Page images
PDF
EPUB

Henry Carreau.

Après avoir rappelé le souvenir de Watier, voilà que la même plume doit apporter ici le tribut de nos regrets à un très cher ami qui était son contemporain et son camarade d'Ecole. Watier était de la 53° promotion; Henry Carreau de la 52°. Ils appartenaient tous deux à ce groupe dit du « Grand Manteau » qui personnifiait, par des sujets d'élite, toute une génération; c'est elle qui avait porté jadis cet accessoire de l'uniforme forestier, ce grand manteau assez majestueux dans lequel se drapaient nos anciens, comme en une toge.

Les forestiers du Grand Manteau se réunissaient tous les mois en un dîner où je me souviens que les fidèles étaient MM. Kuss, Delaygue, Brosse, Lafosse, Guichet, Roulleau de la Roussière, Wattier, Cottignies, Orfila, de Lignières, etc., et celui qu'ils aimaient tous, l'excellent, le sympathique camarade Henry Carreau.

Je l'avais connu à l'Administration centrale, lorsqu'il y fit un second séjour, à partir de 1901, alors qu'une opération très grave, l'avait forcé à reprendre une situation sédentaire. Nous étions dans le même service; nos bureaux se touchaient au point que les oreilles iudiscrètes pouvaient entendre de l'un ce qui se disait dans l'autre. Ce n'étaient que des propos bienveillants; l'esprit alerte, fin, distingué de notre ami y retenait les visiteurs. Et si j'ai sur la conscience quelques quarts d'heure dérobés aux occupations administratives, je garde par contre un trop agréable souvenir des conditions dans lesquelles se commettait cette faute pour en avoir la contrition parfaite. J'ai noué là des relations qui m'ont suivies depuis. Carreau m'a fait aimer encore davantage le corps auquel j'ai l'honneur d'appartenir.

Dès 1903, il sentit que la fatigue consécutive à son accident, ne lui permettait même plus de faire tous les jours, la course du Ministère. Dans les derniers temps, il y venait en voiture. Alors, à 46 ans, il prit sa retraite et nous quitta. Si ce fut un crève-cœur pour lui d'abandonner ainsi, jeune encore, des fonctions qu'il aimait, ce fut pour nous tous, un regret de le voir s'éloigner, et pour des raisons aussi pénibles.

Il trouva dans son intérieur de larges compensations d'affection auprès d'une famille tendrement unie. Il avait une très agréable installation rue Borghèse, à Neuilly. Là sa femme, ses deux enfants lui firent oublier son épreuve, ou du moins leurs soins l'atténuèrent. Il se mon

trait justement fier des études brillantes de son fils qui abordait l'Ecole de Droit et celle des Sciences politiques, et qui plus tard entrait avec distinction dans une carrière recherchée. Le mariage de sa fille l'avait comblé de joie. Son intérieur paraissait présenter l'image du bonheur tranquille.

Hélas! la guerre vint qui mit des nuages sur son ciel clair. L'édifice un peu artificiel de santé reconstituée, qui avait été dressé par des mains tendres, fut ébranlé. Son fils, sergent dans un régiment d'infanterie, avait bien apporté à son orgueil paternel la joie d'une médaille militaire avec une glorieuse citation, mais comme contre-partie une blessure grave. Son gendre avait contracté au service une maladie qui l'avait fait ramener à Paris. C'en était trop pour le cœur et pour les forces de Carreau. Il mourut à Arcachon où il avait été chercher le soleil qui lui manquait ailleurs et la santé qui lui échappait.

Ses obsèques ont eu lieu le 18 septembre à Neuilly. Dans le cortège d'amis, il y avait de nombreux forestiers MM. Daubrée, Récopé, Lafosse, Zurlinden, Orfila, Roulleau de la Roussière.

