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par la dissolution du Corps législatif et les nouvelles élections qui la suivent1.

Le dédain dans lequel on tenait le Corps législatif se manifeste ici par deux dispositions. En cas de dissolution, le Président n'est tenu de convoquer une nouvelle Assemblée que dans le délai de six mois. La longueur de ce délai se cache mal derrière ce prétexte qu'il est nécessaire de laisser les passions politiques s'atténuer dans le pays. La raison véritable est le désir d'éloigner pour un temps prolongé les représentants du peuple 2. D'ailleurs, pendant cette demi-année, la vie législative ne s'arrêtera pas; si la Chambre est essentiellement temporaire, le Sénat est permanent; par une exception à la plupart des constitutions, la dissolution de l'une n'entraîne pas la prorogation de l'autre; bien mieux, elle double ses pouvoirs, elle lui donne toute la puissance d'une Assemblée législative unique. « En cas de dissolution du Corps législatif, dispose l'article 33, et jusqu'à une nouvelle convocation, le Sénat, sur la proposition du président de la République, pourvoit par des mesures d'urgence à tout ce qui est nécessaire à la marche du gouvernement. » Ainsi, pendant ce délai de six mois, le Sénat, comme « gardien du pacte fondamental », ou comme assemblée d'interrègne, modifiera la Constitution, votera les impôts, changera les lois; et le nouveau Corps législatif ne pourra, en se réunissant, que constater les bouleversements de l'État, sans protester il n'a pas le droit d'interpellation. Cet article contenait un droit exorbitant, destiné à légitimer un nouveau coup d'État, s'il eût été nécessaire. L'absence de toute opposition au Corps législatif au début de l'Empire rendit son application inutile, et dans les dernières années, l'opinion publique était devenue trop forte, on n'aurait osé la braver; cette disposition n'a donc jamais été mise en vigueur.

La transformation de la présidence décennale en empire n'apporta aucune modification essentielle à la Constitution. Il était difficile d'augmenter encore les pouvoirs du chef du gouvernement.

1. Art. 46: « Le président de la République convoque, ajourne, proroge et dissout le Corps législatif. En cas de dissolution, le président de la République doit en convoquer un nouveau dans le délai de six mois.

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2. C'était aussi dans le délai de six mois qu'il devait être pourvu aux vacances survenues dans la députation du Corps législatif par option, décès, démission ou autrement. Cauchois, Constitution de l'Empire français, p. 140.

La durée des pouvoirs du Corps législatif était fixée à sept ans, mais ce délai ne fut jamais épuisé. Les trois dissolutions prononcées par Napoléon III ont été toutes motivées par la prochaine expiration des pouvoirs de la Chambre et étaient conçues dans des termes identiques « Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français... Considérant que le Corps législatif est arrivé à la dernière année de son mandat, décrétons ce qui suit : le Corps législatif est dissous 1. »

On n'aperçoit pas facilement, d'ailleurs, la raison de cette dissolution anticipant sur la clôture naturelle, et le motif réel est peutêtre dans le désir de vivre six mois sans Corps législatif. Lors des deux premières dissolutions, l'empereur laissa expirer dans son entier le délai de convocation : les députés, élus presque immédiatement, ne furent réunis que six mois après la séparation de l'Assemblée précédente. Ces deux premières dissolutions n'eurent d'ailleurs aucune importance politique et les élections se passèrent dans le calme des candidatures officielles, sauf dans quelques grandes villes qui nommèrent les cinq, puis les trente-cinq.

Il n'en fut pas de même de la dissolution de 1869 : inquiet, amoindri, menacé, Napoléon III cherchait l'Empire libéral. Dès 1860, et surtout depuis 1867, une série de sénatus-consultes tentaient de donner au pays ce que M. Thiers appelait « les libertés indispensables ». Le vote de l'adresse, la publication des débats parlementaires, le droit d'interpellation avaient rendu la vie au Corps législatif. L'opposition demandait plus. Dans ces conditions, la dissolution suivie presque immédiatement des élections et de la réunion du nouveau Corps législatif prenait la tournure d'une véritable consultation. nationale. L'opposition obtint une centaine de sièges. Trois mois après, le sénatus-consulte du 8 septembre rétablissait le régime par

1. Tableau des dissolutions prononcées sous le second Empire :

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29 mai...... Dissolution du Corps législatif. Convocation des collèges
pour le 21 juin.

10 novembre. Convocation du Corps législatif pour le 28 novembre.
7 mai....... Dissolution et convocation des collèges pour le 31 mai.
10 octobre... Convocation du Corps législatif pour le 5 novembre.
27 avril.....
Dissolution et convocation des collèges pour le 23 mai.
9 juin....... Convocation du Corps législatif pour le 28 juin.

1

lementaire et le 2 janvier 1870 le ministère Émile Ollivier était

constitué.

