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traîner une peine afflictive ou infamante, enfin, qu'il y ait des indices graves de culpabilité contre l'inculpé. Toutes ces conditions sont essentielles pour établir le droit de l'officier et pour justifier l'application qu'il en fait : si le fait n'est pas flagrant ou s'il n'est pas qualifié crime, il est incompétent; si le corps du délit n'est pas constant ou si les indices sont incertains, il commet un abus de son pouvoir. Une deuxième règle est qu'il ne doit faire usage de ce pouvoir, même dans les cas où la loi l'autorise, qu'autant qu'il trouve dans sa conscience, après avoir apprécié les faits qui lui sont soumis, non pas la conviction, mais la présomption que l'inculpé peut être coupable. La loi, en effet, n'a point enfermé l'officier de police judiciaire dans un cercle étroit; elle ne lui a point imposé des règles inflexibles; elle s'est bornée à lui déléguer un pouvoir dont elle a confié l'exercice à sa conscience. Sa sollici

tude même a prévu le cas où ce pouvoir pourrait être exercé avec légèreté : elle recommande à l'officier public de ne se déterminer que d'après des indices graves; elle l'avertit que la dénonciation seule ne constitue pas une présomption suffisante, qu'il faut y regarder de plus près à l'égard des individus ayant domicile. Cet officier a donc un droit d'appréciation; il doit peser la gravité des indices, la vraisemblance des allégations, la foi qui s'attache aux témoignages; il doit craindre les conséquences d'une méprise, hésiter à sacrifier le repos d'un citoyen légèrement inculpé, examiner les antécédents, les intérêts présumés, la position du prévenu; mais, après

cet examen, si les indices lui semblent suffisants, si toutes les circonstances concordent avec l'inculpation, il ne peut, sans trahir la mission judiciaire qu'il exerce, refuser l'ordre de l'arrestation, quelles que soient la qualité et la position de l'inculpé.

Si le prévenu est présent, l'officier de police judiciaire peut se borner, conformément à l'art. 34, à lui défendre de sortir de la maison ou de s'éloigner du lieu jusqu'après la clôture du procès-verbal. Cette mesure, qui équivaut à une arrestation provisoire, lui donne les moyens d'interroger le prévenu avant de décerner aucun mandat, et par conséquent, de n'ordonner son arrestation définitive qu'après avoir entendu toutes ses explications. En effet, la défense autorisée par cet article peut toujours être levée par l'officier qui l'a prescrite. Ce n'est qu'au cas où il y a eu contravention à cette défense et dépôt du contrevenant dans la maison d'arrêt, que le juge d'instruction devient seul compétent pour prononcer la mise en liberté.

Si le prévenu est absent, l'officier, s'il croit devoir ordonner son arrestation, doit décerner un mandat d'amener; s'il hésite, d'après l'insuffisance des indices, à employer une voie qui ne lui permettrait plus de revenir sur ses pas, ou si le prévenu, par les garanties qui résultent de son domicile, de sa famille, de sa profession, ne lui donne aucun sujet de craindre sa fuite, il peut l'entendre provisoirement comme témoin: cette mesure, quoiqu'elle ne soit pas parfaitement régulière, a moins d'inconvénients dans une information sommaire que dans

une information définitive, puisque les témoignages ne valent que comme renseignements, et elle permet aux magistrats de statuer sur l'arrestation en connaissance de cause.

Le mandat d'amener, une fois décerné, ne peut plus être annulé par l'officier qui l'a délivré; et c'est là la raison qui doit entourer sa délivrance des plus minutieuses précautions. L'art. 45 porte, en effet: « Le procureur du roi transmettra sans délai au juge d'instruction les procès-verbaux, actes, pièces et instruments dressés ou saisis, en conséquence des articles précédents, pour être procédé ainsi qu'il sera dit au chapitre des juges d'instruction; et cependant le prévenu restera sous la main de la justice, en état de mandat d'amener. » L'officier qui a décerné ce mandat ne peut donc en donner mainlevée; c'est un acte définitif qui, comme le procèsverbal lui-même, appartient à la justice; la chambre du conseil a seule le pouvoir de le faire cesser'.