Au cimetière un discours a été prononcé par M. l'Inspecteur général Lafosse. Il a rappelé la carrière trop courte hélas ! du forestier qui après de brillantes études au collège Stanislas, avait été reçu à l'Ecole forestière en 1876. Comme garde général il avait occupé les postes de Ornans, Bar-sur-Seine, Compiègne. En 1886 il était nommé au service du Personnel à l'Administration centrale; il y prenait son 3e galon, puis, sur sa demaude, était envoyé à Versailles, et rentrait ensuite à l'Administration, comme inspecteur au service du Reboisement.

M. Lafosse a terminé ainsi son beau discours :

[ocr errors]

Etendu sur son lit de souffrances, entouré de tous ceux qu'il aimait, il fit montre d'une résignation exemplaire et d'un courage sublime. Les mains dans les mains des êtres chers qui l'entouraient, les yeux au ciel, puisant une force surhumaine dans sa foi profonde, il fit à tous ses recommandations dernières et, sans une plainte, s'endormit dans l'éternel sommeil.

« Aujourd'hui il reste au foyer un vieux père, une veuve et des enfants qui pleurent. Je veux mêler à leurs larmes, l'hommage de ma douleur bien sincère.

<< Pauvres enfants! comme je souffre votre peine. Je voudrais pouvoir adoucir votre deuil. Je sais qu'aucune parole humaine ne peut vous

consoler.

« Laissez couler vos larmes; mais en quittant cette enceinte, ne regardez pas en arrière, levez les yeux au Ciel, bien haut; vous y verrez la

bonne figure de votre père vous sourire comme pour vous dire qu'il ne vous abandonne pas. »

Autour de la forêt de Mormal.

J. M.

Sous ce titre nous avons publié l'extrait d'un article de M. ArdouinDumazet paru dans le Journal d'Agriculture pratique (1). L'auteur se demandait dans quel état nous retrouverions ce massif, autrefois si beau.

Nous sommes en mesure de lui donner une réponse qui malheureusement affligera tous les amis de la forêt de Mormal. Un de nos amis, évacué de Saint-Quentin, avec toute la population civile, et maintenant rapatrié, a été cantonné pendant plusieurs semaines à Englefontaine au mois de juin.

A cette époque 500 prisonniers civils belges s'y trouvaient, parqués dans un ancien pensionnat de jeunes filles, et employés toute la journée à exploiter la forêt de Mormal, non loin du village. Un certain nombre d'habitants de ce pays, avaient été précédemment affectés au même travail, également comme prisonniers civils, mais dans les parties de forêt les plus éloignées de leur domicile. Ils avaient été, depuis, libérés et avaient réintégré leurs foyers.

Les riverains se livraient d'ailleurs à des déprédations multiples sur les lisières. Les Allemands toléraient l'enlèvement du bois mort, mais lorsque par hasard ils constataient des délits de bois vif, ils infligeaient des amendes de 5 marks et confisquaient le bois coupé ce qui n'empêchaient pas d'ailleurs les délits de se multiplier.

Une voie sacrée de l'Alsace à la côte belge.

Le Sunday Pictorial publie, sous la signature de M. E. TempleThurson, un article remarquable préconisant la construction d'une « Voie sacrée » à travers les départements dévastés du nord de la France.

« Quel monument dans des rues de villes, dit-il, loin de l'endroit sacré, pourrait avoir une aussi grande éloquence pour les femmes qui ont perdu ce qu'elles avaient de plus cher !

« C'est probablement ce projet qui obtiendra l'agrément du gouvernement français, désireux d'élever un monument durable pour commé morer cette terrible guerre.

1.

Revue des Eaux et Forêts, 1er septembre 1917, p. 285.

<< Tout le long de ce front de 700 kilomètres qui va de l'Alsace à la côte flamande, et où depuis plus de deux ans la bataille fait rage au delà de toute expression, une large avenue, une voie sacrée, serait construite. Bordée des deux côtés par une forêt d'arbres, elle se transformerait d'année en année, de siècle en siècle en un monument impérissable que la Nature elle-même élèverait ainsi en souvenir de la guerre. Tous les villages dévastés par lesquels cette route passerait seraient maintenus dans leur état actuel. Une véritable voie pompéienne naîtrait sur une longueur de 700 kilomètres.

