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leurs mandataires. Une constitution républicaine exclut naturellement les prérogatives monarchiques, dont le but secret est de réagir sur l'opinion populaire au profit d'une volonté individuelle. La dissolution du Parlement permet au roi d'en modifier la composition en faisant servir à des conversions électorales une autorité créée pour améliorer la chose publique 1. >>

Il faut cependant noter qu'après le vote de la Constitution, quelques représentants protestèrent contre le refus au président du droit de dissolution. Dans une lettre insérée au Moniteur du 5 novembre, M. Lubbert écrivait : «< J'appréhende les plus funestes conséquences d'un système qui constitue un président sans lui conférer le droit, en cas de dissidence, de consulter le pays, et une Assemblée qui n'aura pas le droit de révoquer un président ». Victor Hugo protestait dans le même sens, mais en termes plus généraux et plus vagues'.

A la fin des débats, alors que le mouvement bonapartiste commençait à se dessiner et que cette vue prophétique d'un coup d'État éventuel se précisait dans les esprits, M. Flocon proposa une disposition additionnelle déclarant déchu et traître à la patrie tout Président de la République qui violerait l'article 51 de la Constitution.

Sur le renvoi qui lui fut fait, la commission trouva que « c'était là consacrer constitutionnellement le droit d'insurrection », et chercha à préciser la formule de M. Flocon; après d'assez longs débats, la proposition fut définitivement adoptée et prit place à la fin de l'article 68 « Toute mesure par laquelle le Président de la République dissout l'Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l'exercice de son mandat est un crime de haute trahison. Par ce seul fait, le Président est déchu de ses fonctions, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance, le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'Assemblée nationale; les juges de la Haute Cour de justice se réunissent immédiatement à peine de forfaiture; ils convoquent les jurés dans

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1. Berriat-Saint-Prix, Droit constitutionnel français, Paris, 1851, p. 483. 2. Dans ses Mémoires, où il brûle beaucoup de choses qu'il avait adorées, M. Odilon Barrot exprime les mêmes regrets: Si la faculté de dissoudre l'Assemblée offrait le danger d'accroître encore le pouvoir du président qui paraissait si redoutable, cette faculté ouvrait du moins une voie pacifique et régulière pour vider les conflits qui s'éleveraient entre les deux grands pouvoirs de la République. » Mémoires, t. II, p. 360.

le lieu qu'ils désignent, pour procéder au jugement du président et de ses complices; ils nomment eux-mêmes les magistrats chargés de remplir les fonctions du ministère public. Une loi déterminera les autres cas de responsabilité et les conditions de la poursuite ». Disposition sage, prudente, avisée, mais qui n'a jamais pu enrayer un coup d'État.

L'Assemblée constituante, qui avait été nommée sans limitation de durée, prononça elle-même sa dissolution. Elle tint sa dernière séance le 26 mai; l'Assemblée législative devait se réunir le 28. Quelques membres auraient voulu une remise solennelle du pouvoir par l'ancienne Assemblée à la nouvelle sur la protestation de Dupin aîné que le droit de l'Assemblée législative ne procédait pas de la Constituante, mais du peuple, ce projet ne fut pas mis à exécution. Cependant, le 28 mai, le bureau de l'Assemblée constituante reçut, dans le cabinet du président Marrast, le bureau provisoire de la Législative, « afin de constater que sous l'empire de notre constitution républicaine, il ne saurait y avoir d'intermittence dans le pouvoir législatif ». Cette réception terminée, M. Marrast s'adressant à ses collègues, leur dit : « Messieurs, notre mission est finie, nous pouvons nous retirer1».