A côté du droit d'arrestation, dont les officiers de police judiciaire sont investis, et qui est une véritable délégation de la justice, la loi a placé, dans le cas de flagrant délit, un droit d'arrestation provisoire qui n'est qu'un droit de police, et qu'elle a déposé entre les mains, soit des agents dépositaires de la force publique, soit enfin de toute personne.

Le droit des gardes champêtres et forestiers est défini par les SS 1, 2, 5 de l'art. 16 du C. d'instr.

1 Conf. M. Mangin, Instr. écrite, n° 219; Carnot, Instr. t. I, p. 249; Contr. Bourguignon, t, Ier, p. 149.

crim. ainsi conçus: « Ils arrêteront et conduiront devant le juge de paix ou devant le maire tout individu qu'ils auront surpris en flagrant délit ou qui sera dénoncé par la clameur publique, lorsque ce délit emportera la peine d'emprisonnement ou une peine plus grave. Ils se feront donner pour cet effet main-forte par le maire ou par l'adjoint du maire du lieu, qui ne pourra s'y refuser. »

Lorsque ces dispositions furent soumises au conseil d'État, M. Defermon les combattit. Il dit « qu'il ne paraît pas convenable de rendre à ces gardes le droit d'arrestation; qu'il leur avait été ôté même avant la révolution, attendu que presque toujours il donnait occasion à une résistance qui était suivie de meurtre'; qu'on peut constater ces dégâts par des procès-verbaux. » M. Cambacérès répondit que « ce droit d'arrestation est limité au cas de flagrant délit; qu'il n'y a pas d'autres moyens d'arrêter à l'instant les dégâts qui peuvent être commis dans les campagnes; que le coupable peut n'être pas connu, qu'il peut s'évader; que si l'on veut réprimer efficace. ment ce genre de désordres et rétablir le respect des propriétés, ce n'est pas assez de permettre aux gardes d'arrêter en cas de flagrant délit, il faut qu'ils le puissent même sur la clameur publique; que vouloir les réduire à dresser des procès-verbaux, c'est créer une théorie vaine et illusoire 2. »

1 M. Defermon paraît confondre ici le droit d'arrêter et de désarmer les chasseurs et celui d'arrêter les délinquants ruraux en flagrant délit. Voy. Lapoix de Fréminville, t. III, p. 513. 2 Locré, t. XXIV, p. 143.

Que ces motifs aient fait maintenir le droit consacré par l'art. 16, on le comprend facilement, puisque l'art. 106 accordait le même droit à tout agent de la force publique et même à toute personne. Mais pourquoi ce pouvoir s'applique-t-il, dans les mains des gardes champêtres et forestiers, à tous les cas où le fait emporte la peine d'emprisonnement ou une peine plus grave, tandis que les agents de la force publique, dans le cas de l'art. 106, ne peuvent l'exercer que dans les cas où le fait emporte une peine afflictive ou infamante? La raison de cette différence est dans la nature distincte des faits que les uns et les autres ont mission de surveiller. On voulait, ainsi qu'on vient de le voir, que les gardes, en arrêtant les délinquants en flagrant délit, pussent empêcher instantanément les dégâts qui se commettent dans les campagnes, maintenir le respect des propriétés et assurer la répression des vols faits dans les champs. Or, la plupart des délits de cette nature ne sont passibles que d'une peine d'emprisonnement; il fallait donc, à moins que le droit ne fût illusoire, l'étendre à ces délits, il fallait leur attribuer cette sorte de privilége pour que la protection qu'on voulait assurer à la propriété fût plus efficace. Et puis, au milieu des campagnes, éloignés des habitations, les gardes n'ont pas les mêmes moyens que les autres agents de constater les faits, l'identité des inculpés, le caractère et les circonstances du délit; la loi a donc pu faire, en ce qui les concerne, une exception au principe qu'elle a posé.

La loi a, du reste, assigné au droit des gardes des

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