Page images
PDF
EPUB

NOTE

SUR L'OPPORTUNITE D'UNE RÉFORME
DE LA MÉTHODE D'IMPOSITION

DES PROPRIÉTÉS BOISÉES 1.

Les circonstances de la guerre actuelle font hautement ressortir l'importance vitale que présentent, pour le pays, la conservation et le développement des forêts et il importe, par suite, qu'aussitôt après la cessation des hostilités soit modifié le mode d'imposition actuel des propriétés boisées qui, s'il était maintenu, ferait obstacle à la reconstitution si impérieusement nécessaire du domaine boisé. Il appartient sans conteste aux Conseils Généraux d'émettre des vœux en vue de cette modification, dont les conséquences auraient un si haut intérêt économique et national.

Nous exposons ci-après en quoi le mode d'imposition actuel des propriétés boisées est inique et néfaste et quelle est la modification qui s'impose, de l'avis des agents forestiers, auquel ont pleinement adhéré toutes les Sociétés Savantes ayant charge des intérêts agricoles.

I. Le mode actuel de taxation des forêts

est basé sur un raisonnement mathématiquement faux.

Le mode de taxation actuel des forêts a pour base la méthode prescrite par les articles 67 à 73 de la loi du 3 frimaire an VII, méthode qui consiste essentiellement à admettre que l'on doit considérer un bois fournissant, tous les n ans, un revenu R, comme produisant annuelle

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

I.

Cette note, due à la plume d'un de nos plus distingués inspecteurs, n'a pas la prétention d'apporter de nouveaux éléments à la question de l'impôt forestier, presentés déjà sous toutes ses faces à nos lecteurs. L'auteur s'est proposé simplement de la résumer et pour ainsi dire de la vulgariser afin de la rendre saisissable par les hommes intelligents, n'appartenant pas au métier forestier, et notamment aux membres des assemblées départementales. N. D. L. R.

Un tel raisonnement équivaut à admettre, par exemple, qu'un propriétaire louant un appartement pour 9 ans, à raison de 1.000 francs. l'an, devrait se tenir pour satisfait si son locataire s'abstenait de payer son loyer pendant les 8 premières années et lui remettait 9.000 francs en fin de bail, sans lui tenir compte en aucune façon des intérêts dus pour retard de paiement des 8 premières annuités. En effet, un propriétaire de bois, exploitant tous les 9 ans une coupe d'une valeur de 9.000 francs, est actuellement considéré par le fisc comme percevant un revenu annuel de 1 000 francs, et est imposé en conséquence.

Un pareil mode de taxation est mathématiquement faux puisque, dans un intérêt purement fiscal, il fait table rase des notions les plus élémentaires d'arithmétique sur les intérêts composés.

II. Conséquences iniques, pour les propriétaires forestiers, de cette méthode fausse de taxation.

Pour rendre sensible l'iniquité de l'impôt foncier calculé d'après cette méthode pour les bois et forêts, nous examinerons d'abord la situation faite aux propriétaires de bois non aménagés (autrement dit non divisés en coupes réglées) et exploités en une fois sur toute leur surface quand ils ont atteint l'âge de réalisation. Cet âge de réalisation différant suivant la nature des peuplements, nous considérerons trois cas : 1° un taillis exploité tous les 20 ans; 2o une pineraie exploitée tous les 30 ans; 3o une futaie feuillue exploitée tous les 100 ans, en mettant en parallèle, dans chaque cas, la valeur du revenu annuel vrai, mathématiquement équivalent au revenu périodique réellement perçu par le propriétaire, et la valeur du revenu annuel fictif servant, en vertu de la méthode actuelle, de base au calcul de l'impôt foncier 1.

1o Soit un hectare de taillis exploité à 20 ans et donnant à ce moment un produit en argent de 600 francs.

