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d'obtenir le nivellement des vallées des Alpes et le relevé des profils en long de leurs cours d'eau.

La guerre actuelle, ajoute-t-il, a fait ressortir la grande importance que présente, pour un pays, la possession de puissantes sources d'énergie, constituées, soit par des gisements de houille, soit par des chutes d'eau, fournissant ce que l'on appelle parfois de la « houille blanche ». Au point de vue du charbon, la France est assez mal partagée; par contre, elle est très riche en forces hydrauliques.

Mais les mines s'épuisent à la longue, tandis que les chutes d'eau gardent à peu près indéfiniment le même débit.

D'autre part, l'énergie emmagasinée dans le charbon n'est pratiquement utilisable que dans la proportion d'un dixième environ, alors que les turbines modernes recueillent et utilisent en moyenne les huit dixièmes de l'énergie latente des chutes d'eau.

Les principales de nos sources de houille blanche se trouvent dans les torrents des Alpes. D'après M. l'ingénieur R. de la Brosse, on en pourrait tirer, chaque année, au moins quatorze milliards de kilowattsheures. Pour obtenir la même quantité d'énergie avec de la houille, il en faudrait brûler vingt millions de tonnes, soit la moitié de la production annuelle de la France.

Le rapprochement de ces deux chiffres suffit à montrer l'importance pour notre pays, de l'utilisation de ses chutes d'eau. En fait, à cette heure, le dixième seulement de celles existant dans les Alpes françaises sont aménagées. Il y a donc là de grands progrès à réaliser.

En vue de guider les industriels et de leur indiquer, avec exactitude, les points où leurs efforts gagneraient à se porter, le service des grandes forces hydrauliques, dépendant du ministère de l'agriculture et actuellement dirigé par M. l'ingénieur de la Brosse, a entrepris, depuis 1904, un relevé complet des débits et des profils des principaux torrents des Alpes.

Le relevé des profils a été confié au service du nivellement général de la France, dont la guerre a ralenti mais non suspendu les travaux. Une carte annexée au travail montre le degré actuel d'avancement de ce relevé. A cette heure, il est terminé sur 3,400 kilomètres de cours d'eau et, à la date du 31 décembre 1916, 2,500 kilomètres de profils étaient déjà publiés.

Un recensement analogue est en cours d'exécution dans les Pyrénées; mais les travaux y sont beaucoup moins avancés.

On abordera ensuite le Plateau Central.

En Argonne.

L'article que nous avons publié dans notre numéro du 1er janvier dernier, sous le titre « l'Ecole Forestière en Argonne », a valu à son auteur, de la part d'un de nos jeunes camarades, le Garde général Varin d'Ainvelle, capitaine au 4o régiment d'infanterie, une lettre précieus e dont il serait dommage de laisser perdre le passage suivant:

Je me suis vu de nouveau sur cette Haute-Chevauchée, dans la joie de nos relèves descendantes vers Clermont, et aussi dans la montée silencieuse vers la Fille-Morte ou la cote 285: dans ces relèves montantes, nous passions devant la Maison Forestière dont vous parlez en face, sur l'emplacement du terrain des gardes, ce trouve un grand cimetière : quand nous montions en ligne, souvent, à ce carrefour de route, je regardais défiler ma compagnie, et quand les fusées éclairantes me permettaient de voir les figures de mes poilus, je lisais presque chez tous la même question terrible : « Lequel de nous redescendra ici ficelé dans sa toile de tente?»- Ce sont de fortes impressions, pas tristes du tout, car dans ces cas-là, on croit toujours que c'est le voisin qui écopera, et vous m'avez fait revivre tout mon séjour en Argonne, séjour suffisamment lointain pour que je n'en garde que les impressions les meilleures, dégagées de toutes les misères du fantassin. Vous m'avez permis d'oublier la boue, la neige, et surtout les petits ennuis quotidiens qui fatalement deviennent notre unique préoccupation,

Souhaitons que la main qui a si alertement tracé ces vivantes impressions de guerre, reprenne bientôt le marteau du forestier, après avoir suspendu au crochet, le sabre dont elle s'est si vaillamment servie.

Nécrologie.

Un des doyens les plus respectés du corps forestier M. le Conservateur des Eaux et Forêts, Jean Braesch, chevalier de la Légion d'honneur, officier du Mérite Agricole, vient de mourir chez son fils, maître de conférences à la Faculté des Lettres à Montpellier.

Né à Mülbach, vallée de Munster, Alsace, le 6 juin 1837, il avait été nommé, au sortir de l'Ecole de Nancy, garde général à Niederbronn. Il avait poursuivi toute sa carrière forestière en Alsace jusqu'à la guerre de 1870.

