire pour le gouvernement de tenir compte plus directement de l'avis des Chambres, de les consulter même avant de les dissoudre; il en est ainsi notamment lorsque l'exercice financier est près de sa clôture, et le bugdet non encore voté; avant de dissoudre le Parlement, le gouvernement sera contraint de lui demander de voter le budget, car il n'aurait pas le temps de le présenter aux Chambres nouvelles et le pays se trouverait quelque temps sans loi de finances. Dans ce cas, le Parlement aura entre les mains une arme pour lui permettre d'écarter la dissolution, c'est le refus du budget. M. Stourm a peint en termes pittoresques les conséquences de ce refus; les rentiers ne touchent plus leurs rentes, ni les pensionnaires leurs pensions; les fournisseurs frappent en vain aux guichets du Trésor, les fonctionnaires ne reçoivent pas leur salaire; les écoles sont fermées; l'armée est privée de sa solde, de son entretien même; en un mot tous les tributaires de l'État, c'est-à-dire à peu près tout le monde aujourd'hui, se trouve atteint; la vie du pays s'arrête1. Il sera donc presque impossible au gouvernement de dissoudre la Chambre moins de deux mois avant l'expiration de l'exercice financier, car il faut prévoir le temps des élections, de la constitution de l'assemblée nouvelle et, tout au moins, du vote d'un douzième provisoire; si l'assemblée ancienne, avant de se séparer, n'accorde pas au gouvernement les douzièmes provisoires nécessaires, le chef de l'État verra le droit de dissolution paralysé entre ses mains.

1 Stourm, Le Budget, 3o éd., p. 382.

CHAPITRE II

CONDITIONS GÉNÉRALES D'UNE DISSOLUTION

RÉGULIÈRE

I. Nécessité d'une Chambre constituée. II. Une ordonnance de dissolution. III. La convocation des électeurs et d'une nouvelle Chambre.

Chaque constitution édicte les conditions particulières auxquelles doit se conformer le chef de l'État pour exercer régulièrement sa prérogative de dissoudre l'assemblée élective; mais outre ces conditions spéciales à chaque pays, l'exercice du droit de dissolution est soumis à un certain nombre de conditions générales, les mêmes dans tous les États, parce qu'elles sont conformes à la nature même de ce droit. Ces conditions sont au nombre de trois il faut une Chambre valablement constituée, une ordonnance régulière, une convocation des électeurs et de la Chambre nouvelle.

I

:

Exiger la présence d'une Chambre peut paraître une superfétation inutile, car sans Chambre pas de dissolution. Cette condition a pourtant soulevé les plus graves débats et a été l'une des causes de la Révolution de 1830. Ces débats présentent un intérêt théorique, universel, leur examen doit donc prendre place ici.

Il n'est pas nécessaire de poser longuement la question, elle es dans toutes les mémoires; à peine une Chambre est-elle élue, le pouvoir exécutif, mécontent de sa composition, prononce sa dissolution avant de la réunir; cette dissolution est-elle valable? En 1830, la Chambre avait été nommée après une dissolution; la question serait

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identique si elle procédait d'élections générales ordinaires. Le chef de l'État peut-il dissoudre une Chambre non encore réunie, voilà la

difficulté?

Dès 1830, la réponse a été négative, non du gouvernement, mais des publicistes et du peuple; elle a été, depuis lors, magistralement traitée par Rossi et la même solution a été adoptée par tous les auteurs, en France et à l'étranger'. Nous ne ferons donc que résumer rapidement l'argumentation de Rossi à un double titre elle mérite notre attention.