Leur œuvre devait être de peu de durée; car elle contenait en ellemême un germe de conflit et de mort l'existence de deux pouvoirs parallèles et sans conciliation. L'Assemblée toute-puissante, permanente, unique, sans contrepoids; le Président, indépendant, fort de l'élection populaire. «Ils se regardaient, a dit un pamphlétaire, comme deux dogues acharnés à se disputer un même os, le ministère. » Avec un président pénétré de ses devoirs parlementaires, prêt à s'incliner devant les décisions de l'Assemblée, tel que le général Cavaignac, Grévy, Sadi Carnot, le gouvernement eût été possible; il devenait impraticable avec un homme ambitieux, imbu par traditions de famille et par caractère de la nécessité d'un pouvoir personnel. Tout dans la constitution concourait à faire naître des conflits, rien à les tempérer ou à leur donner une solution. On n'avait pas même placé au même moment le renouvellement de l'Assemblée et la réélection du

1. Pierre, Droit politique, p. 334, donne tous les détails sur cette dissolution qu'il cite comme l'exemple le plus caractéristique, avec celui de 1876, de dissolution volontaire.

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président, l'une élue pour trois ans, l'autre nommé pour quatre années : ainsi, nés de mouvements d'opinion peut-être tout différents dans le corps électoral le plus changeant, le suffrage universel, ils pouvaient être appelés à coexister, à collaborer pendant deux ou trois ans, quoique dissemblables. On préparait, de gaîté de cœur, d'inextricables conflits 1.

Quel parti, écrivait Laboulaye à cette époque, quel parti devra prendre l'Assemblée en face de la résistance d'un Président élu par 7 ou 8 millions de suffrages et cent fois plus populaire que le corps qui lui dicte les lois? Qui départagera cette Assemblée qu'on ne peut renvoyer par une dissolution devant le peuple, son juge suprême, et le Président soutenu, encouragé dans sa désobéissance par l'opinion. publique, et qui, n'ayant pas même de veto pour refroidir la passion de la Chambre, ne peut défendre ce qu'il croit l'intérêt du pays, qu'en se révoltant? Verrons-nous une accusation briser le favori du peuple ou un 18 brumaire l'élever, maître, sur les ruines de l'Assemblée? tout est possible, tout est probable, quand on met en jeu des forces inconnues1. »

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Cette critique singulièrement pénétrante devait être bientôt justifiée. L'histoire des derniers mois de la Constituante, de la Législative tout entière, devait être sans cesse traversée de ces luttes irritantes et sans solution entre l'Assemblée et le Prince-Président la question romaine, la loi du 31 mai, le rejet de la dotation, le projet de revision. Le 17 novembre 1851, sur l'opposition du ministre de la guerre, c'était le général Saint-Arnaud, et un discours de Michel de Bourges rappelant qu'il y a «< une sentinelle invisible, le peuple », l'Assemblée refuse de prendre en considération une proposition de MM. Baze, Le Flô et de Panat, relative au droit conféré au président de l'Assemblée

1. A. Lebon, Cent ans d'histoire intérieure, p. 200. Les constituants de 1848 avaient d'ailleurs rendu la revision de leur œuvre à peu près impossible, en exigeant que les motions en faveur de la revision fussent votées par trois fois, à un mois d'intervalle, par une majorité des trois quarts des députés, et que la revision fût ensuite faite par une assemblée spécialement élue à cet effet. 2. Laboulaye, Questions constitutionnelles, Considérations sur la Constitution de 1848, p. 43. Voyez aussi Émile Ollivier, Le prince Louis-Napoléon, Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1896; Thirria, Napoléon III avant l'Empire, t. II, conclusion.

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3. Spuller, Histoire parlem. de la seconde République, passim (Paris, F. Alcan, éd.).

nationale de requérir la force armée 1. Le 27 novembre, M. de Tinguy dépose une proposition tendant à autoriser les conseils généraux à se saisir de l'autorité publique dans leurs départements, en cas de dissolution violente de l'Assemblée.

Le 2 décembre, la Législative n'était plus. Tout ce qui comptait un nom dans le monde parlementaire, tout ce qui faisait de la France le pays de la liberté et des hautes idées était en prison. Le pays était victime d'un nouveau coup d'État.

