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statue sur l'action. La police judiciaire recherche les premiers élémens de l'instruction; l'instruction caractérise les faits et réunit les preuves qui doivent servir au débat; enfin le débat apprécie les preuves et les faits et conduit au jugement.

Cette division des actes de la procédure est, au reste, indiquée par la nature même des choses. Aucune accusation ne peut subsister si la procédure ne constate un fait puni par la loi, si elle ne désigne un prévenu, si elle ne présente des indices et des preuves: accusatio crimen desiderat, rem ut definiat, hominem ut notet, argumento probet, teste confirmet'. Comment la justice pourrait-elle être saisie, si la police judiciaire n'avait pas reconnu l'existence du fait poursuivi? comment les inculpés pourraientils être mis, soit en prévention, soit en accusation, si l'instruction n'avait pas vérifié le caractère des faits qui leur sont imputés et édifié contre eux une présomption sérieuse de culpabilité? comment, enfin, le jugement pourrait-il être l'expression de la vérité, si le débat n'avait pas discuté les preuves produites et apprécié, suivant certaines formes, leur valeur réelle?

Il est donc nécessaire, avant d'arriver aux actes de l'instruction, que nous exposions les attributions de la police judiciaire, les formes et les effets de ses actes tel est l'objet du troisième livre de ce Traité.

Cic. Orat. pro Cœlio, 5.

$ 205.

Définition de la police judiciaire.

L'édit de mars 1667, portant création d'un lieutenant de police, avait exprimé, pour la première fois, la pensée de séparer deux pouvoirs jusque-là confondus, la police et la justice: « Comme les fonctions de la justice et de la police sont souvent incompatibles, nous aurions résolu de les partager, estimant que l'administration de la justice contentieuse et distributive demandait un magistrat tout entier, et que la police qui consiste à assurer le repos du public et des particuliers, à purger la ville de ce qui peut causer des désordres, à procurer l'abondance et à faire vivre chacun selon sa condition et son devoir, demandait aussi un magistrat particulier qui pût être présent à tout. Mais cette première tentative était demeurée incomplète et stérile.

La loi du 29 septembre-21 octobre 1791 reprit cette distinction, et, en séparant les deux pouvoirs, elle a défini la mission générale du premier. « L'Assemblée nationale, en s'occupant de pourvoir à la sûreté publique par la répression des délits qui troublent la société, a senti que l'accomplissement de ce but exige le concours de deux pouvoirs, celui de la police et celui de la justice. La police, considérée dans ses rapports avec la sûreté publique, doit précéder l'action de la justice; la vigilance doit

être son caractère principal; la société, considérée en masse, est l'objet essentiel de sa sollicitude. » La police est administrative ou judiciaire.

Les art. 19 et 20 du Code du 3 brumaire an iv, avaient nettement posé les deux formes de cette distinction: « La police administrative a pour objet le maintien habituel de l'ordre public dans chaque lieu et dans chaque partie de l'administration générale. Elle tend principalement à prévenir les délits. Les lois qui la concernent font partie du Code des administrations civiles. La police judiciaire recherche les délits que la police administrative n'a pas pu empêcher de commettre, en rassemble les preuves, et en livre les auteurs aux tribunaux chargés par la loi de les punir. »

M. Treilhard, dans l'exposé des motifs du Code, explique cette division d'attributions : « Qu'est-ce que la police judiciaire? En quoi diffère-t-elle de la police administrative? Tant qu'un projet reste enseveli dans le cœur de celui qui le forme, tant qu'aucun acte extérieur, aucun écrit, aucune parole ne l'a manifesté au dehors, il n'est encore qu'une pensée et personne n'a droit d'en demander compte. Il est cependant vrai que des hommes exercés de longue main à surveiller les méchants, et à pénétrer leurs intentions les plus secrètes, préviennent souvent bien des crimes par une prévoyance utile et par mesures salutaires. Voilà l'un des premiers objets de la police administrative, police en quelque manière invisible, mais d'autant plus parfaite qu'elle est plus ignorée, et dont nous jouissons sans songer

des

combien elle coûte de soins et de peines. La vigilance d'une bonne police ne laisse souvent ni l'espoir du succès, ni la possibilité d'agir au méchant qui la trouve partout sans la voir nulle part, et qui rugit des obstacles que le hasard semble lui offrir, sans jamais se douter que le hasard prétendu est dirigé par une profonde sagesse. Un autre résultat d'une bonne police administrative est que l'homme se trouve enveloppé au premier pas qu'il fait pour consommer son crime. C'est alors l'instant où la police judiciaire peut et doit se montrer ; il n'y a pas un moment à perdre; le moindre retard ferait disparaître le coupable et les traces du crime; il faut donc que les agents de la police judiciaire soient répandus sur toute la surface de l'empire et que leur activité jamais ne se ralentisse'.

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Le législateur de 1808 adopte en conséquence la définition de la loi de l'an iv. L'art. 8 du C. d'instr. crim. est ainsi conçu: « La police judiciaire recherche les crimes, les délits et les contraventions, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux tribunaux chargés de les punir.

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La ligne qui sépare la police administrative et la police judiciaire se trouve donc nettement tracée. La police administrative prend des mesures générales plutôt que des mesures particulières; elle procède soit par des arrêtés, soit par des dispositions préventives; elle exerce une mission de prévoyance cette mission consiste à écarter les causes

1 Locré, t. XXV, p. 223.

de trouble, à modifier ou supprimer les faits qui peuvent exciter le désordre et augmenter les délits; à surveiller, pour les contenir, les agents les plus dangereux; à maintenir, en un mot, la paix de la cité en réfrénant les provocations des mauvaises passions, les excès du vice, l'audace des malfaiteurs. Ce n'est point de cette partie de l'administration publique que nous avons à nous occuper.

La police judiciaire est en général une sorte d'instruction préparatoire qui précède l'instruction faite par le juge. Elle commence au moment où le délit se manifeste, elle finit au moment où le juge est saisi, où la justice procède elle-même. Sa mission consiste à signaler les crimes et les délits, aussitôt qu'ils sont commis ou qu'ils se révèlent, à recevoir les dénonciations, à saisir sommairement, au cas où ils sont flagrants, les indices et les preuves de leur perpétration et à transmettre immédiatement à l'autorité judiciaire les actes de cette enquête préliminaire.

Il résulte de cette définition que la police judiciaire a deux caractères distincts. D'une part, elle prépare l'action du juge, elle n'y participe qu'en le suppléant; elle précède et facilite l'instruction, elle n'en fait aucun acte, si ce n'est provisoirement; elle s'enquiert, elle recherche, elle constate, elle n'apprécie pas, elle ne statue pas. D'une autre part, si elle ne participe pas à l'action judiciaire proprement dite, elle émane néanmoins de la justice, elle en reçoit une délégation temporaire, elle agit en son nom et dans son intérêt, elle s'empreint de son caractère, elle assimile ses actes aux siens.

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