Toutes les Constitutions parlent de dissolution de la Chambre ou des Chambres; qui dit chambre, dit assemblée, dit corps politique délibérant. Or qui dit corps, dit nécessairement une organisation, une constitution de ce corps. « Avant l'organisation, il y a les éléments de ce corps, mais non le corps lui-même. S'il n'y a pas le corps lui-même, il est impossible de le dissoudre. La charte ne dit pas qu'on peut rendre nulles les élections, elle dit qu'on peut dissoudre la Chambre. Or dissoudre la Chambre avant que la Chambre soit constituée en corps délibérant, c'est anéantir les élections, mais non dissoudre ce qui n'existe pas 2. » C'est ce qu'avaient fort exactement compris les députés réunis à Paris lorsqu'ils disaient dans leur protestation du 27 juillet : « Attendu que la Chambre des députés n'ayant pas été constituée n'a pu être régulièrement dissoute. »

D'ailleurs, nous l'avons indiqué, la dissolution n'est autre chose qu'une consultation des électeurs, un appel au peuple; se présentet-il quelque conflit, quelque difficulté extraordinaire, le chef de l'État demande au corps électoral quelle solution il entend lui donner. Il y a donc dans la dissolution un hommage rendu au pays. « Or comment le pays exprime-t-il sa pensée? Il répond à cet appel par l'organe des députés, par la majorité de l'assemblée qui est censée exprimer le résultat de cet appel au pays. Or, dissoudre la Chambre avant qu'elle soit réunie, c'est refuser d'écouter le pays; c'est dire :

1. Pour ne citer que les principaux, notons: Rossi, Droit Constitutionnel, p. 44 et suiv.; Lefebvre, Lois Constitutionnelles de 1875, p. 189; Saint-Girons, Droit Constitutionnel, p. 487; Ribert, Constitution de 1875, p. 76; L. von Rönne,. Das Staatsrecht der preussischen Monarchie, t. I, p. 285; Thonissen, La Constitution belge, p. 323 et suiv.

2. Rossi, loc. cit., pp. 45 et 46.

Envoyez-moi quelqu'un pour exprimer votre pensée », et puis mettre l'envoyé à la porte, ne pas même lui accorder d'audience; c'est vouloir imposer certains hommes aux électeurs. » C'est faire de la dissolution un moyen non d'apaisement, mais de conflit, et vouloir gouverner non par l'entente des pouvoirs, mais par leur dissidence. Aussi la théorie des députés de 1830 est-elle unanimement approuvée, et si la plupart des Constitutions ne la formulent pas en règle de droit, c'est qu'elles la supposent découler de la nature même des choses. Quelques-unes pourtant disposent que la nouvelle Chambre ne pourra être dissoute avant d'avoir été réunie pendant un certain délai : au Portugal, par exemple, ce délai est de trois mois.

Il n'en faut pas conclure, comme paraissait le faire Prévost-Paradol1, que la nouvelle Chambre ne pourra être dissoute pendant la durée de sa période législative. Car il peut se présenter une question nouvelle, différente de celle qui a été jugée par les électeurs, et qui mérite une nouvelle consultation du pays. Pourquoi la laisser sans solution, pourquoi priver le gouvernement de cet utile appel au peuple, alors que la précédente dissolution a eu précisément pour résultat d'apaiser un conflit? C'est la pratique partout suivie 2 : en Angleterre la dissolution est la mort normale des Chambres des Communes.

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Il paraît évident que la dissolution peut être prononcée aussi bien quand les Chambres sont réunies que pendant leurs vacances. Ce principe a cependant été contesté en Allemagne par quelques auteurs et quelques députés qui suivaient une argumentation analogue à celle de Rossi pour la Chambre non encore constituée : pour qu'il y ait dissolution il faut une Chambre; or, pas de Chambre pendant ses vacances 3. C'est là une erreur juridique : la Chambre même hors session existe comme corps constitutionnel; l'expiration de ses

1. Prévost-Paradol, La France nouvelle, p. 149.

2. Lefebvre, loc. cil., p. 190; Berriat Saint-Prix, Commentaire sur la Charte, p. 314..

3. En ce sens, Pfister, Steuerverwillungsrecht, p. 143, et les députés wurtembergeois cités par R. von Mohle. En sens contraire, R. von Mohle, Würtenbergisches Staatsrecht, 2o éd., t. I, pp. 598 et 606, et L. von Rönne, Das Staatsrecht der preussischen Monarchie, t. I, p. 285.

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