Après avoir opté pour la France en 1871, il avait été envoyé successivement à Grenoble, Troyes, Bourges; il avait été ensuite comme inspecteur à Saint-Dié et enfin comme Conservateur à Gap, puis à Amiens.

Sa carrière terminée en 1839, il s'était retiré comme beaucoup d'Alsaciens, fonctionnaires retraités, dans son pays natal à Mülbach, village voisin de Metzeral, ce lieu devenu célèbre dans la présente guerre. De cette guerre il fut l'une des victimes, car expulsé par les Allemands

qui n'osèrent pas l'emprisonner à cause de son grand âge, il vint se réfugier dans le midi près de son fils qui eut la douloureuse consolation de lui fermer les yeux prématurément, peut-on dire, car en solide forestier qu'il était et en Alsacien de la vieille roche, il jouissait encore d'une santé de fer.

Il est mort ainsi, loin de chez lui, chassé par l'implacable ennemi. Et nous nous associons étroitement au chagrin des siens et au vœu qu'ils expriment de pouvoir bientôt le ramener dormir son dernier sommeil au cimetière du village natal, où il reposera en paix à côté des siens, en terre redevenue française.

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M. Rollet (Paul-Albert-Louis), Conservateur honoraire des Eaux et Forêts, chevalier de la Légion d'honneur, est décédé à Tours, le 31 mars 1917, dans l'exercice des fonctions qu'il remplissait depuis le début de la guerre à la tête de la 19o Conservation.

Né à Vitry-le-François le 21 février 1844, il avait été admis à la retraite en 1911 avec le grade de Conservateur. Agé de plus de 70 ans lors de la mobilisation, il assuma volontairement par patriotisme la gestion, trop lourde pour ses forces, de la Conservation de Tours. Très épuisé depuis la fin de 1915 il n'a cependant cessé de travailler jusqu'à la dernière minute. Il est mort victime de son dévouement et mérite à ce titre toute la reconnaissance de l'Administration, le souvenir ému, les regrets profonds de ses camarades et de ses collaborateurs dont sa droiture et sa bonté lui avaient assuré le plus sincère attache

ment.

Ses obsèques ont eu lieu à Tours le 4 avril; elles furent suivies par les nombreux amis qu'il comptait dans cette ville et à Loches et par la plupart des autorités civiles et militaires. Le corps forestier, très réduit par la guerre, put néanmoins être dignement représenté grâce à l'assistance de plusieurs agents mobilisés dans la région. Une délégation des préposés, comprenant tous ceux en résidence à Tours et la plupart de ceux actuellement en service dans les forêts de Loches et Chinon, entourait le corbillard.

Sur sa tombe M. Romillat, Inspecteur des Eaux et Forêts, a prononcé l'allocution suivante :

Au nom de M. le Directeur Général des Eaux et Forêts qui a bien voulu me désigner pour remplir ce triste devoir, en la place de M. le Conservateur à Tours mobilisé, je viens adresser à M. le conservateur Rollet le suprême

adieu de l'Administration et particulièrement celui des officiers des Eaux et Forêts et des préposés de la 19e Conservation,

Par ses services administratifs comme par sa haute valeur morale, par la dignité de sa vie, consacrée jusqu'à la dernière heure au service du Pays, M. Rollet compte parmi ceux qui ont le plus honoré le Corps Forestier. Qu'il me soit permis de retracer brièvement sa longue carrière :

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Sorti de l'Ecole forestière de Nancy en 1866 avec la 41° promotion, il fut successivement garde Général stagiaire à Grenoble, puis chargé de l'intérim du Cantonnement de Saint-Remy (Bouches-du-Rhône) où il fut nommé garde général sur place; enfin garde général à Loches en 1873. C'est alors que, par son mariage en cette ville, se formèrent les liens qui devaient l'attacher définitivement à la Touraine. Si les nécessités de la carrière l'en éloignèrent pendant quelques années, son plus ardent désir fut toujours de retrouver ces belles futaies de Loches où il était véritablement né à la vie forestière. Sous-Inspecteur à Bayeux en 1880, il fut, après un court séjour dans une commission d'Aménagements à Nice en 1889, nommé Inspecteur à Digne. En Mai 1895 il revient enfin en la même qualité à Tours, où il dirigea, pendant près de 17 ans, cet important service, avec la conscience scrupuleuse qui fut un des traits de son caractère. Chevalier de la Légion d'Honneur en 1908, il fut admis à la retraite et nommé Conservateur honoraire en juillet 1911, après 45 ans de services. Mais la retraite ne signifiait pas pour lui l'inaction. Il ne cessa de travailler et continua à s'occuper des forêts qu'il aimait en professant le cours de sylviculture à l'Ecole d'Agriculture d'Angers.