Le chef du nouveau cabinet essaie d'organiser l'Empire parlementaire. Une nouvelle constitution, rédigée par sénatus-consulte, approuvée par plébiscite ', bouleverse l'organisation de 1852 et tente de se rapprocher du type anglais le pouvoir législatif est exercé collectivement, par l'empereur et les deux Chambres. Les ministres, responsables, délibèrent en conseil et ont entrée dans l'une et l'autre Assemblée. L'article sur la dissolution est reproduit sans modification 2; le délai de convocation reste toujours fixé à six mois; mais la disposition sur les pouvoirs extraordinaires du Sénat pendant la dissolution du Corps législatif est formellement abrogée 3. La dissolution du Corps législatif n'entraîne d'ailleurs pas de plein droit la prorogation du Sénat.

Quelle eût été, en temps calme, la fortune de cette nouvelle constitution? Le personnel, les traditions impériales se seraient-ils pliés aux institutions parlementaires? A cette question les événements ont enlevé toute réponse. Le 4 septembre, empire et sénatus-consulte, tout s'effondre.

1. Le sénatus-consulte fut, après la votation populaire, sanctionné et promulgué par Napoléon III le 21 mai 1870.

2. Article 35, §§ 1 et 2 du sénatus-consulte.

3. Article 42.

CHAPITRE VII

LE DROIT DE DISSOLUTION DANS LA CONSTITUTION FRANÇAISE DE 1875

I. Les travaux préparatoires et le vote. II. Nature et rôle du droit de dissolution entre les mains du Président. III. Garanties légales contre les dangers d'une dissolution. L'avis du Sénat. La convocation d'une nouvelle Chambre. Quelques dispositions spéciales sur l'état de siège, les ouvertures de crédits supplémentaires. - IV. La dissolution de 1877. V. La loi du 15 février 1872 et les dissolutions illégales. VI. Objections, critiques et appréciations.

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I

Aucune constitution peut-être n'a été composée avec autant de peine, au milieu d'autant de difficultés et d'embûches que celle de 1875. Présentée à une assemblée d'abord anti-républicaine, rejetée au mois de juillet 1874, elle n'a été votée, dans son premier article, et six mois plus tard, qu'à une voix de majorité et sur un amendement émanant de l'initiative d'un seul député. La sagesse politique de quelques membres du centre droit a, seule, permis de doter la France d'institutions définitives. Pour comprendre exactement le rôle qu'y joue le droit de dissolution, il est nécessaire d'étudier rapidement ses travaux préparatoires et la place que tenait ce droit dans les différents projets de con-titution.

Dès ses premières réunions, l'Assemblée se préoccupa de sa durée; le coup d'État de 1851 l'avait instruite.

La proposition Rivet, la première à parler de la présidence de la République, portait que la dissolution de l'Assemblée entraînerait de plein droit la fin des pouvoirs du chef de l'État, et, au mois de

février 1872, on votait la loi sur les dissolutions illégales dont l'étude sera faite plus loin 1.

M. Thiers, dans son message du 1er novembre 1872, insista fortement sur la nécessité de donner aux institutions existantes une organisation plus complète et mieux définie, et la loi du 13 mars 1873, dans son article 5, disposa que l'Assemblée ne se séparerait pas avant d'avoir statué sur l'organisation des pouvoirs législatif et exécutif. Dès lors, projets, propositions et amendements se pressent: il importe de remarquer que tous, sans exception, attribuent au chef de l'État le droit de dissoudre la Chambre des députés.

Le 19 mai 1873, M. Thiers et M. Dufaure, Garde des Sceaux, présentaient le premier projet de constitution2 : c'était une œuvre forte, loyale, sincère. « En comprenant les convictions et les regrets qui s'attachent à une forme politique qui n'est plus, disait le préambule, nous tenons pour évident que l'état de la France ne comporte pas aujourd'hui d'autre régime que la République. Elle est actuellement le gouvernement naturel et nécessaire. »

Adapter à cette forme de gouvernement « le régime parlementaire qui est entré dans nos mœurs à ce point que nous sommes obligés de le transporter dans la République plus complètement peut-être que ne le comporterait la théorie, bien plus assurément que ne l'admet l'Amérique », tel est le but du projet. La constitution de 1875 en a adopté les grandes lignes : un président nommé par le Congrès, et deux Chambres; le chef du pouvoir exécutif peut demander au Sénat l'autorisation de dissoudre la Chambre des représentants 3. Mais les motifs du préambule montrent combien les pouvoirs que s'était réservés M. Thiers étaient d'une nature différente de ceux confiés au Président par les lois de 1875, combien il s'agissait plus d'une intervention active, personnelle, dans les affaires de l'État : « La proie offerte à l'esprit de parti en redouble l'ardeur, et il est impossible de

1. Voyez p. 131.

2. Journal officiel du 20 mai; annexe no 1779.

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3. Le projet ne parlait notamment pas du conseil des ministres.

4. L'autorisation du Sénat devait être donuée en comité secret, à la majorité des voix et dans un délai de huit jours. Les collèges électoraux étaient convoqués dans les trois jours qui suivaient la notification faite au Président de la République du vote affirmatif du Sénat.

P. MATTER.

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