Ce revenu périodique R équivaut mathématiquement à un revenu annuel r dont la valeur est fournie par la formule des intérêts composes r R X

I

(1 + 1)20 — 1, dans laquelle i représente le taux de

1.- Pour ne pas compliquer le raisonnement, nous envisageons, dans les calculs qui suivent, le revenu annuel brut, sans faire la déduction des frais annuels d'entretien, de garde, de gestion et de repeuplement, deduction qui est faite, en tout état de cause, pour passer du produit brut au revenu net d'après lequel se calcule le revenu imposable. Nous ferons remarquer toutefois que cette deduction aurait pour effet, dans chaque cas considéré, de diminuer de la même quantité le revenu vrai et le revenu fictif, sans modifier l'écart qui existe entre eux. Si donc nous faisions cette dé. duction, elle ne pourrait qu'augmenter les majorations d'impôt que nous faisons ressortir.

placement auquel fonctionne la propriété boisée considérée, soit, au taux de 3 0/0, r = 600 X 0,037215 22 fr. 33.

Tel est le revenu annuel vrai.

Le revenu annuel fictif servant de base, suivant la loi du 3 fri

R 600

maire an VII, au calcul de l'impôt foncier sera de ou

30 fr. 00.

20

Par rapport au revenu vrai, le revenu fictif serait majoré de

20

7,67

soit

22,33,soit

de 34 0/o. L'impôt foncier subira la même majoration. 2o Soit un hectare de futaie de pin donnant à 30 ans une coupe d'une valeur de 1.500 francs.

Ce revenu périodique R équivaut à un revenu annuel r dont la va

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

3 oor 1.500 X 0,021013 =31 fr. 53. Telle est l'expression du revenu annuel vrai.

Le revenu annuel fictif, servant actuellement de base au calcul de

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Ce revenu fictif et, par suite, l'impôt foncier présentent, dans ce cas,

[blocks in formation]

3o Soit, enfin, un hectare de futaie de chêne et hêtre, exploité à 100 ans et donnant, à cet âge, un produit de 6.000 francs.

Le revenu périodique R équivaut à un revenu annuel r dont la valeur résulte de la formule r=RX soit, au taux de 3 0/0,

r = 6.000 X 0,0016467 9 fr. 88.

t

[ocr errors]
[ocr errors]

Telle est la valeur du revenu annuel vrai dont bénéficie le propriétaire.

Or le revenu annuel fictif servant de base légal au calcul de l'im

[blocks in formation]

Dans ce dernier cas, la majoration du revenu fictif, par rapport au revenu vrai, sera de

sextuplé!

50,12

9,88'

soit de 507 0/0. L'impôt foncier sera donc

Ainsi, l'impôt foncier, tel qu'il résulte de la législation en vigueur, apparaît comme subissant une majoration injustifiée qui est d'environ un

tiers pour le taillis et de plus de moitié pour la pineraie. Pour la futaie exploitée à cent ans, la majoration dépasse 500 o/o, c'est-à-dire que l'impôt est sextuplé.

Dans ces exemples, nous avons envisagé des bois exploités en une seule coupe. Il est évident que, si le taillis comprend 20 coupes, la pineraie 30 coupes et la futaie feuillus 100 coupes, ces propriétés pourront, par le fait d'un aménagement, c'est-à-dire grâce à l'accumulation d'un matériel ligneux d'âge gradué, devenir susceptibles de donner un produit annuel, résultat de la réalisation échelonnée des revenus périodiques fournis par les différentes parcelles; mais ce produit annuel ne sera plus uniquement le revenu du sol, car il comprendra une part, plus ou moins importante, due précisément à ce que la prévoyance du propriétaire aura économisé et accumulé un matériel ligneux, souvent considérable, et se sera interdit d'en disposer, afin de transformer en un revenu annuel le revenu périodique, seul produit possible d'un sol consacré à la culture forestière.