<< Partout, dans ces bois qui borderont la « Voie sacrée », les tombes et les cimetières des hommes qui sont tombés, seraient scrupuleusement et magnifiquement entretenus. Pendant de longs kilomètres, la forêt pourrait être ininterrompue et de temps en temps une brèche dans les arbres montrerait une église éventrée, un calvaire brisé, une petite croix de bois blanc, au milieu d'un village dévasté.

<< La violation de la Belgique, le meurtre, le viol, le sacrilège inutile et la dévastation du nord de la France, en un mot, le déshonneur national, rien de tout cela ne doit être oublié, et aussi longtemps que le flot de la vie passerait par cette route, l'oubli serait impossible. « Ce n'est que par le rappel constant de leurs crimes que l'on peut punir les Allemands. Et si jamais un Allemand mettait le 'pied sur cette Avenue du Souvenir, celle-ci lui rappellerait les méfaits de ces

ancêtres.

<< Le monde entier passerait par cette route et le monde entier verrait ce que, même maintenant, peu de gens comprennent. Quand la guerre finira, la France sera probablement inondée de touristes, mais ce n'est pas pour eux que cette route serait construite. Une quantité de voyageurs la visiteraient, poussés par une curiosité paresseuse, mais pour d'autres qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes, cette route consacrerait toutes les mémoires sacrées.

« Des préparatifs sont déjà faits pour mettre ce projet à exécution. Un million de jeunes arbres sont déjà réunis dans les jeunes pépinières. « C'est le seul monument, du reste, que l'on peut concevoir pour souligner cet idéal commun qui a réuni les Alliés de tous les points de la terre. C'est là que les hommes ont combattu pour la Liberté et là que toutes les nationalités ont donné leur vie pour cette liberté. La « Voie sacrée » à travers les champs de gloire doit consacrer pour toujours la mémoire des héros ».

Une œuvre intéressante.

Il y a, par centaines, des exploitations agricoles qui manquent de bras et qui en manqueront plus encore après la guerre. Il y a par milliers des orphelins de père agriculteur tué à l'ennemi, qu'il faut, à tout prix, empêcher d'émigrer à la ville et retenir à la terre.

Un des meilleurs moyens d'y parvenir est de placer ces enfants, au moment où ils finissent leurs études primaires, dans un orphelinat agricole, ou dans une bonne famille agricole pour les initier à la culture et les préparer à devenir de bons chefs d'exploitation rurale, tout au moins des ouvriers agricoles d'élite.

Pour être complète, leur préparation demande trois années pendant lesquelles ils coûtent et ne rapportent rien. Il leur faut donc des bourses, bourses de cinq cents francs par an, en moyenne, pendant trois ans. Ce n'est pas une somme énorme et elle suffit pour sauver un orphelin, pour faire un bon agriculteur.

[ocr errors]

Qui ne voudrait consentir ce sacrifice, accomplir cette œuvre doublement utile et patriotique ?

La Société des Agriculteurs de France vient d'ouvrir une souscrip tion dans ce but : nous engageons vivement nos lecteurs à lui envoyer leur adhésion. On peut souscrire une bourse entière, ou une demi bourse. On peut se grouper pour souscrire. L'important, l'essentiel est de souscrire. Il suffit pour cela d'écrire, 8, rue d'Athènes, à Paris.

Mutations.

Par décret du 25 août 1917, M. Jolly, Inspecteur à Troyes, est nommé inspecteur des Eaux et Forêts à Chambéry, en remplacement de M. Watier, décédé.

Par arrêté en date du 30 août 1917, M. Pillot, inspecteur des Eaux et Forêts de 20 classe, à Barcelonnette (Basses-Alpes), est appelé, avec son grade et sa classe, à Sisteron même département, en remplacement de M. Griess, mis en disponibilité.

Le Directeur-Gérant: R. STEINHEIL.

Poitiers. - Imprimerie G. Roy, 7, rue Victor-Hugo. 7.

« PreviousContinue »