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sont souvent trompeurs; cependant la discussion pro- Mai 1802.
duit la lumière. Je n'hésite donc pas à penser, en
fait de
prééminence, qu'elle appartient incontestable-
ment au civil. Si l'on distinguait les hommes en mi-
litaires et en civils, on établirait deux ordres, tandis
qu'il n'y a qu'une nation. Si l'on ne décernait des
honneurs qu'aux militaires, cette préférence serait
encore pire, car dès lors la nation ne serait plus

rien. »

de

Lucien Bonaparte,

de la nouvelle loi.

Lucien Bonaparte eut mission d'exposer devant le Discours tribunat et le corps législatif les avantages qui devaient résulter, pour le pays, de la création de cette rapporteur chevalerie républicaine, et d'abord il en appela au sentiment d'amour de la gloire, mobile puissant des actions de l'homme. Ce langage était nouveau pour la république, habituée, depuis douze ans, à entendre porter jusqu'aux nues l'amour de la patrie et le principe de l'égalité. Lucien Bonaparte ne craignit pas de s'exprimer en ces termes : « La gloire dit à l'homme dont le père ne fut point illustré dans la société « Homme nouveau, le monde s'ouvre devant

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toi; élance-toi dans la carrière, sois intrépide au champ de bataille, intrépide au milieu des factions; « étends le cercle des sciences humaines, perfectionne «<les arts utiles, cultive les beaux-arts, jouissances privilégiées des nations policées; défends, illustre ta patrie; et tu deviendras grand parmi les tiens, et tu << ne mourras pas tout entier. »

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«

Cette gloire parle-t-elle au descendant d'un héros?

« Descendant des héros, lui dit-elle, imite tes ancêtres, si tu veux comme eux obtenir mes faveurs;

Mai 1802.

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ils ont vaincu pour la France sur les Pyrénées, sur les Alpes suis leurs traces!... Tes ancêtres, honneur de la magistrature, ont défendu l'opprimé contre l'oppresseur suis leurs traces!... Sois aussi grand que tes pères, ou du moins deviens assez illustre pour ne pas être accablé du poids de leur nom. Ce «nom n'est pas une vertu pour toi, c'est un devoir << de plus d'en acquérir.

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A ces paroles on pouvait voir apparaître le fantôme de la monarchie écartant sa pierre, et se dressant pour hériter de la république. Qu'auraient pu dire de mieux les défenseurs du principe de la noblesse ? L'orateur le comprenait si bien, qu'il essaya, mais sans beaucoup de succès, de calmer les craintes du parti démocratique. Il insista ensuite sur la nécessité de rémunérer les services rendus à la guerre; il rappela que l'article 87 de la constitution de l'an VIII statuait qu'il serait accordé des récompenses nationales aux défenseurs de la patrie. Passant ensuite à un ordre d'idées différentes, il s'exprima en ces termes :

Les armées auraient vaincu inutilement, si la discorde avait continué de dominer parmi nous; si le courage civil n'avait point animé ceux qui mirent un terme aux fureurs politiques (on ne peut se le dissimuler), nos armées auraient en vain couvert l'Allemagne et l'Italie de leurs trophées. Depuis longtemps elles marchaient de conquête en conquête; leurs exploits frappaient l'univers d'étonnement, et rendaient l'espérance à la patrie : cependant la paix s'éloignait devant leurs victoires; elle s'éloignait, parce que nos désordres civils n'offraient aucune garantie à nos voi

sins, parce que les peuples craignaient pour eux- Mai 1802. mêmes la contagion révolutionnaire qui nous dévorait; toute communication rouverte avec nous leur paraissait fatale. Pour atteindre la paix, l'ordre intérieur était une victoire nécessaire, à laquelle toutes les autres conquêtes ne pouvaient suppléer; et, devant cette grande considération, les services civils prenaient un caractère si auguste, que leur récompense devenait un devoir national et sacré. »

Lucien Bonaparte se demandait ensuite pourquoi les constitutions de la république n'avaient point promis de récompenses civiles; il imputait la cause de cet oubli aux malheurs de la période révolutionnaire; il ajoutait, en exaltant le mérite du courage civil:

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Lorsque vous proclamâtes la reconnaissance nationale, vous voulûtes oublier qu'en révolution la carrière politique est une lice où l'on se livre un combat perpétuel... Vous voulûtes l'oublier! Cependant chaque jour, entourés de clameurs séditieuses, enveloppés de piéges perfides, ne combattiez-vous pas chaque jour pour la république? Que de nuits même, que de nuits passées en présence d'ennemis furieux, sur ces bancs où les factions ont choisi tant de victimes! Comme le champ de bataille, cette enceinte n'était pas couverte de poussière, baignée de sang; mais à cette porte s'aiguisaient les poignards... là se dressaient les échafauds!

« La mort que l'on trouve dans les combats est au moins honorable; le fer, il est vrai, est quelquefois plus terrible que la mort, des blessures profondes laissent d'affreuses cicatrices; celui qui partit dans tout l'éclat

Mai 1802. de la jeunesse revient sous le toit paternel abattu, se traînant à peine que de larmes répandues alors! que de regrets! Mais à ces regrets succède une noble fierté. Les égards respectueux de tout ce qui l'environne adoucissent les maux du guerrier, et le sang qu'il a versé sur le champ de bataille produit du moins une gloire assurée.

« Le sort des hommes publics est quelquefois plus terrible. Si nous opposons, à ce tableau d'un guerrier mutilé, le tableau d'une victime politique; si nous interrogeons la liste sanglante, si nous invoquons l'ombre d'un magistrat ou d'un législateur victime de la multitude ou de la tyrannie, quelle scène affreuse s'ouvre devant nous!... Le magistrat périt!... Aura-t-il du moins un tombeau? Non, citoyens! pour lui point de tombeau, point d'honneurs, point de pompe funèbre... Ses membres déchirés, exécrables trophées d'une foule en délire, sont portés en triomphe jusque sur le seuil de sa demeure. Ses amis osent à peine et en silence plaindre son sort; ils fuient devant ses restes... Il a trahi le peuple! s'écrie-t-on de tous côtés, il a trahi le peuple! et sa mémoire flétrie n'est pour sa famille que le présage d'une ruine prochaine.

<«< Plus loin, voyez cette multitude qui couvre la place publique. Un empressement joyeux semble à peine l'agiter; tranquille, elle paraît célébrer une fête; elle se presse autour d'un char qui roule lentement au milieu d'elle... C'est un char funèbre! il porte à l'échafaud ce législateur dont les tyrans redoutaient le courage. Le législateur, victime, au front calme,

contemple cette foule qui peut-être lui prodigua jadis Mai 1802. tant d'acclamations bruyantes; il cherche quelque consolation dans les regards de ses concitoyens ; il espère y lire au moins une indignation cachée contre les tyrans; vain espoir!... Il a trahi le peuple! s'écrie-t-on de tous côtés, il a trahi le peuple! et tous les yeux se détournent de lui avec horreur; il ne voit point l'instrument du supplice levé sur sa tête. Son âme tout entière souffre de l'ingratitude publique, et le terme fatal arrive sans consolation pour lui, sans espoir pour les enfants qu'il a laissés sans appui, privés d'honneur, à la merci des tyrans.

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Et comme l'assemblée législative frémissait en entendant cette énumération, déclamatoire sans doute, mais saisissante par les événements qu'elle rappelait, Lucien Bonaparte reprit en ces termes :

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N'arrêtons pas davantage nos regards sur ces tristes tableaux, qui retracent à chacun de nous tant de noms honorables et tant de souvenirs douloureux. Cette esquisse rapide suffit sans doute pour rappeler à tous que, dans les temps de révolution, la carrière politique est une lice où se livre un combat perpétuel.

« Dans l'intervalle des révolutions, ce combat cesse : mais alors la carrière publique est remplie de ces longs travaux qui maintiennent les sociétés, les instruisent, les honorent, et conservent au milieu d'elles le bienfait des lumières et des lois; de même qu'après la guerre l'armée se livre à des services moins brillants, moins périlleux, mais non moins utiles.

« Il fallait suppléer au silence de la constitution,

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