Avec cette conscience dont j'ai déjà parlé, une extrême bienveillance était la dominante du caractère de M. Rollet. Tous ceux qui l'ont connu savent ce qu'il y avait en lui, sous des apparences réservées, éloignées des démonstrations excessives, de réelle bonté et de franchise, de loyauté en même temps que d'obligeance et d'affabilité. - Il allait montrer dans les dernières années de sa vie qu'il était avant tout, dans la plus haute acception du mot, un homme de devoir.

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Dès les premiers jours de la mobilisation l'Administration fit appel à la haute compétence et au dévouement éprouvé de M. Rollet pour faire l'intérim de la Conservation de Tours. Aucune indemnité n'était alors allouée aux intérimaires. M. Rollet n'hésita pas à mettre gratuitement ses forces, déjà affaiblies par l'âge, au service du Pays. Il avait alors 71 ans et était depuis 3 ans à la retraite. La tâche qu'il assumait ainsi, avec un personnel extrêmement réduit, en présence de questions nouvelles, multiples et urgeutes, compliquant le service déjà chargé d'une Conservation qui s'étend sur 5 départements, était pour lui bien lourde. Il s'y donna tout entier pendant cette première année de guerre, avec plus d'ardeur même que lorsqu'il était fonctionnaire rétribué. Aussi lorsque nous fùmes rappelé après 13 mois à l'Inspection, de Tours le trouvâmes nous déjà sérieusement atteint dans sa santé. Peut-être eut-il pu alors s'accorder quelque repos. Il n'y songea même pas. Son cœur de patriote avait aussi profondément souffert dans ces premiers mois d'angoisse où la Champagne, son pays d'origine, fut envahie; il la voyait encore sous le canon de l'ennemi et il trouvait dans le travail une diversion à ses tristes pensées, aux soucis que lui causait en outre le sort de ses fils et de ses deux gendres mobilisés.

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Connaissant le terrible mal qui devait fatalement l'emporter, sachant ses jours comptés, il a poursuivi sa tâche sans arrêt et sans aucune plainte, malgré le tourment moral qui devait être le sien devant la déchéance de ses facultés physiques et dans l'intégrité absolue de ses moyens intellectuels. Une foi religieuse profonde d'ailleurs le soutenait et lui faisait accepter avec résignation toutes les épreuves. Ne pensant qu'a se dévouer, travaillant toujours, pourrait-on dire, avec un sublime entêtement, il se faisait encore soumettre six heures avant sa mort les affaires de service; et, lorsque, devant l'examen d'une dernière question, ses forces le trahirent, il ne dit pas « d'autres s'en occuperont » mais... « Je la verrai demain... ». Dans ce corps épuisé la volonté subsiste Jusqu'au bout a été la devise de cet énergique vieillard, comme elle est celle des jeunes qui tombent héroïquement devant l'ennemi.

Monsieur le conservateur Rollet est mort à la peine; son souvenir vivra dans nos mémoires et dans nos cœurs comme un très noble exemple d'attachement au devoir et de dévouement obscur à la Patrie.

Puisse cette consolante pensée être un adoucissement au chagrin de sa famille, si cruellement éprouvée, à laquelle je présente, douloureusement ému, l'hommage de ma respectueuse sympathie.

Dormez en paix, M. le Conservateur, dans cette douce terre de Touraine qui fut votre petite Patrie d'adoption, laissant aux vôtres l'espoir qu'ils puisent dans leurs croyances et dans le souvenir d'une vie si bien remplie.

* * *

Le 27 mars dernier est décédé à Prades, à l'âge de 75 ans, M. Fauveau, Inspecteur des Eaux et Forêts qui après avoir poursuivi une partie de sa carrière en Algérie, était venu prendre sa retraite dans les Pyrénées-Orientales dont il était originaire.

Sur sa tombe, M. le Conservateur des Eaux et Forêts Laporte a prononcé le discours suivant :

C'est avec une réelle émotion que je viens dire un adieu suprême à l'homme aimable que tant d'agents forestiers ont connu, et rendre un dernier hommage à l'agent forestier qui pendant si longtemps a rempli ses fonctions avec zèle et dévouement.

D'autres plus autorisés que moi rappelleront les vertus privées, les qualités de cœur, la sûreté et l'agrément des relations de celui qu'ils ont connu si longtemps dans cette ville de Prades, qui était devenue son pays d'adoption et où il était venu après toute une vie de labeur, reposer sa vieillese si verte et si alerte jusqu'à ces derniers temps.

Je veux surtout rappeler le souvenir et les services d'une vie de forestier, d'une famille de forestiers, honorable entre tous.

M. Fauveau est né en 1842, à la Maison Forestière de la Bavencherie, où son père était garde forestier, et dans cette enfance au milieu des bois, partageant la vie saine, rude, austère parfois des gardes forestiers il prit l'amour

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