Mais, dans ces conditions le capital producteur a un caractère mixte : il comprend, d'une part, le sol garni de souches ou de semences et, d'autre part, les bois en croissance, superficie réalisable pouvant à tout moment être détachée du fonds et constituant conséquemment une valeur mobilière que la plus élémentaire équité interdit de soumettre à l'impôt foncier.

[ocr errors]

Le revenu annuel produit par ce capital mixte est un revenu mixte, dans lequel, en se reportant aux exemples qui précèdent, il est aisé de discerner la part provenant du sol et celle qui proviendra du capital ligneux attendu qu'il tombe sous le sens que le fait d'échelonner les exploitations sur les différentes parties d'une forêt, au lieu de les régler en une coupe unique qui en parcourrait toute l'étendue, ne peut modifier en quoi que ce soit la capacité productive du sol lui-même.

C'est ainsi que, si le produit annuel d'un taillis de 20 hectares aménagé en 20 coupes, ressort à 600 francs, valeur de la coupe réalisée chaque année, le revenu de 30 francs à l'hectare qui en résultera se composera de 23 fr. 33 provenant du sol et de 7 fr. 67, supplément de revenu dû à l'existence du capital-bois constitué par les 19 coupes âgées de 1 à

19 ans.

De même, si nous considérons une pineraie de 30 hectares comprenant 30 coupes âgées de 1 à 30 ans, le produit de la coupe annuelle de 1 hectare étant de 1.500 francs, le revenu par hectare et par an ressort bien à 50 francs mais, sur ces 50 francs, 31 fr. 53 seulement représen

teront le produit du sol et 18 fr. 47 la part de revenu due à l'existence de peuplements d'âge gradué de 1 à 29 ans.

Enfin, s'il s'agit d'une futaie feuillue de 100 hectares comprenant 100 coupes âgées de 1 à 100 ans, le produit de la coupe annuelle de 1 hectare étant de 6.000 francs, le revenu par hectare et par an sera bien de 60 francs mais, dans ce chiffre, 9 fr. 88 seulement proviendront du sol et 50 fr. 12 représenteront la part de revenu due à l'accumulation d'un capital-bois considérable sur les 99 autres coupes.

Les propriétaires de forêts aménagées n'ont jamais prétendu soustraire à tout impôt le capital-bois accumulé par leur prévoyance, mais ils ont bien le droit de faire observer que ce matériel est une valeur mobilière et doit être imposé à ce titre, au lieu d'être frappé de l'impôt foncier qui est beaucoup plus lourd, eu égard aux répercussions qu'il comporte, que l'impôt sur les valeurs mobilières.

En fait, lassés de protester en vain contre l'inégalité flagrante avec laquelle ils sont traités par rapport aux possesseurs des autres propriétés non bâties, ils ont peu à peu exploité toutes leurs futaies, si bien que, si l'on excepte les bois résineux exploités à courte révolution pour la production, assez lucrative en certaines régions, des étais de mines, on peut considérer que l'Etat est devenu à peu près le seul producteur de bois d'œuvre sur la plus grande partie du territoire français. Les forêts domaniales ont donc eu à fournir une contribution énorme aux besoins de la défense nationale en bois d'œuvre et il en résultera, après la guerre, une pénurie, encore plus grande qu'auparavant, de ces matériaux de première nécessité.

[merged small][ocr errors][merged small]

De tout ce qui précède on doit conclure que, pour permettre la reconstitution et l'extension des forêts productrices de bois d'œuvre, il est indispensable que la méthode de calcul de l'impôt foncier, actuellement appliquée à ces domaines et qui est absolument incompatible avec la création et la conservation de futaies par les propriétaires autres que l'Etat, soit radicalement modifiée;

I importe qu'à l'avenir les propriétaires de forêts non aménagées paient l'impôt foncier non pas sur un revenu annuel fictif et majoré, mais bien sur le revenu annuel vrai, déduit du revenu périodique réellement perçu en tenant compte correctement du fonctionnement des intérêts composés, et que les propriétaires de forêts aménagées ne soient

« PreviousContinue »