Un décret signé Louis-Napoléon Bonaparte, contresigné Morny 2, prononce la dissolution du Corps législatif et du Conseil d'État. Le prince-président, << voulant, jusqu'à la réorganisation du Corps législatif et du Conseil d'État, s'entourer d'hommes qui jouissent à juste titre de l'estime et de la confiance du pays », forme une commission consultative de magistrats, de financiers, d'anciens représentants. Le plébiscite des 20 et 21 décembre couvrait de la votation populaire le coup de force. 7,439,216 bulletins proclamaient que « le peuple voulait le maintien de l'autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui donnait les pouvoirs nécessaires pour faire une constitution d'après les bases établies dans sa proclamation du 2 décembre ».

II

Dans ses grands traits, la constitution de 1852 consacre le retour aux institutions de l'an VIII. « J'ai pris comme modèle, disait LouisNapoléon, les institutions politiques qui déjà au commencement de ce siècle, dans des circonstances analogues, ont raffermi la société. ébranlée et élevé la France à un haut degré de prospérité et de grandeur 3. » Un Président de la République nommé pour dix ans, chef du pouvoir exécutif, responsable devant le peuple seulement, assisté de ministres qui ne forment plus un conseil, et ne sont, disait Cormenin, << que des premiers commis aux écritures pour les départements ministériels >>; un Conseil d'État qui prépare les lois; un Corps législatif qui

1. Article 32 de la constitution de 1848.

2. Alors que le décret appelant M. de Morny au ministère de l'intérieur n'est que du lendemain, 3 décembre.

3. Préambule de la Constitution des 14-22 janvier 1852.

les discute, les vote ou les rejette; un Sénat qui examine si elles sont conformes à la constitution, à la religion, à la morale, à la liberté des cultes, à la liberté individuelle, à la défense du territoire; la revision confiée au Sénat ou au plébiscite; tels sont les traits essentiels de la nouvelle constitution.

Deux tendances marquent son caractère particulier : la substitution du pouvoir personnel au régime parlementaire, la défiance envers le Corps législatif. Tout le pouvoir est concentré dans la personne du président de la République chef de l'armée, il déclare la guerre; chef de la politique extérieure, il fait les traités de paix et de commerce; chef du pouvoir exécutif, il gouverne le pays sans contrôle; seul il a l'initiative des lois que son Conseil d'État rédige et que contrôle le Sénat, qui émane de lui. Quant à la Chambre, «< on est frappé du peu qu'on lui laisse pour tout ce qu'on lui enlève1». S'agit-il de déterminer ses droits, un seul article: « Le Corps législatif discute et vote les projets de lois et l'impôt ». S'agit-il, au contraire, de lui enlever les anciennes prérogatives des Assemblées, une série de dispositions nettes et précises. La Chambre n'a ni l'initiative parlementaire (article 45), ni la faculté de recevoir les pétitions (43), ni le droit d'élire son bureau (40). Les amendements doivent être approuvés par le Conseil d'État (40). Si les séances sont publiques, le procèsverbal seul peut être imprimé par les journaux (42). La durée des sessions est limitée à trois mois (41). Le budget ne doit être voté que par ministère et les virements sont autorisés par décret (sénatusconsulte du 25 décembre 1852).

Ainsi tout est dirigé contre les mandataires du peuple. Si le président se proclame responsable devant le peuple, c'est devant lui seul et non devant ses représentants. « Il a toujours le droit de faire appel à votre jugement souverain afin que, dans les circonstances solennelles, vous puissiez lui continuer ou lui retirer votre confiance. » Cet appel au peuple s'exercera de deux façons: par le plébiscite ou

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1. Corentin Guyho, L'Empire inédit, p. 27;- Spuller, Histoire parlem. de la seconde République, p. 346; Hamel, Ranc, Encyclopédie générale, v° Absolutisme; Histoire du second Empire, t. 1, p. 65; Taxile Delord, Histoire du second Empire, t. I, p. 425 et suiv. (Paris, F. Alcan, éd.).

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